— Paul Otchakovsky-Laurens

La Foudre

Meilleur Livre de l’année 2023 LIRE magazine

Pierric Bailly

La Foudre est un roman de la passion amoureuse et de la sidération. C’est aussi un roman qui s’inscrit dans la tradition du nature writing américain. John, le narrateur, une trentaine d’années, est berger dans le Haut-Jura. Chaque année, il passe cinq mois dans un chalet d’alpage pour garder un troupeau de brebis. Il arpente les forêts de hêtres et d’épicéas de la vallée, croise toutes sortes d’animaux sauvages : renards, chamois, lynx.


John découvre dans le journal un fait-divers impliquant un certain Alexandre Perrin, accusé de meurtre. Alexandre, son ami de lycée, devenu vétérinaire, écologiste et militant de la...

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La presse


LE BESOIN DE SAUVAGERIE


Pierric Bailly signe avec La Foudre un roman tout en sobriété autour d’un berger dans le Jura dont l’existence prend une tournure inattendue.


L’existence de Julien, berger dans le Jura, s’écoule paisiblement, entre son chalet, son troupeau, sa fiancée de longue date, et le projet de quitter bientôt ces paysages qu’il aime pour s’installer à La Réunion. Sa solitude, il l’a choisie, de même que les très rares êtres qu’il laisse entrer dans sa vie. Le bonheur, sans doute. Pourquoi, alors, est-il pris de vertige quand il apprend qu’Alexandre, un ancien camarade de classe, admiré autrefois, est en prison pour homicide? À l’adolescence, Alexandre était celui que Julien aurait voulu être, au point de s’être entraîné à rire comme lui. Difficile d’imaginer que son chemin tout tracé de réussite ait ainsi dérapé. II aurait tué un homme à coups de planche... « Ces deux éléments, Alexandre d’un côté et ce geste barbare de l’autre, sont impossibles à associer. » Julien décide de contacter l’épouse d’Alexandre, Nadia. Puis d’assister au procès. Peu à peu, il se laisse rattraper par cette histoire qui n’est pas la sienne. II est pris au piège d’une double fascination : pour l’histoire d’Alexandre, mais aussi pour son épouse. Jusqu’à ce que sa propre existence vacille, et change d’axe... Par quoi se laisse-t-on percuter ? Que faut-il pour qu’un être déraille ? Autant de questions qu’explore Pierric Bailly avec une précision redoutable, en puissant auscultateur des mystères de l’âme humaine. La narration avance à coups de déflagrations invisibles et de brusques embardées. La foudre, c’est ce hasard absolu qui fait basculer un destin. Ce feu qui court entre les êtres. Ce qui peut dévaster à jamais et vous laisser en cendres. Pierric Bailly, l’auteur du Roman de Jim, des Enfants des autres ou de L’Homme des bois, explore une nouvelle fois ce Jura qui est au cœur de sa géographie romanesque et intime. II en convoque la beauté avec une sobriété exemplaire, une poésie qui jamais ne pèse, esquivant tous les pièges de l’exaltation facile de la nature ou du lyrisme factice. L’élégie, chez lui, est douce, et toujours en sourdine. « Je sais que tout cela va bientôt s’arrêter, du jour au lendemain, tous les rituels, toutes les saveurs qui sont mon quotidien (...). Je sais que je vais devoir faire (...) sans la fraîcheur et la brume du matin, sans l’odeur de l’herbe meurtrie par l’onglet des brebis, sans l’odeur piquante de leurs crottes et sans l’odeur âpre de leur laine. Sans leurs bêlements et leurs chevrotements, sans les blatèrements des béliers, sans le carillon des clochettes, sans le regard mystérieux des patous. Sans ces bons dieux d’orage que j’aime tant, ces orages tonitruants du Haut Jura qui finiront par avoir ma peau à en croire certains. » Pierric Bailly questionne à la fois le besoin de sauvagerie et la soif de l’autre, l’absolu des principes et la nécessité des compromis, le désir de paix et l’appel de la tempête. L’émotion, ici, naît de l’épure, de l’art périlleux d’ausculter les silences et les ombres. Fulgurant.


