— Paul Otchakovsky-Laurens

Sex Detectives

Noa Ymar Lions

Ce premier roman est une drôle d’énigme. D’abord parce que son auteur ou son autrice ne tient pas à révéler son genre ni ses origines. Il ou elle vit à l’étranger mais écrit en français. Et parce que Noa Y. Lions raconte comment deux amis de lycée créent une agence un peu particulière, spécialisée dans les enquêtes à caractère sexuel, de tous ordres, répondant à chaque désir, à toute demande ou inquiétude. « Difficile d’évaluer précisément leur âge, disons 30-35 ans. Elle, Dougheurl : grande, bien faite, sexy. Lui, Duboï : grand, bien fait, sexy. Ils ne se...

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La presse


Drôle d’en(qué)quête


« Sex Detectives ». En voilà un titre alléchant. L’ennui, c’est que les inventeurs de cette profession inédite, Dougheurl (une fille) et Duboï (un garçon), ne savent pas exactement en quoi elle consiste. Leurs clients semblent mieux renseignés qu’eux. La dénommée Sept les engage afin d’être surprise sexuellement. Melvil, lui, veut retrouver son amant de jeunesse, un certain Martin aux mensurations de rêve. Un homme « au trop grand et trop petit pénis » s’inquiète des siennes (de mensurations) et s’exhibe à tout va pour savoir ce qu’il en est. Quant à Judith, elle aimerait que ses partenaires cessent de se prendre pour Holopherne et de paniquer (fonctionne en deux mots aussi). Ce n’est plus l’Agence Duluc, mais Ducul. Seulement nos Dupont et Dupond de l’investigation fantasmatique ne sont pas les couteaux les plus affûtés. Et un fâcheux dégât des eaux ne vient pas arranger leurs affaires. Dans ce premier roman déluré aux airs de vaudeville polyamoureux, il est autant question de fist-fucking que de Borges ou de Nabokov. Il est signé d’un.e certain.e Noa Y. Lions. On jurerait qu’il s’agit d’un nouveau pseudonyme d’Emmanuelle Bayamck-Tam, mais nous ne sommes pas « text detective ».


Élisabeth Philippe, L’OBS, mars 2023



Incorrect, hilarant, absolument fabuleux, ce premier roman chahute nos convictions sexuelles au gré d’une enquête des libidos contemporaines menée par deux personnages irresponsables.


La lecture de ce premier roman d’un.e certain.e Noa Y. Lions, écrivain.e anonyme, donne envie de sortir dans la rue en hurlant d’un fou rire intense – si tant est qu’on veuille courir les rues en hurlant de rire, ce qui pourrait être mal interprété par les passant.es. Égarement pour égarement, c’est à un bel esprit de nonsense – dans l’acceptation anglo-saxonne du terme – que carbure Sex Detectives, titre aguicheur mais intriguant. Noa Y. Lions a la bonté de nous en fournir le mode d’emploi : « Sex : le mot se comprend de lui-même. Et detective, cette alliance lexicographique évoque les films américains à grand public dans ce qu’ils ont de plus passionnant et ouvre tous les possibles ». C’est-à-dire ? « Mêler sexologie, psychologie, pornographie et amour afin de mieux cibler la clientèle ».


Qui dit clientèle suppose fournisseur : ici, une mini-agence tenue par deux étranges olibrius. Une femme et un homme. À la fois myope et presbyte, l’auteur.ice ne tient pas, ni de près ni de loin, à donner trop de détails. « Difficile d’évaluer précisément leur âge, disons 30-35 ans ». Comme on a quand même soif d’en avoir plus, il est écrit que la femme est « grande, bien faite, sexy » et que l’homme est « grand, bien fait, sexy. »


Ce qui va de soi, comme dans toute logique de l’absurde, car « qui voudrait d’un ou d’une sex detective impuissant ou frigide et sans imagination ni intelligence ? Les nutritionnistes obèses ne font pas recette.  » La femme se nomme Dougheurl et l’homme, Duboï. Patronymes foutraques qui permettent de les imaginer à notre guise, par exemple comme une mixture des actrices britishissimes Jennifer Saunders et Joanna Lumley. Autrement dit : Absolutely fabulous ! »


Dans leur appartement parisien « aménagé pour en jeter à la clientèle aux heures de bureau », leur première « prise » est une femme : « Je cherche quelqu’un pour le sexe […] J’ai un cœur grand comme ça.  » Rien que de banal, sauf qu’il est précisé en une sorte de didascalie : « Elle fait pour montrer la dimension de l’organe le même geste qu’exécuterait un homme pour vanter celle d’un membre plus attendu dans un cabinet de sex detectives. » Le membre en question sera celui d’une deuxième prise qui s’angoisse que son pénis soit trop grand au repos et trop petit en érection.


Nos détectives sauront apaiser le surnommé « Trop grand-Trop petit ». Question de confidentialité, il et elle désignent en effet leurs clientes et les personnes recherchées par des sobriquets : Sept ou Holopherne ou, plus simplement, un certain Martin, autrefois élève dans un pensionnat de garçons (dit des Bons Enfants) où, bien doté pour son jeune âge, il devint le sextoy de ses camarades qui lui « tendaient leur cul comme un mendiant sa sébile, avides, ils n’en avaient jamais assez. Jamais des filles ne se seraient conduites comme ça, le mythe de la virginité a aussi du bon. Tandis que là, les garçons ne craignaient rien, la belle-famille n’allait pas leur tâter l’anus avant le mariage. » Ismaël, ancien cul à dispo de Martin et vivant dans le regret éternel de cette relation de jeunesse, charge Dougheurl et Duboï de le retrouver. D’autres investigations suivront…


Ce récit foufou autant que fofolle, écrit dans un français ciselé, est le roman des sexualités contemporaines que l’on n’osait plus espérer. Parfois foutrement incorrect, toujours hilarant, au fil d’un art du dialogue qui frôle Beckett. Par exemple, lors d’un échange avec la cliente Sept : « – il n’y a pas que le sexe dans les relations sexuelles, dit Duboï.
– Dieu merci, ajoute Dougheurl pour que Sept comprenne qu’aucun élément genré ne doit mettre en cause l’assertion précédente.
– Ça compte aussi de savoir si l’autre est vegan ou boucher, patient ou paranoïaque, fan de théâtre et de spectacle vivant ou confiné dans l’analphabétisme, continue Duboï qui ne s’arrêterait pas en si bon chemin dichotomique si Sept ne l’interrompait.  »
Notre favori ? Un aparté sur le fist fucking : « Vous savez que le fist fucking est une pratique ne datant que du vingtième siècle, dont même les Grecs de l’Antiquité, si inventifs, n’avaient pas eu l’idée, dit Dougheurl pour donner du crédit à ses phrases suivantes parce qu’il n’y a pas de raison que les hommes se prétendent les usagers exclusifs du fist fucking jusque dans la conversation ».


Sex Detectives se terminera par un beau mariage mais avec juste ce qu’il faut de dragées au poivre pour qu’il soit délicieux de l’avaler de travers.


Gérard Lefort, Les Inrockuptibles, février 2023