— Paul Otchakovsky-Laurens

Python

Nathalie Azoulai

« Les machines du monde tournent grâce à des programmes informatiques qu’on appelle le code. Cette révolution technique ressemble à celle de l’électricité à la différence près qu’elle se compose de langages, de grammaires, de traductions, toutes choses qui devraient nous concerner mais dont nous ignorons tout. Je suis une femme, j’ai plus de cinquante ans, je suis écrivain et, malgré tous ces handicaps, je veux apprendre à coder. Je veux comprendre ce qui se passe sous les doigts des jeunes codeurs qui pianotent jour et nuit, font défiler sur leurs écrans noirs des lignes de signes multicolores, véloces, écrites dans notre alphabet mais que...

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Vertige du code

Dans les années 1930, une blague circulait dans l’Europe bourgeoise, intellectuelle et lettrée (on la trouve dans Proust contre la déchéance, de Jozef Czapski, Noir sur Blanc, 2011) : pour que Proust soit enfin lisible et devienne un écrivain populaire, il faudrait le retraduire en français d’après la traduction polonaise. Boy Zelenski, le traducteur, avait en effet dénoué la phrase, supprimé la plupart des subordonnées relatives, ajouté des alinéas, des dialogues à la ligne, donnant du roman une version aplanie.

Aujourd’hui, une autre plaisanterie mi-figue, mi-raisin consiste à demander si l’intelligence artificielle (IA) pourra un jour écrire du Proust. Certains se récrient en disant que cela n’arrivera jamais. D’autres se font les avocats du diable et affirment avec une assurance tranquille que la machine parviendra bien un jour à attraper le style de Proust dans ses filets. Ce que l’IA fait à la littérature est le sujet principal de Python, de Nathalie Azoulai, qui met en scène une écrivaine d’une cinquantaine d’années, dont l’obsession est d’apprendre à coder. Dans son roman précédent, La Fille parfaite (PO.L, 2022), elle confrontait déjà les sciences et les lettres à travers deux amies, l’une brillante mathématicienne et l’autre ne vivant que par les livres. D’un ouvrage à l’autre, elle plaide pour la conciliation des deux.

Comment crée-t-on aujourd’hui des mondes ? En imaginant des histoires dans des livres ou en produisant des lignes de code? La narratrice de Python refuse de partager l’univers en deux avec, d’un côté, un monde de signes complexes, labiles et sensibles, qui serait celui des productions en langages humains, et, de l’autre, un monde simplifié et autoritaire en base binaire. Elle s’intéresse au code parce qu’elle sait qu’il a changé sa manière de vivre, de travailler, d’écrire. Google a changé nos façons de chercher, mais aussi de penser. A l’échelle de la littérature contemporaine, constate-t-elle, il a conduit par exemple à multiplier les fictions « qui romancent la vie d’un personnage historique connu ou inconnu » en s’appuyant sur des sources plus ou moins infinies, plus ou moins vérifiables.

En revanche, si elle souhaite apprendre le langage de programmation Python, plutôt que le C++ ou le Javascript, ce n’est pas simplement parce qu’il est le plus répandu du moment, utilisé par Google, Instagram, Spotify, Netflix, etc. mais bien entendu à cause de son nom. On ne se refait pas : elle convertit en images, métaphores ou références mythologiques - bref en codes ce que le code informatique a lui-même converti. Python : L’Homme à la peau de serpent, de Sidney Lumet (1960), le sac de Tippi Hedren dans Les Oiseaux, de Hitchcock (1963), le comble du fétiche.

Ce roman d’initiation est constamment décalé et comique. Au lieu de mettre en scène une jeune femme qui découvre l’existence, il implique une femme d’âge mûr contrainte de tirer son savoir des jeunes et d’affronter un univers radicalement étranger au vieux monde, un nouveau langage qu’elle n’a aucune chance de maîtriser. Elle s’inscrit dans une école de code, demande au fils d’un ami de lui donner des cours, communique par courriel avec l’inventeur de Python, rencontre successivement de jeunes codeuses qui ont l’âge de ses filles. Elle découvre – et raconte – l’histoire du code depuis la seconde guerre mondiale, de Grace Hopper aux géants actuels de la tech. Elle s’essaye à l’écriture d’un roman avec ChatGPT.