Sophie Pujas, TRANSFUGE, septembre 2023



Coup de foudre


Jean, que tout le monde appelait John, prétendait que, pour se protéger de la foudre, il fallait allumer un feu sous un arbre, car « le feu éloigne la foudre ». Son petit-fils, Julien, que tout le monde également appelle John, aime trop la foudre pour chercher à la congédier. Berger dans le Haut-Jura, qui est la patrie de Pierric Bailly et le décor granitique de son œuvre résineuse, Julien guette les orages avec excitation, il veut que ça tonne, que ça chauffe, que ça s’électrise, il s’offre comme en sacrifice à l’« écume effervescente au-dessus de [sa] tête» et à la « colère céleste». La Foudre est le roman fulgurant d’un foudroiement Julien approchait tranquillement la quarantaine avec ses brebis, qui chaumaient sous les épicéas, ses chiens de travail, sa misanthropie coutumière et son projet de rejoindre sa compagne Héloïse, une prof d’anglais, sur l’île plus tropicale et moins hivernale de La Réunion. Mais son départ fut reporté lorsqu’il apprit, par les journaux, le crime commis par son camarade de lycée, Alexandre, devenu vétérinaire et protecteur des animaux sauvages. Dans le village de l’Ouest lyonnais où il s’était installé avec sa femme, Nadia, et leurs deux enfants, les chasseurs lui faisaient la guerre et déposaient, à la nuit tombée, sur le pas de sa porte, les dépouilles sanglantes de rapaces, renards et autres marcassins. Un jour, il chopa un individu cagoulé venu décharger deux charognes et le tua d’un coup de planche. La victime était un garçon de 20 ans et du coin. Julien, abasourdi, voulut comprendre comment son souriant, doux et sensible ami d’autrefois avait pu se métamorphoser en assassin. Il s’adressa alors à Nadia, qui en même temps lui décrivit l’enchaînement malheureux des faits et trouva, dans ses bras, beaucoup plus qu’un réconfort de circonstance. Julien assista ensuite au procès d’Alexandre et à sa condamnation à huit ans d’emprisonnement, sans cesser de retrouver en cachette la femme de ce dernier. S’il partit bien pour La Réunion, ce fut pour mieux revenir : Nadia, dont il était fou, lui manquait trop. Leur liaison brûlante, qui s’était accommodée du froid polaire, de la clandestinité et de l’anathème, n’allait pas résister à la libération d’Alexandre. Comme Le Roman de Jim (2021), La Foudre est la chronique montagneuse d’un amour impossible, où les hommes des bois qui s’égarent et les bergers mutiques aux rêves trop insolents sont finalement rendus à leur solitude d’altitude. Dans une prose rocailleuse et animale, sans fioritures ni métaphores inutiles, Pierric Bailly, ce tendre rugueux, excelle dans la peinture des passions condamnées par le principe de réalité. A ce que Georges Perros appelait « une vie ordinaire », il s’applique à donner des accents extraordinaires. Mais cela ne dure que le temps d’un mélodrame. Sur ce roman puissant et abrupt tombe une avalanche d’émotions et plane l’odeur « âpre » de la laine des brebis. On la sent à chaque page.


Jérôme Garcin, L’Obs, août 2023



La Foudre


Le rire d’Alexandre, il en est question dès la première page de l’histoire, portée par la voix de Julien - que tout le monde désormais, dans la vallée, appelle John, comme avant lui son grand père. On ne comprendra cette mention énigmatique, dans le récit de Julien/John, du rire d’Alexandre («quand je dis que j’en ris, c’est de son rire à lui», dit John), que quelque cent trente pages plus loin : quand ils étaient adolescents et amis, Julien a volé le rire d’Alexandre, «un rire sonore, un rire porté par la voix», tellement différent du sien, ce «rire contenu, comprimé, qui me faisait passer pour un type coincé, pour un type qui n’ose pas, qui ne s’abandonne pas, qui a peur de rire... ». Dans leurs manières de rire, s’incarnait la dissemblance extrême entre le jeune homme sûr de lui, à l’aisance sociale charmeuse, et son camarade pétri de mal-être, de secrètes fragilités. Un jour, Julien et Alexandre se sont fâchés, perdus de vue, mais durant toutes ces années, Alexandre n’a pas disparu de la vie intérieure de Julien: «dieu de poche», «modèle auquel me référer», écrit le jeune homme - mais ne pourrait-on pas parler d’occupation, d’envahissement... Un climat troublant, comme la présence invisible d’une sourde menace, ou la certitude d’un fatum en marche, drape le septième roman du talentueux Pierric Bailly (L’Homme des bois, Les Enfants des autres, Le Roman de Jim...) et met sous tension sa narration en apparence posée. C’est l’une des beautés de ce récit intimiste, remuant, parfaitement maîtrisé, que cette subreptice sensation de malaise qui s’installe et s’amplifie. Une ambiguïté que reflète le paysage où s’ancre l’histoire de Julien, berger solitaire, spartiate et misanthrope : la montagne sublime et âpre, écosystème aux équilibres naturels précaires, domaine des brebis, des chiens de troupeaux, des chamois et des lynx boréaux - félins majestueux et discrets, témoins silencieux de l’aventure intérieure de l’incertain narrateur.


