— Paul Otchakovsky-Laurens

L’ Assassin du dimanche

Leslie Kaplan

« Il y avait un sentiment global de fureur, de rage, on parlait du climat, du ciel, des océans, il y avait des menaces larges, massives, et en même temps des violences précises, déterminées, des terreurs concrètes. L’assassin du dimanche, ce psychopathe criminel qui tuait des femmes systématiquement le dimanche, en faisait partie. »

L’Assassin du dimanche est un roman non pas sur les féminicides mais sur le désordre du monde révélé par les féminicides. Des femmes très différentes (âge, milieu, profession, etc.), sont confrontées à des meurtres répétés, qui semblent incompréhensibles, mais...

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Norvège : Audiatur | Pays-Bas : Vleugels

La presse

Des justicières autodidactes passent à l’action

Dans «Assassin du dimanche», une vague de féminicides pousse un groupe de femmes à prendre les choses en main: d’abord l’enquête, puis leur vie même.

De l’assassin du dimanche, cible du court roman du même nom de Leslie Kaplan (P.O.L), on ne sait pas grand-chose. Il tue à jours fixes, «le dimanche, jour de repos, de paix, de tranquillité». Sa zone opératoire est plutôt restreinte - Paris et sa proche banlieue - et ses victimes sont exclusivement des femmes. Elles ont souvent en commun leur engagement politique: des militantes écologistes, des déléguées syndicales, des personnalités bagarreuses.

Face à l’inaction des autorités, et parce qu’elles refusent que la terreur ambiante paralyse leur vie quotidienne, elles sont quelques-unes à se rassembler pour créer le «Grand Collectif». Leur objectif: s’organiser en petits groupes et ratisser la capitale pour coincer par elles-mêmes le criminel qui les menace.

Sans perdre son sujet de vue, cette intrigue féministe passe vite au second plan: l’assassin du dimanche n’a pas le monopole du viseur de Leslie Kaplan. Derrière le thème des féminicides, cette novella pleine d’empathie et de vitalité montre une société à l’épreuve du monde tel qu’il est devenu: «Les repères se perdaient, oppression partout, nouvelles dominations qui se mettaient en place, la contestation se transformait, mouvements nouveaux qui s’ajoutaient aux anciens, les mots manquaient souvent pour dire de quoi il s’agissait, une insatisfaction générale.»

Sosie d’Anita Ekberg

Rien de plombant, pourtant, dans ce portrait de groupe où les parcours de vie et les personnalités de ses membres s’apprivoisent et s’adaptent pour mieux unir leurs forces: en confrontant leurs expériences, elles se pousseront mutuellement sur la voie de l’émancipation. Aurélie est employée d’usine, elle porte des jeans très moulants. Jacqueline, «une vieille», a fait de la prison, elle est veuve et méprise le travail intellectuel. Louise a monté une compagnie de théâtre comique, «Sans rire». Stella, ancienne mannequin, sosie d’Anita Ekberg dans La dolce vita, souffre des regards portés sur sa beauté physique. Eva, la meneuse du collectif, est une fille de banlieue qui a comblé l’absence du père par une lecture assidue de Kafka, pour qui «écrire, c’est sauter en dehors du rang des assassins».

Fantômettes contemporaines, ces justicières autodidactes vont s’infiltrer dans les espaces publics pour tenter d’identifier l’ennemi: tueur à gages? Mari frustré? Touriste enragé ou politicien diabolique? Dans leur traque, elles croiseront l’ombre de Barbe-Bleue ou de Jack l’Eventreur - manière, pour Leslie Kaplan, de rappeler la persistance, voire la banalisation, du motif de la haine des femmes dans les mythes qui nous accompagnent.

Toujours vive et percutante, l’autrice, qui explore les pouvoirs politiques de la littérature depuis la parution de L’Excès-L’Usine en 1982, profite des réunions du groupe pour poser sans détour des questions profondes: «Comment expliquer la haine des hommes pour les femmes? Pour ces petites choses inférieures dominées à l’origine par la force? De tout temps les maîtres avaient haï leurs esclaves, dominer ne va pas sans peur, sans crainte, sans détestation, et le sentiment de dépendance [...] même s’il reste inavoué, entraîne toujours de la haine.»