Elle se décourage mais tient bon, en continuant bien sûr à écrire son bon vieux roman, même si elle en éprouve (ou feint d’en éprouver) l’anachronisme. Surtout, elle prend la mesure du monde concret, étendu et sensible constitué par les centres d’hébergement de données et les câbles qui assurent leur transit entre les continents. « Le plus fou s’appelle 2Africa et mesure 52 000 kilomètres. Il part d’Europe, fait le tour de l’Afrique, passe par le canal de Suez, la Méditerranée, pour revenir en Europe. » Le ficelage de la Terre par des tuyaux dans l’océan est nettement plus inquiétant que l’image aérienne du cloud, ou « nuage », et il peine à devenir mythologique malgré ses vingt mille lieues sous les mers.

Nathalie Azoulai s’intéresse beaucoup au XVIIe siècle et à Racine – on se souvient d’un très beau de ses livres, Titus n’aimait pas Bérénice (P.O.L, 2015). S’il y a bien eu un siècle du code, c’est celui-là, qui contrôlait tous les langages. S’intéresser à la révolution graphique des programmes informatiques n’est pas une tâche absurde pour celles et ceux qui écrivent. Après tout, les codeurs aussi écrivent, et la connaissance, même incomplète, de leur écriture peut introduire une brèche dans la traduction totale qu’ils prétendent faire du monde. Si l’on remplace « qui dort » par « qui code » dans la célèbre phrase d’A la recherche du temps perdu : « Un jeune homme qui dort tient en cercle autour de lui le fil des heures, l’ordre des années et des mondes », on donne toute sa puissance et sa poésie au codeur. Reste à savoir quelle place donner, dans ce langage, à l’espace intermédiaire, flottant et incertain, du rêve.

Tiphaine Samoyault, Le Monde des Livres, 19 janvier 2024.



Nathalie Azoulai : ChatGPT pourra-t-il un jour écrire comme Proust ?

En refermant Python le nouveau livre de Nathalie Azoulai, les geeks, les fierce nerds, les codeurs, les langages de programmation, l’IA (l’intelligence artificielle), Grace Hopper, Guido Van Rossum, John Von Neumann, Jacob Moreno, Mark Zuckerberg et tant d’autres encore, plus ou moins connus, n’auront plus aucun secret pour vous. Vous serez prêt pour votre prochaine soirée en famille. « Que répondre à votre belle-sœur qui ne comprend rien aux nouvelles technologies ? » (copyright la newsletter du magazine français L’Obs). Et les 222 pages que vous aurez lues vous auront amusé tout en vous instruisant. Que demander de plus ?

Ceux qui connaissent l’œuvre de l’autrice française (Nanterre, 1966) retrouveront dans Python deux des thèmes de prédilection que Nathalie Azoulai avait notamment abordés dans La fille parfaite (P.O.L, 2022) : la confrontation de deux mondes (scientifique et littéraire) et la représentativité des femmes dans certains métiers. Mais Python va plus loin, le serpent rampe, il se déplace d’une façon que l’on qualifiera de « perfide » en référence à un des Monty Python qui nomme ainsi la bête, nous explique Nathalie Azoulai alors qu’on la rencontre autour d’une théière dans le bar d’un hôtel du centre bruxellois. C’est la raison pour laquelle Guido Van Rossum, l’inventeur de ce langage de programmation, a choisi ce nom, précise-t-elle. Python, utilisé par Google, Instagram, Spotify ou Netflix. L’héroïne du douzième roman de Nathalie Azoulai, que l’intéressée qualifie d’autofiction, n’est autre donc que l’autrice elle-même. Une écrivaine d’une cinquantaine d’années qui a pour projet d’observer le monde du code et des codeurs et d’apprendre Python.

Mystère à élucider

« Il y a d’autres langages de programmation que Python, mais on dit que c’est un des plus faciles. Il sera certainement désuet un jour, parce que tous ces langages tombent en désuétude, mais Python a l’air encore assez vif et vivace », relève Nathalie Azoulai qui, à entendre son enthousiasme sur le sujet, en serait presque devenue une spécialiste. Souvent, pas toujours, l’écrivaine est mue pour écrire ses livres par « un mystère à élucider ». Ici, c’est l’envie de « comprendre comment ça marche » qui l’a embarquée. « Mon activité littéraire est celle de la connaissance, de l’exploration, de l’observation, plus que celle de raconter une histoire », continue Nathalie Azoulai. Elle construit pourtant magnifiquement ses histoires.

On l’aura deviné, le livre ne s’en tient pas qu’au langage de programmation. Il aurait été alors particulièrement ennuyeux. Curieuse, Nathalie Azoulai, lauréate du prix Médicis en 2015 pour son roman Titus n’aimait pas Bérénice, est loin d’être obtuse, et le tsunami de l’arrivée de ChatGPT ainsi que ses répercussions sur son travail, et dans nos vies, ne pouvaient que la questionner.

