« Léaud ne tient pas en place. Quand ce ne sont pas les doigts, les mains, les bras ou le corps entier qui bougent, ce sont les yeux qui regardent à droite à gauche, comme essentiellement indisciplinés. Résultat : une image dynamisée et un réjouissant climat de liberté, mais aussi le spectacle d’un personnage/acteur livré à lui-même, sans amarres, courant en permanence le risque d’une sorte de perdition. De là que malgré la vitalité physique et verbale, malgré la malice, la gouaille, le rire (souvent contenu), le sourire (éclatant, juvénile jusque dans le visage devenu vieux), on ressente chez Léaud un fond de...
Voir tout le résumé du livre ↓
« Léaud ne tient pas en place. Quand ce ne sont pas les doigts, les mains, les bras ou le corps entier qui bougent, ce sont les yeux qui regardent à droite à gauche, comme essentiellement indisciplinés. Résultat : une image dynamisée et un réjouissant climat de liberté, mais aussi le spectacle d’un personnage/acteur livré à lui-même, sans amarres, courant en permanence le risque d’une sorte de perdition. De là que malgré la vitalité physique et verbale, malgré la malice, la gouaille, le rire (souvent contenu), le sourire (éclatant, juvénile jusque dans le visage devenu vieux), on ressente chez Léaud un fond de détresse. »
Parmi les cinquante-quatre textes du cinéma de Léaud, dix-huit analysent le jeu de l’acteur, vingt-sept textes évoquent chacun un film (Les Quatre Cents Coups, Baisers volés, La Maman et la Putain, etc.), plus précisément une séquence dans le film, choisie parce que Léaud, révélé par François Truffaut, y est exemplairement lui-même, et neuf textes décrivent chacun un souvenir personnel dans la vie de l’auteur, un moment vécu dans la réelle compagnie de Jean-Pierre Léaud. Des Quatre Cents Coups (1959) à La Mort de Louis XlV (2015), les films évoqués se succèdent dans l’ordre chronologique, de même que les souvenirs. Ce parti-pris présente l’avantage d’une mise en perspective simple et claire : l’intemporalité des textes d’analyse traduit la permanence des œuvres ; la chronologie, dans les deux autres types de textes, donne à ressentir le défilement des années et le vieillissement des individus — en particulier l’individu Léaud, bien sûr.
Réduire le résumé du livre ↑
Le cinéma de Léaud, essai, Gérard Gavarry
Léaud fait tout un cinéma et c’est bien. Le titre, sans majuscule sur l’article défini, est heureux, résumant tout ce qu’on aime d’exagération sans grandiloquence, de pantomime, chez l’acteur mythique. «Léaud aime faire l’acteur et ça se sent. Il joue l’acteur, il joue à l’acteur. De là qu’auprès de ses partenaires sa présence dans le cadre introduit toujours une touche étonnante d’hétérogénéité.» Gérard Gavarry, écrivain fidèle à P.O.L depuis la naissance de la maison, est de la même génération que le symbole de la Nouvelle Vague. Il se remémore ici les films qui l’ont marqué, en relevant un fait significatif, un trait, un motif. Sous forme de courts chapitres sont décrites des séquences des Quatre Cents Coups et de la saga Antoine Doinel (Truffaut), Masculin féminin (Godard), La Maman et la Putain (Eustache), J’ai engagé un tueur (Kaurismäki), La Mort de Louis XIV (Serra)...
Le livre tient à la fois du recueil personnel et de l’essai affûté. L’auteur analyse la tenue vestimentaire et la gestuelle «burlesque » de Léaud, sa mobilité dynamique, son art «tactile», son lien avec la cigarette, sa façon unique de «styliser » les sentiments, d’être physique sans être sensuel. À ces particularités s’ajoutent, disséminés au fil des pages, une poignée de souvenirs d’une colonie de vacances, à Pontigny, durant l’été 1958, où l’auteur et Léaud, enfants, se sont brièvement côtoyés. Puis, bien des années plus tard, lorsqu’il l’a croisé plusieurs fois dans son quartier parisien, près du Jardin des Plantes. On devine entre les lignes de ce livre concis une urgence: rendre hommage à l’acteur du temps de son vivant. Bel exercice d’admiration, aussi pudique qu’ému.
Jacques Morice, Télérama, 18 mai 2024
Jean-Pierre Léaud, travail de mémoire
On rêverait de lire les Mémoires de Jean-Pierre Léaud, mythe singulier et monument vivant du cinéma français... mais, rien de tel n’étant annoncé, on aura plaisir à découvrir le bref et bel essai que Gérard Gavarry lui consacre. Le romancier y propose un portrait puzzle fait de courtes séquences, plus ou moins chronologiques, comme pour baliser le parcours filmique exceptionnel d’un acteur un peu à part, excédant par sa personnalité les rôles qu’il endossa chez Truffaut, Godard, Eustache ou Kaurismäki. «Retrouver dans un film un de nos acteurs favoris, écrit l’auteur, c’est la plupart du temps retrouver aussi le pays et les paysages qui l’accompagnent dans notre mémoire. » Ce travail de mémoire est d’abord un exercice de style, qui saisit la permanence et les mouvements d’un corps, son rapport aux sens, à la voix, ses sourires ou ses mains... Gavarry en est le spectateur attentif et le subtil analyste, mais aussi un peu plus que cela, lui qui glisse entre les pages du portrait des incises plus personnelles: ses « souvenirs de Pontigny », dans l’Yonne, à l’été 1958, avant le tournage des Quatre Cents Coups, où l’on comprend qu’il a croisé le futur acteur, enfant, en colonie de vacances. Cette légère infiltration autobiographique, récurrente mais allusive, ouvre le livre à un espace plus grand, celui, simplement, de la littérature, quand elle s’autorise à décrire les métamorphoses d’une vie.
Fabrice Gabriel, Le Monde des Livres, 07 juin 2024
Récit
Aucun autre acteur semble n’exister comme lui que par ses films. C’est non pas en racontant la biographie de Jean-Pierre Léaud, mais en revoyant ses longs métrages que Gérard Gavarry dresse le portrait de l’égérie de Truffaut. Où l’on mesure comme son parcours, de l’enfant des 400 Coups au vieillard de la Mort de Louis XIV, se déploie sur l’écran comme si là résidait son unique vie. À son talent de regardeur, Gavarry ajoute deux champs qui s’égrènent au fil de cet ouvrage subtil : des analyses et des souvenirs. Car Gavarry a été en colonie de vacances avec Léaud, juste avant les 400 Coups. C’est donc aussi un livre autobiographique, et une réflexion sur le temps qui passe. Car « retrouver dans un film un de nos acteurs favoris, c’est la plupart du temps retrouver aussi le pays et les paysages qui l’accompagnent dans notre mémoire, et c’est réentendre parler sa langue ».
Guillaume Lecaplain, Libération, 15-16 juin 2024
« Un kaléidoscope nommé Léaud », un article de David Azoulay , à retrouver sur la page de En attendant Nadeau.