Un homme, le narrateur, accompagne ses enfants à la plage, sympathise avec les uns et les autres à la sortie de l’école, avec ses nouveaux voisins, et semble se couler dans le quotidien et la banalité d’une vie familiale et sociale. Mais tout l’art de ce premier roman est de faire entendre la fêlure ou la dissonance au cœur même de cette simplicité : « Je ne surveillais plus mes enfants. Moi qui l’avais toujours fait de manière scrupuleuse, je les laissais divaguer et en fin de compte cela ne se passait pas si mal que ça. » L’univers de Franck Mignot tient dans ces quelques lignes, dans ce « cela ne se passait pas si mal que ça »,...
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Un homme, le narrateur, accompagne ses enfants à la plage, sympathise avec les uns et les autres à la sortie de l’école, avec ses nouveaux voisins, et semble se couler dans le quotidien et la banalité d’une vie familiale et sociale. Mais tout l’art de ce premier roman est de faire entendre la fêlure ou la dissonance au cœur même de cette simplicité : « Je ne surveillais plus mes enfants. Moi qui l’avais toujours fait de manière scrupuleuse, je les laissais divaguer et en fin de compte cela ne se passait pas si mal que ça. » L’univers de Franck Mignot tient dans ces quelques lignes, dans ce « cela ne se passait pas si mal que ça », litote annonciatrice du pire. Ce premier roman devient le roman du mensonge dans l’existence, dans le couple. Il décrit la fascination pour la vie matérielle, pour son exactitude désolante et le désordre qu’elle crée. Franck Mignot donne au quotidien, à la banalité qui unit une femme et un homme, une dimension vertigineuse. Il écrit le silence, non pas celui de la sérénité, mais celui de l’incompréhension et du malaise social, intime, sexuel. Ses phrases peuvent sembler anodines, insignifiantes, mais au détour d’un mot elles annoncent l’imminence de la catastrophe. L’abandon, la trahison, la lâcheté et la solitude. Lorsque plus aucune discussion n’est possible, que peut faire un personnage face aux autres qui se taisent ? Accepter le vide et le silence, ou alors ne plus être raisonnable. En quelques pages, le décor est planté, en disant le moins possible des lieux, des personnages. Un détail, un geste, un mot. Le récit avance plan par plan, jusqu’à la catastrophe que personne ne voyait venir, et qui elle aussi semble soudain appartenir à cette vie plate et silencieuse.
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Le singulier premier roman de Franck Mignot, Mollesse, ne se prend pas au sérieux tout en virant au drame.
Un roman mêlant l’anecdotique à la gravité, l’humoristique au tragique : tel est Mollesse, de Franck Mignot, qui fait une entrée saisissante sur la scène littéraire. Foin des petites histoires calibrées : l’incertitude est au rendez-vous. Longtemps – et c’est une grande qualité ! – le lecteur ne sait pas exactement ce qu’il est en train de lire. Non seulement en termes de récit, mais aussi de ton, de registre. La dédicace, déjà, a de quoi surprendre : « À la merde qui sent toujours, quoi qu’il arrive ». Du trash ? Du punk à chien ? Du premier degré ?
On est en période de confinement (avril 2021), dans une ville côtière, en Bretagne. Les premiers chapitres ne développent pas vraiment d’intrigue. Le narrateur se promène avec ses enfants, ne s’entend plus avec sa femme, a deux amis qu’il voit le plus souvent seul. On remarque surtout sa frustration sexuelle et ses observations cocasses, frisant parfois l’absurde, de type sociologique ou sociétal. Il y a là un petit côté Houellebecq qui serait sympathique, jamais méprisant, sans jugement moral sur ses personnages ni posture réac. En témoignent les pages subtilement abrasives sur l’émission d’une chaîne qu’on reconnaît être C8. Le coït est son obsession lui qui n’a plus de relation de cet ordre avec sa femme. Obsession larvée, honteuse, coupable puisque synonyme d’adultère, qui donne l’occasion à l’auteur de multiplier les variations sur les rapports de domination, fantasmés ou non, que les hommes entretiennent vis-à-vis des femmes. Le titre, Mollesse, n’est d’ailleurs pas complètement étranger à ce paradigme sexuel, avec les consonances dépréciatives qu’on peut y entendre. Quand, enfin, le narrateur passe à l’acte avec une voisine qui s’offre (trop) facilement à lui, c’est un piège.
Le roman vire alors au drame. Sans jamais se prendre tout à fait au sérieux, au fil d’une écriture suffisamment souple pour passer d’un genre à l’autre, il aligne un suicide, des meurtres et des questions existentielles. Le narrateur devient aussi trouble qu’il semblait jusqu’ici transparent. Le même être moyen (sinon médiocre) sort du commun. À la fois horrible et grandiose. Et sur le point de créer, enfin, quelque chose. Mollesse, décidément, est un roman bien singulier et très prometteur.
Christophe Kantcheff, Politis, mars 2023