Au tout début (et elle y reviendra à deux autres reprises dans le récit), Nathalie Azoulai propose en forme de litanie, sur plus d’une page, une liste de tout ce que le codeur code. « Nos sons, nos voix, nos langages, nos affinités, nos amitiés... » « C’est venu assez spontanément. On ne se rend pas toujours compte que le code est vraiment partout. Quand on achète un billet de train, cela ne nous vient pas forcément en tête que, derrière, il y a du code. Quand j’ai commencé à m’intéresser au sujet, je me demandais, où que j’aille, s’il y avait du code », rigole l’intéressée.

La première personne qui va l’initier (« pour faire marcher un Airbus A 380, il faut un million de lignes de code, alors que pour l’A 320, seulement 100000 ») est une jeune fille ; le monde des codeurs est pourtant majoritairement masculin. « Histoire que la narratrice ne tombe pas dans le grand bain tout de suite avec un garçon qui l’aurait impressionnée, avec qui elle se serait sentie complexée. D’après les chiffres officiels, il n’y aurait que 30% de femmes dans ce milieu. Les chiffres restent stables, malgré les progrès de la société pour les femmes. Parce qu’elles n’ont pas envie de s’orienter dans ce domaine. C’est une activité assez monomaniaque », développe Nathalie Azoulai.

Quête rocambolesque

Après Chloé, l’héroïne tombe sur Margaux. « Encore une fille, pour qui cherche le jeune homme, c’est un comble, à croire que j’ai encore peur du loup », peut-on lire page 80. Tous les personnages que l’écrivaine met en scène, les a-t-elle vraiment rencontrés ? « J’en ai rencontré quelques-uns, mais que j’ai transformés, agglomérés. Je me suis quand même amusée à créer des personnages. À inventer des situations, aussi. » Qui prêtent, souvent d’ailleurs, à sourire ; la narratrice se surnommant la daronne, voire la « daromancière ». « Parce que je me suis dit que je ne pouvais pas y aller en me prenant au sérieux. Il fallait que je rende la quête un peu comique ou rocambolesque. Je vais connaître des déboires quand même. Je vais, à chaque fois, me cogner les dents et donc autant être détendue. C’est vrai que moi-même, quand je me rendais compte de la situation dans laquelle j’étais face à ces jeunes gens-là, je me trouvais tout à fait ridicule, mais bon, ça ne m’a pas empêchée de le faire », se souvient Nathalie Azoulai. Le monde à l’envers: ce sont les jeunes qui initient les vieux...

Quelque chose frappe d’emblée la femme de lettres : le peu de maîtrise du français que ces jeunes gens possèdent. «  Quand ils codent, ils ne peuvent pas oublier une virgule ni un point ou un guillemet. Or, dans les courriels que j’échangeais avec eux, il était frappant de constater que la langue courante n’a aucune importance à leurs yeux. Ils ne la valorisent pas du tout. Ce qui compte, c’est une langue écrite qui ne se parle pas », observe celle qui a été ébranlée « parce qu’ils dévaluaient ce que je valorisais ».

Toujours avec Chloé, Nathalie Azoulai ne résiste pas à lui demander d’encoder en langage de programmation : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure (dont voici le début: « 4C 6F 6E 67 74 65 »). » « La première phrase de Proust ne ressemble plus à rien: elle semble aléatoire, instable, totale- ment contingente », analyse son héroïne page 47. Proust, la belle affaire ! Marcel de son prénom, auteur français (1871-1922) dont on entend sans doute le plus parler dans les discussions quand il est question de ChatGPT. Et Nathalie Azoulai s’en est aussi emparée dans une chamaillerie entre deux de ses jeunes codeurs. « Margaux déclare que l’algorithme ne chopera jamais le style de Proust. Boris ricane, personne n’aurait pu prédire il y a trente ans tout ce que ferait l’algorithme aujourd’hui (page 111). »

Rédiger un roman avec ChatGPT

Plus loin dans l’ouvrage, alors que l’histoire du code depuis la Seconde Guerre mondiale a été brossée (depuis Grace Hopper « première à dire qu’elle code, quand elle donne des instructions à une machine » jusqu’aux géants du Web), arrive le moment fatidique : celui de la rédaction d’un roman. Avec Enzo, un nouveau codeur et... ChatGPT. Nathalie Azoulai insiste, aussi bien dans son livre que lors de l’entretien : tout ce qu’elle a écrit ou dit est sujet à réactualisation. Qu’on se le dise, Python a été rédigé au printemps 2023. Les propositions faites par l’intelligence artificielle sont bourrées de clichés, « des paragraphes dignes d’un Harlequin ». « En fait, c’est un vrai métier d’écrire », commente Enzo. « C’est le plus beau compliment qu’il puisse me faire », s’émeut l’héroïne. On laisse au lecteur, à la lectrice, la surprise du dernier chapitre où la brillante plume de Nathalie Azoulai explique, là où l’IA n’a suggéré que des platitudes, comment se mettre, par exemple, dans la peau de Mary Austin, amie de cœur de Freddie Mercury. Pour rédiger une intrigue digne de ce nom.

