Le premier roman de Julien Perez est un tour de force littéraire, une sorte d’installation romanesque, une polyphonie autour de la disparition d’un personnage. Gobain Machín, célèbre artiste, s’est perdu en montagne, son corps reste introuvable. Chacun prend la parole à tour de rôle pour lui rendre hommage, amis, parents, amants, artistes, galeristes, collectionneurs. À travers leurs récits, la vie de Gobain se dévoile par bribes. Certains semblent lui vouer une admiration sans faille, d’autres se montrent plus ambivalents, jusqu’à laisser transparaître un certain ressentiment. Le vernis des convenances se lézarde, l’artiste apparaît comme un homme en crise,...
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Le premier roman de Julien Perez est un tour de force littéraire, une sorte d’installation romanesque, une polyphonie autour de la disparition d’un personnage. Gobain Machín, célèbre artiste, s’est perdu en montagne, son corps reste introuvable. Chacun prend la parole à tour de rôle pour lui rendre hommage, amis, parents, amants, artistes, galeristes, collectionneurs. À travers leurs récits, la vie de Gobain se dévoile par bribes. Certains semblent lui vouer une admiration sans faille, d’autres se montrent plus ambivalents, jusqu’à laisser transparaître un certain ressentiment. Le vernis des convenances se lézarde, l’artiste apparaît comme un homme en crise, à la personnalité trouble et inquiétante. Dans un hangar de la banlieue parisienne, il préparait une mystérieuse exposition dont il refusait de montrer l’avancement, même à ses plus proches. Sa disparition pourrait-elle être liée à ce projet ?
Le doute s’installe parmi les différents narrateurs. Cette étrange cérémonie, en forme d’hommage funèbre contradictoire, dérive peu à peu vers une enquête tout à la fois psychologique, policière, artistique, mondaine. Le protocolaire côtoie l’intime et la solennité du contexte produit des constructions langagières baroques et satiriques. Le corps introuvable de l’artiste donne lieu à un portrait fragmentaire indécidable. Plus on en apprend sur Gobain, moins on a de certitudes quant à sa biographie et ses intentions. Le dévoilement va toujours de pair avec la dissimulation, le doute. Le monde de l’art contemporain avec son dispositif de mise en lumière (exposition, vernissage, public) s’oppose à une série de zones obscures chères au disparu (souterrain, hangar, grotte, mine, cave, parking). Ces deux mondes deviennent poreux, comme les voix des différents narrateurs qui dialoguent de plus en plus franchement. Les différentes prises de parole sont autant de suppositions inconciliables sur les motivations profondes de Gobain et les raisons de sa disparition, sa démarche artistique. Cet insaisissable objet de deuil devient le sujet d’un affolement.
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Hommages de Julien Perez
Dans ce premier roman brillant, une polyphonie de témoignages dit un incertain Gobain Machin, artiste fameux disparu en montagne. Vacheries, mamours, règlements de compte : une ronde magistrale qui chahute avec humour les grandeurs et misères de l’art contemporain.
Un premier roman, c’est comme un premier amour. II ne faut pas rater la marche, Hommages, premier roman de Julien Perez, ne la rate pas et n’en finit pas de grimper, à la façon d’une ascension qui ne craint pas les précipices. Le dispositif a tout d’une installation d’art moderne menée par un apprenti sorcier, entre Goethe et Mickey, qui se laisse dépasser par les événements qu’il crée tout en désirant, sans pour autant se perdre, qu’ils dégénèrent.
Un homme disparaît lors d’une randonnée dans les Pyrénées. II n’est pas un inconnu mais un artiste célèbre. Pourtant, comme une contrariété de sa notoriété, il s’appelle Machin, prénom Gobain. À qui quelques témoins de sa vie-son œuvre, proches ou lointains, vont rendre hommage à la première personne. Ils se nomment Esi, Gloria, Marilyn, Paul, Tristan, Gaëtan... Comme dans La Ronde de Schnitzler, ils et elles montent tour à tour sur le manège des souvenirs, bons ou calamiteux, armées de leur langage propre : pédant, drôle, sinistre, philosophique, inspiré, rasoir ou trivial. Ce kaléidoscope de fragments est une charge souvent hilarante du microcosme de l’art contemporain, artistes, galeristes, collectionneur.ses, marchand.es, critiques, institutions. II est aussi l’occasion de magnifiques échappées, poétiques ou hyperréalistes : un voyage à Séville, une virée en montagne, une évocation mystérieuse de l’île Bougainville. Mais il agit surtout comme une formidable exploration à la lampe sourde (voir sans être vue) des clairs-obscurs de nos âmes moribondes, travaillées et fracassées par les rapports de force et de jalousie, entre celles et ceux qui adulent le cher Machin disparu et celles et ceux qui sincèrement le détestent, parfois dans la même phrase : “Dingo adoré. Connard de dingo.” “II avait des yeux comme de l’acné." D’où parle-t-on ? D’un improbable “ici” où ils et elles se sont réuni.es. À force de soliloquer, ils et elles finissent, le récit devenant sur le tard et subitement pièce de théâtre, par dialoguer, se supporter sinon s’aimer, frotter entre eux leurs mots qui sont aussi leurs maux, devenir enfin caressantes. Jusqu’à parvenir à la conclusion qui s’impose : se taire. Et laisser Machin devenir une chose. Machin-Chose.
Gérard Lefort, Les Inrockuptibles, janvier 2025