Jugeant que le marché du polar en milieu urbain est saturé, Gérard Gabert, écrivain modeste, décide de se consacrer au polar rural. Accablé par le prix des loyers et de la vie à Paris, il décide d’aller s’installer dans le village de Chamoison en Haute-Loire. Il quitte la grande ville et ses habitudes de citadin pour faire l’apprentissage de la campagne et écrire sous la dictée du pays. Il n’a aucune peine à inventer les horreurs campagnardes qui nourrissent ses livres à couvertures bariolées, mais il est plus perplexe devant les réalités de la vie au village. Il est encombré de lui-même et doit se faire accepter, se faire une place sans jouer des épaules, tenter de comprendre pourquoi la jeune Lune recrute des cohortes d’hommes sur internet, pourquoi Marsou le Preste tire si bien à la pétanque, pourquoi Bandelmas fait hurler les moteurs de ses bolides sur les routes de montagne. La petite Magali, sa voisine lui donne quelques conseils et la terrible grosse Claudine lui assène quelques vérités villageoises. Il travaille. Cependant, loin de là dans la capitale, son amie de collège, celle qu’il a surnommée Jeune-Vieille et qui est devenue une romancière célèbre, pense à lui et en parle avec son éditeur Robert Dubois. Elle pense qu’un autre « livre de Gabert » se cache dans les forêts.
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Quand la fiction court après l’orgasme
Le rire conserve. Prenez Paul Fournel, grand oulipien devant l’Éphémère (il a rejoint l’Oulipo en 1972) et auteur de plus de trente livres. Son dernier roman, Le Livre de Gabert, est un hymne à l’écriture, aux relations humaines et à la picole. On le lit la joie aux joues. Gabert, personnage attachant et grassouillet, s’exile dans un patelin paumé. Lui le Parisien fauché, auteur de polars urbains, fatigué de faire le nègre pour boucler ses fins de mois, a décidé de changer de vie. II passe au polar rural. Évidemment, ce n’est pas si simple. Le silence le fait flipper, un moustique « qui présentait le meilleur rapport poids emmerdements de la faune terrestre » lui mène la vie dure, son éditeur le harcèle. Et il peine à trouver l’inspiration. II retrouve son amante, Jeune-Vieille (héroïne d’un précédent roman très drôle aussi, qui contait les démêlés de cette autrice avec ses éditeurs). Elle arrive de Paris et lui demande : « - Tu fais quoi de tes journées ? - Je regarde. - Et tu vois quoi ? - Rien que des paysages bio. » Tout est dans un jeu de double regard : ironique de Gabert sur lui-même. Mais tendre et affectueux sur les personnages rencontrés dans ce trou. Magali, gamine malicieuse, Lune, une jeune femme étrange, les patrons du bistrot, le garagiste...
Un très bel épisode est la rencontre de Gabert avec un nouvel éditeur - ils commencent au Tullamore Dew dans son bureau – l’éditeur lui raconte sa quête, « J’en ai marre tous les jours et tous les jours j’ai de l’espoir. Rien n’est plus bandant que de trouver un matin une perle, un texte d’un inconnu qui t’emporte ». II lui donne des conseils, puis ils vont dîner au Chai de l’Abbaye, rue de Buci, un repas fort arrosé. Le lendemain, dans le TGV qui le ramène dans sa campagne, Gabert, muni d’une gueule de bois homérique, tente de se remémorer les épisodes de la veille. On s’étouffe de rire à la lecture de cette beuverie littéraire. Et on tombe de ravissement quand ce diable de Fournel nous fait comprendre ce qu’est en réalité le livre que nous tenons en mains.
Anne Kiesel, Le Matricule des Anges, juin 2023
Avez-vous lu Gabert ?
Je l’avoue : je n’ai jamais rien lu de Gérard Gabert. Ni « la Rage verte », ni « Les Doigts dans l’étau », ni « Atroce douceur », ni « Dépeçage rose ». Il est vrai que les Editions Sans Espoir, où Gabert publie sans illusion, ne font pas de services de presse et que les librairies mettent rarement ses romans en bonne place. Ce sont des polars ruraux, qui tirent vers le gore, l’horreur dans le pâturin, le massacre à la débroussailleuse. Des noirs au vert, présentés sous des couvertures criardes. Gabert les écrit comme on débite du petit bois. Pour se chauffer. Célibataire bedonnant, il loue une maisonnette à Chamoison, en Haute-Loire, située entre un éleveur de moutons et un céréalier-garagiste. Ancien Parisien, chassé de la capitale par le coût exorbitant de la vie et la modicité de ses droits d’auteur, il s’est installé à la campagne pour « écrire à pas cher », faire le plein de silence, peindre sur le motif et donner de l’air pur à son inspiration. Sa seule distraction est la fréquentation du bar PMU, où l’on boit, mange, et joue à la belote devant la télé allumée. Ses seuls compagnons de chevet sont Lao Tseu, Jacques Jouet et Maurice Pons. Ses seules visiteuses sont la petite Magali, neuf ans et demi, à laquelle il raconte des histoires horribles, et Adèle, alias Lune, la fille du boucher, qui tient les gens du pays pour de « doux dingues étriqués » et choisit ses amants sur les sites de rencontres. Parfois, Gabert quitte le village, où il fait aussi l’écrivain publie, pour se rendre en 2CV dans des Salons du livre et vendre ses polars comme des fromages bio. C’est ainsi que, à Moulins, il a croisé Geneviève Roy, ou plutôt Jeune-Vieille, avec laquelle il était au lycée. Les retrouvailles furent tendres, lascives et prometteuses. Jeune-Vieille organise en effet une rencontre entre Gabert et Robert Dubois, éditeur à l’ancienne bien connu de nos services, qui va le convaincre d’arrêter de fournir à un margoulin des polars à la chaîne pour donner enfin son grand livre. Il s’intitulerait « le Jour où on a changé le jour ». Gabert relèvera-t-il le défi ?