« Quand on écoute les codeurs, ils disent tous qu’on a lu trop de science-fiction, qu’ils ne voient pas le moment où la machine deviendra autonome. Guido Van Rossum, le créateur de Python, pense qu’on va survivre à tout cela. Il n’a pas peur d’un emballement ou d’un dépassement. Je ne sais pas si l’avenir leur donnera raison », s’interroge Nathalie Azoulai. Elle veut en tout cas voir « ChatGPT comme un auxiliaire, qui pourrait nous aider pour suggérer une idée, mais qui ne nous remplacera pas. J’ai plutôt envie de valoriser le calme des développeurs, de ne pas paniquer devant la technologie, de se dire qu’on va en rester les maîtres et que cela va permettre à l’humain d’accéder à des niveaux d’intervention plus sophistiqués. » Et si l’on terminait cet entretien sur cette note optimiste ?

Marie-Anne Georges, La Libre Belgique, 24 janvier 2024



Nathalie Azoulai : « La littérature est là pour déplier la complexité des choses », un entretien mené par Anne-Charlotte Peltier à retrouver sur la page de Zone Critique.



Une romancière apprend à coder

Nathalie Azoulai dit qu’elle ne peut plus écrire de romans sans comprendre un tant soit peu notre nouveau monde. Romancière, on lui propose de se diriger vers le « biopic » d’un codeur qui a fait fortune. C’est tellement romanesque, le destin d’un Bill Gates ou d’un Mark Zuckerberg... Non, elle veut comprendre « comment ça marche ». Lors d’un déjeuner de juin, elle est fascinée par Boris, le fils de son hôte, qui ne touche pas à un verre, tout concentré devant son ordinateur, casque sur les oreilles, sans un regard vers les convives. Son père explique : Boris a codé toute la nuit et code encore. À partir de là, la femme de lettres est obsédée par le codage comme un orpailleur par sa quête au trésor. L’écrivain, Prix Médicis pour Titus n’aimait pas Bérénice, se dit que coder n’est rien d’autre qu’une forme d’écriture – « administrative, logique, chiffrée ». La quinquagénaire, normalienne, agrégée de lettres, qui n’a pas vraiment de notions mathématiques, se lance tête baissée dans l’aventure. Elle veut donc tout comprendre, au prix de multiples migraines, mais elle ne lâche pas l’affaire. Elle remonte l’histoire de ce système, avec Grace Hopper, qui, en pleine Seconde Guerre mondiale, est la première à dire qu’elle code. La narratrice dépense une fortune en cours particuliers. Ses professeurs ont l’âge de son enfant. Les titres des chapitres sont coiffés de leur prénom. Elle rencontre Boris, Chloé, Margaux, Simon, Enzo, et les affiche sur un mur comme si elle devait débusquer un serial killer. En passant, ce sont de superbes portraits, avec une mention spéciale pour Simon. Elle échange aussi avec Guido van Rossum, le développeur néerlandais, 68 ans aujourd’hui, créateur du langage de programmation Python code que veut apprendre la romancière. Il existerait une centaine, voire des milliers de langages, dont Java, JavaScript, HTML, Swift... Google, Netflix, Uber, Spotify utilisent Python.

On suit les pérégrinations de Nathalie Azoulai, un grand voyage en terre inconnue. Autant le dire : on ne comprend pas tout – comme elle – ; et il y a des explications qui nous échappent. Mais la romancière crée une complicité – on compatit, son entêtement force l’admiration. Se dispute avec Marion, son amie prof de lettres depuis trente ans, qui ne la comprend décidément pas (« Par pitié, arrête de me bassiner avec ton code », lui lance-t-elle).