Nathalie Crom, Télérama, 26 août 2023



La Foudre, de Pierric Bailly : l’amour dans un ciel sans nuages


L’écrivain réinvente le triangle amoureux dans un roman riche en paradoxes et retournement


Avec son héros berger dans le Haut-Jura, féru d’observation animalière, qui aime plus que tout les orages, le bruit du tonnerre et les éclairs, La Foudre ¬semble s’inscrire dans la veine contemporaine du « nature writing », genre littéraire qui fait des grands espaces et du monde sauvage les personnages principaux. C’est pourtant dans la réactivation d’un thème indémodable – le triangle amoureux – que le nouveau roman de Pierric Bailly puise son énergie. Plutôt que la vie de la faune et de la flore, c’est celle des émotions qui est la source vive du mouvement narratif, court-circuitant au passage les discours attendus sur la grandeur des sentiments que provoque la beauté de la nature : c’est, ici, parce qu’il est amoureux de Nadia, compagne d’Alexandre, un ancien ami de lycée, que Julien se hisse à une hauteur de sentiments inconnue.


Electrisant le style de ce grand roman d’amour, le coup de foudre entre Julien et la femme d’Alexandre, son ancien mentor, est aussi inéluctable que bouleversant. Le narrateur a-t-il eu tort à l’adolescence, se demande-t-il, de prendre Alexandre comme modèle, au point de lui « emprunter » son rire, qu’il jugeait plus communicatif que le sien ? Aurait-il dû mettre en doute l’image cultivée par son ¬camarade, qui se présentait comme un « mec doux, sensible, intel¬ligent », militant de la cause ¬environnementale ? Car le « mec doux » vient d’être incarcéré pour meurtre après avoir, sous l’effet de la colère, frappé d’un coup de planche un jeune chasseur…


S’il y a une part d’ironie tragique dans le destin de ce végétarien qui n’aurait, dans sa jeunesse, pas fait de mal à une mouche, l’écriture de Pierric Bailly n’est jamais railleuse. Le roman se garde aussi de juger le choix de Nadia de vivre dans le mensonge : pour leur épargner la honte d’avouer que leur père est en prison, elle demande en effet à ses enfants de dire à leurs camarades qu’il est mort, les éduquant ainsi en « menteurs patentés ». Elle prête à Julien, avec tout autant de facilité, une vie fictive, afin de détourner les soupçons que pourrait avoir Alexandre quant à la place de son ancien camarade auprès des siens. Comment, au fond, distinguer les fictions qui aident à vivre des mensonges qui gâchent la vie ?


Effets de connivence


Narrées à travers la voix de Julien, les tribulations de ce trio – le mari est en prison, et l’amant joue les soutiens de famille en l’absence du père – laissent les deux amoureux, et le lecteur avec eux, croire à la fiction de ce couple illégitime. Riche en paradoxes et retournements, la narration de Pierric Bailly, dans ce septième et ample roman, se tient au plus près des circonvolutions des personnages. La nature sauvage élargit leur psyché : se coulant dans les micro-événements de leur quotidien ou les revirements brusques de leur pensée, l’oralité de la phrase donne à l’ensemble beaucoup de force, créant des effets de connivence pleins d’empathie. Sans surplomber les événements, Pierric Bailly fait partager au lecteur l’expérience de son narrateur en se glissant dans son flux de conscience. Etape par étape, de l’attente à l’inquiétude en passant par l’euphorie amoureuse, la phrase de l’écrivain se déploie voluptueusement – Julien parvient à s’« abandonner vraiment à ce qu’[il] vit avec Nadia » et à se « laisser porter par la seule joie d’être -ensemble ».


La Foudre réussit avec délice à nous faire ressentir les âges que ¬Julien traverse : de nouveau, il a « 8 ans », « 12 ans » – il « retombe en adolescence », nous faisant éprouver stylistiquement la ferveur, le désir. Analysant ses réactions, doutant de ses interprétations, le narrateur se redécouvre inexpérimenté et spontané comme s’il était encore à l’âge des possibles. L’évidence avec laquelle le romancier présente cet état, cette candeur pleine de fougue, comme dési¬rable et précieuse empêche de la dévaluer – il faut avoir quitté depuis longtemps l’adolescence pour en apprécier rétrospectivement la valeur… En interrogeant ce qu’il reste de jeunesse chez ses personnages, Pierric Bailly s’affranchit de tous ses modèles pour écrire un roman maîtrisé sur le désordre amoureux. Un roman de la maturité.


Florence Bouchy, Le Monde, 7 septembre 2023




Agenda

Du jeudi 13 juin au dimanche 16 juin
Pierric Bailly au festival Le murmure du monde

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Pierric Bailly, La Foudre , Pierric Bailly invité de Marie Richeux BookClub France Culture