Après « la Liseuse » et « Jeune-Vieille », le pince-sans rire Paul Fournel spécialiste du Guignol lyonnais, titulaire de la chaire de vélocipédie au Collège de Pataphysique et ancien président de l’Oulipo, poursuit, dans les champs, sa chronique cocasse de l’édition (où il a longtemps travaillé), passée de l’artisanat à l’industrie, et son portrait de l’écrivain moderne, de plus en plus seul, de moins en moins désiré. Ce roman en abyme, dont le héros « demande à l’écriture de lui dire ce qu’il veut écrire », est drôle, touchant, désenchanté et surtout édifiant. À rebours de l’époque, Paul Fournel veut croire encore qu’éditer, c’est planter des arbres. La terre est meilleure et plus riche à la campagne que chez Bolloré.
Jérôme Garcin, L’OBS, avril 2023
Le noir se met au vert
Un écrivain parisien exilé en Haute-Loire pour écrire un polar rural trempe sa plume dans la vie champêtre
Dans un roman cocasse, Paul Fournel livre le récit de Gabert. Agacé par la vie parisienne et les polars urbains, ce petit écrivain potelé doit se faire une place au sein du village de Chamoison en Haute-Loire. II ne tarde pas à être au fait de toutes les histoires des habitants du hameau et à en faire le sujet de son prochain livre: un polar rural. À travers des personnages tous aussi loufoques les uns que les autres, Gabert observe la vie champêtre à l’instar d’un Meursault passif, stoïque. II se contente des initiatives de sa vieille amie Jeune-Vieille, sans y mettre du sien sous prétexte que « c’est dur l’amour quand on est gros et lourd ». Gabert prête également une oreille attentive à son amie Lune, convoitée par beaucoup d’hommes sur une application de rencontres. Des personnages attachants de par leur naïveté, leur caractère abrupt et leurs péripéties, remplissent le silence de la campagne que Gabert a préféré au bruit parisien. Les dialogues entre le protagoniste et ses amis donnent une vive allure au roman et nous font jubiler des nouveaux faits divers du village. Une seule question subsiste au fil du récit : à quoi va ressembler le livre de Gabert ?
Lili Godinaud, L’Humanité magazine, juin 2023
L’auteur de polar mélancolique
L’angoisse de l’écran blanc, il ne sait pas ce que c’est. Le héros de Paul Fournel se nomme Gérard Gabert. Voici un prosateur prolifique ayant utilisé cinq pseudonymes et empilé des centaines de pages. Monsieur a composé des polars ruraux, avec un personnage de « Maléfique », parus à rythme régulier sous des couvertures criardes. « Les Doigts dans l’étau », « Atroce douceur », « L’Ame dans la mort », « Rage verte», c’est à lui qu’on les doit. Ses travaux de plume nourrissant si mal son homme, il a dû quitter Paris, la grande ville où il se sentait chaque jour un peu plus écrasé.
Le corpulent Gabert s’est installé à Chamoison, dans la Haute-Loire, où il a découvert le silence. II loue une maisonnette sur les hauteurs du village où il travaille la nuit dans sa cuisine. À Chamoison, explique-t-il, on est « loin de tout et à deux pas du reste ». Décoré en plastique vert et blanc, «façon PMU moderne », le bar tabac local propose un plat du jour revigorant. On peut y jouer à la coinche ou à la belote, y acheter le journal local et des cartes postales, y observer les allées et venues du patron surnommé Tréport et de Minouche, Madame son épouse.
Observer, Gabert a un don pour cela. Autour de lui gravitent des personnages hauts en couleur, tels Fourail, l’agriculteur qui fait des provisions pour deux alors qu’il est seul. Ou encore la veuve Waserman dont le mari est mort en tombant du toit et qui vit terrée dans son garage pour ne pas salir sa maison. Gabert a une tendresse particulière pour la petite Magali, très friande de ses histoires horribles. L’espiègle gamine est la fille de sa voisine Lola, laquelle élève des brebis, aime « aller à l’essentiel comme toujours le temps pressait » et lui prête volontiers sa 2CV Charleston bordeaux et noir. II faut aussi évoquer Adèle, dite « Lune ». Comptable à la scierie, elle lui semble toujours vivre « à côté d’elle même », bien qu’elle accumule les amants pêchés sur Internet…
Le livre de Gabert débord de finesse, de charme et de mélancolie. Attachant au possible, le protagoniste de Paul Fournel porte le roman d’un bout à l’autre. On accompagne volontiers ce Gabert titillé par l’envie de ne plus se cantonner aux polars ruraux et de se lancer. De marcher sur les pas de « Jeune Vieille », son ancienne camarade toujours en avance au collège et au lycée, devenue une « vraie » écrivaine dont les volumes n’ont pas de couvertures criardes. En ce qui concerne Paul Fournel, aucun doute n’est permis. L’auteur des Athlètes dans leur tête et de Anquetil tout seul est un écrivain de tout premier plan.
Alexandre Fillon, Les Echos , juillet 2023