Sur deux pages, Nathalie Azoulai note ce que le codeur code : de nos voix à nos utopies en passant par nos conquêtes, nos fantasmes, nos bibliothèques, nos paysages, nos prophéties, nos anniversaires... Elle écrit tout cela sans ponctuation pour donner un effet de vertige et ajoute : « Y a-t-il encore des choses que le codeur ne code pas ? Qui soient sans accompagnement, a cappella ? »

Durant un cours avec Chloé, Nathalie dit que la jeune femme ne mesure pas l’effet que ça lui fait d’ouvrir le code tous les sites ont leur code source (« une formule magique » pour l’écrivain), elle apprend que les codes sources de Google, Facebook ou Windows ne sont pas accessibles. « Pour elle, écrit la romancière, c’est un simple réflexe professionnel, elle regarde le code source de tous les sites qu’elle fréquente, alors que pour moi, c’est comme voir l’envers du monde, descendre au centre de la terre, ouvrir un corps. Ensuite, la débutante quinquagénaire demande à Chloé d’encoder « Longtemps, je me suis couché de bonne heure. » Cela donne une suite de « 4C 6F 6E 67 74 6D... » sur trois lignes. En mode binaire, une suite de 0 et de 1 alignés sur dix lignes... Tout cela manque de poésie, mais pas de mystère. C’est exactement cela que nous enseigne la quête de Nathalie Azoulai la découverte de tout un monde, un autre langage. L’histoire avec Simon est déterminante.

Margaux, une jeune codeuse dans un milieu de garçons, qui a lu Anna Karénine et sait coder, lui explique : « On construit un monde très réglé quand on code, on nomme les choses, on leur donne des attributs et des propriétés, on se fait relire par ses pairs. Et puis, on a une postérité. » Il existerait de beaux codes et d’autres moins beaux : « On distingue tout de suite ce qui est élégant, économe, de ce qui est verbeux, boursouflé, chargé », affirme Margaux. Le style, en quelque sorte, se dit Nathalie Azoulai. Et nous, on se demande si cette histoire de code n’est tout simplement pas une définition en contrechamp de la littérature.

Mohammed Aïssaoui, Le Figaro Littéraire, le 15 février 2024



Le geek, c’est chic

Ses lignes serpentent dans les entrailles de nos ordinateurs. Tel un reptile de chiffres et de lettres hiéroglyphiques, le code ondule au cœur des machines, les dirige et les meut. Eve, non pas future mais bien de son temps, Nathalie Azoulai ne peut résister à la tentation de goûter à ce fruit défendu, qui n’est pas tombé de l’arbre de la connaissance, mais d’une arborescence. Cette envie naît d’une vision aux confins troubles de l’érotisme, lors d’une soirée chez des amis. La narratrice, écrivaine comme Nathalie Azoulai, aperçoit le fils de ses hôtes rivé à son écran, totalement happé. Il a passé sa nuit à coder, comme d’autres la passe à faire l’amour. « Il code il code il code », dit son père. Dans cette assemblée de lettrés quinquagénaires, le code est une langue étrangère. Que la narratrice décide d’apprendre. Elle veut comprendre ce qui peut obséder à ce point un jeune homme, autant voire plus que le sexe. Elle délaisse alors l’écriture de roman pour s’immerger dans cet inframonde numérique : elle prend des cours avec des jeunes codeurs et codeuses (bien moins nombreuses), leur demande d’encoder la première phrase de la « Recherche » – « La première phrase de Proust ne ressemble plus à rien : elle semble aléatoire, instable, totalement contingente » –, observe les futurs programmeurs de l’Ecole 42, correspond avec des inventeurs de ces langages informatiques tel Guido Van Rossum, père du code « Python » qui donne son titre au livre. Elle vit en infiltrée au point de s’identifier à Carrie Mathison, l’agente de la CIA de la série « Home-land ». Comme elle, l’écrivaine accroche les pièces de son enquête sur un tableau pour tenter de résoudre son énigme : qu’est-ce qui, dans le code, fascine ? Ce langage aura-t-il la peau (de serpent) de la littérature ? Avec la vélocité d’un geek sur son clavier, Nathalie Azoulai décrypte, enquête, réfléchit. Ses idées fusent, percutantes, fulgurantes. Parfois, des lignes de mots prennent l’allure de lignes de code. Mais le véritable palimpseste de son roman cyborg, cérébral et étrangement sensuel, est ailleurs, et en même temps sous ses yeux depuis toujours, comme la lettre volée de Poe. Le code qu’elle veut réellement cracker, c’est celui du « masculin ultime » : entrer dans la matrice du désir.

Elisabeth Philippe, L’Obs, 15 février 2024



« Un étonnant et savoureux voyage improvisé en direction des complexités et des simplicités de la ligne de code. Souvent hilarant, le choc entre littérature et programmation s’y révèle sous un jour inattendu.» à retrouver sur la page de Charybde27.

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Nathalie Azoulai, Python, Python, de Nathalie Azoulai

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Nathalie Azoulai, Python , Nathalie Azoulai matinale Inter avec Ali Baddou & Marion L'hour