Salomé Kiner, Le Temps, 27 avril 2024



L’assassin du dimanche de Leslie Kaplan

Peur sur la ville, des mois que ça dure, cette terreur. Un homme tue des femmes, seulement le dimanche... Pas plus épais qu’un missel de poche, le nouveau roman de Leslie Kaplan s’ouvre sur cette situation : des féminicides en série dans Paris. Il faudra Eva, qui « détestait les hommes, à part Kafka, son héros », Eva et son volontarisme communicatif, pour réagir, ne plus subir. Sous son impulsion, un collectif s’organise du côté de Bastille, qui accueille des femmes de tous âges et de tous horizons. On y fait connaissance, on y cogite pour tenter de débusquer le « Sunday killer », on y réfléchit, aussi, aux formes de la domination masculine. L’autrice raconte peut-être moins la traque d’un tueur pathologiquement misogyne (à travers des patrouilles dans la capitale quadrillée en secteurs), qu’elle ne raconte des histoires de femmes. Outre Eva, l’inspiratrice de ce groupe de parole et d’action, on suit Aurélie, Jacqueline, Anaïs, Stella, Louise, autant d’expériences différentes de la vie, autant de sensibilités qui se croisent, se confrontent parfois.

Cette convergence des femmes au sein d’un collectif de lutte agit comme un révélateur de ce que chacune porte en elle. Il est le lieu d’une mise en mouvement contre la passivité et d’une mise en mots de soi. S’engager ici, à ce moment-là, dans cette atmosphère délétère, dit quelque chose de la prof de philo, de l’ex-braqueuse passée par la case prison, de la fille-trop-belle sosie d’Anita Ekberg, de l’ouvrière dans une usine de biscottes, de la théâtreuse. Leslie Kaplan délie les langues sans faire étalage de thèses. Elle n’expose pas des vies comme des planches entomologiques, non, elle donne corps et voix en raboutant des bribes du passé des unes et du présent des autres. La sobriété de l’écriture, flirtant avec l’oralité sou- vent, sait se faire évocatrice pour dire ces vies mobilisées, décousues mais combatives. Bref, c’est un patchwork métaphorique: voilà des femmes qui ne sont plus spectatrices mais actrices de leur vie.

Anthony Dufraisse, Le Matricule des Anges, mai 2024



Toutes ensemble sur la piste du tueur de femmes

LITTÉRATURE Alors qu’un assassin adepte des féminicides sévit à Paris, un collectif se monte pour l’empêcher de nuire. Une fable politique de Leslie Kaplan.

Le titre de ce petit livre sonne comme celui d’un roman de Simenon ou d’un film en noir et blanc des années 1940. C’est pourtant bien l’époque actuelle, sa violence, ses colères et ses féminicides, que met en scène Leslie Kaplan dans une fable diablement politique. Dans la lignée d’Un fou (2022), qui invitait au désordre en démontant avec humour le vide du langage politique, l’Assassin du dimanche prend l’allure d’un conte pour inventer une utopie féministe où l’élan collectif vient à bout d’un tueur de femmes. Symptôme d’une société en proie au chaos où de nouvelles dominations se font jour, l’assassin du dimanche est un «psychopathe criminel » dont on ne sait presque rien. Venue de banlieue, Eva, amoureuse de Kafka et échappée d’un précédent livre de Leslie Kaplan (le Psychanalyste, 2001), organise le Grand collectif de la région parisienne pour le « mettre hors d’état de nuire». Dans l’arrière-salle d’un café près de la Bastille, des femmes qui n’auraient jamais dû se croiser vont se rencontrer: Aurélie, ouvrière dans une usine de biscottes; Jacqueline, ancienne braqueuse; Stella, splendide mannequin; Anaïs, professeure de philosophie; et Louise, femme de théâtre. Plus que la traque du tueur, presque accessoire, ce sont ces femmes qui intéressent Leslie Kaplan, la manière dont elles prennent leur vie en main et trouvent une issue ensemble, prêtes à déplacer les montagnes.

Sophie Joubert, L’Humanité, 13 juin 2024



Agenda

Mercredi 4 décembre à 19h30
Leslie Kaplan au Lieu Unique (Nantes)

Le Lieu Unique

Quai Ferdinand-Favre

44000 Nantes

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Et aussi

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