Gaïa écrit à son éditeur en faisant ainsi l’aveu ironique de sa propre difficulté dans l’existence. Les troupes américaines se retirent d’Afghanistan, et la voilà qui décide : « L’Afghanistan, pas mon problème ! » Accablée par son époque, Gaïa croit qu’en changeant de ton et de registre, elle parviendra à mener une existence légère et gaie, comme celle qu’elle voudrait raconter dans le livre qu’elle n’a pas encore écrit.
Débarrassée de l’Afghanistan, il lui reste néanmoins ses parents. Ils ont beau vivre à New-York, ils s’incrustent dans sa vie à...
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Gaïa écrit à son éditeur en faisant ainsi l’aveu ironique de sa propre difficulté dans l’existence. Les troupes américaines se retirent d’Afghanistan, et la voilà qui décide : « L’Afghanistan, pas mon problème ! » Accablée par son époque, Gaïa croit qu’en changeant de ton et de registre, elle parviendra à mener une existence légère et gaie, comme celle qu’elle voudrait raconter dans le livre qu’elle n’a pas encore écrit.
Débarrassée de l’Afghanistan, il lui reste néanmoins ses parents. Ils ont beau vivre à New-York, ils s’incrustent dans sa vie à toute heure du jour. Au téléphone, le père, qui se convertit au judaïsme, commente inlassablement Joyce ou Hegel, assommant sa fille de recommandations et de jugements. Comment écrire une comédie avec des parents pas comiques ? À New-York, cette ville que Gaïa exècre, sa mère démolit son projet. C’est un peu léger, lui reproche-t-elle. Oui, c’est exactement l’objet du livre. Et surtout pas de romantisme ! Parce que c’est un peu caoutchouteux, l’amour. Mais quand Gaïa rencontre Marcus, un Allemand vivant à New-York, cette histoire lui colle à la peau ; dommage qu’on ne puisse se débarrasser de l’amour comme de l’Afghanistan ! Et à Paris, il faut oublier les États-Unis, ne pas céder aux injonctions de ses parents, chercher l’inspiration ailleurs. Peut-être au magazine où Gaïa est journaliste de mode, et pendant la fashion week, ou durant les soirées tout à fait convenues qu’elle observe avec ironie. Pas évident de savoir ce qu’il reste de la mode en dehors du fric et du commerce. Une pente douce vers un écœurement généralisé qui plonge Gaïa et ses deux amies dans des conversations un peu trop alcoolisées mais hilarantes. La mode, ce n’est plus un projet d’avenir ! L’a-t-elle seulement déjà été ? Et la littérature ? Laure Gouraige réussit un livre d’un humour irrésistible où le désir éperdu de légèreté ne fait que nous rappeler à nos plus vives contradictions dans l’existence.
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« La légèreté ou l’art de la comédie », un article à propos du livre que je n’ai pas écrit de Laure Gouraige écrit par Alexis Buffet et publié le 17 septembre 2024, à retrouver sur la page de En attendant Nadeau.
La comédie introuvable de Laure Gouraige
La romancière dresse le portrait d’une journaliste de mode à la recherche de la frivolité face à la noirceur du monde.
La comédie, celle, légère qui nous fait sourire, peut-elle nous préserver des désordres du monde, des situations anxiogènes et des récits de guerre qui nous entourent ? C’est la question complexe que se pose Gaïa, l’héroïne du livre que je n’ai pas écrit de Laure Gouraige. Journaliste de mode, romancière (elle vient de sortir son deuxième livre) la voici accablée par l’actualité, totalement annihilée par le sort des femmes afghanes. Déprimée, désolée, elle décide pourtant d’écrire à nouveau : ce sera une comédie, dit-elle à son éditeur, un livre d’humour et de frivolité, dans lequel elle refuse même qu’il soit question d’amour, celui-ci peut faire si mal. Pourtant des doutes l’assaillent : autour d’elle, ses amis n’ont aucune estime pour la comédie, même s’ils savent que « la France a tellement le culte du tragique ». La littérature se doit-elle d’être sérieuse ?
Un roman pour se dégager de la noirceur du monde : c’est avec ce thème si particulier que Laure Gouraige entame un voyage aussi dérangeant que dérangé, traversant avec vigueur et humour plusieurs aspects cocasses des étapes de la vie de Gaïa, qui oscille, de New York à Paris, entre la construction de son livre « léger » et l’anéantissement de son projet. Ainsi assiste-t-on à la « semaine de la mode », racontée avec une mordante ironie, croisement ubuesque entre créateurs, bijoux, marques, invités et chroniqueuses - ces dernières s’alcoolisant allègrement dans les cafés de la rue Saint-Honoré en riant des postures des mannequins pendant les défilés.
Malgré ce tourbillon moqueur, le mal-être de Gaïa perdure tandis qu’elle part à New York chez ses parents. Le père est un intellectuel qui déclame du Joyce ou du Derrida, tandis que sa mère la renvoie à la superficialité de son projet. Pendant ce temps, le livre ne s’écrit pas, sauf trois ou quatre phrases par-ci par-là. Humiliée, Gaïa va encore traverser plusieurs épreuves qui auraient pu être drôles mais ne le furent pas comme lors d’une retraite avec ses amis, sous la conduite d’une coach qui les fera jeûner pendant huit jours. Revenue épuisée, elle se confie à son ami Marcus (pour lui, elle a un petit « frémissement ») : rien ne lui convient, ni la mode trop proche de l’argent, ni la littérature, ni l’amour. Et la comédie est visiblement répudiée par chacun...
II y a quelque chose de saisissant dans Le livre que je n’ai pas écrit : les tentatives de Gaïa pour sortir de l’atmosphère morbide et angoissée de notre société (guerres, crises politiques) ont de fait une véritable actualité. Nous avons tous le désir de nous dégager de l’anxiété dans laquelle nous sommes plongés. L’humour, le doute et la dérision peuvent-ils dissiper cette inquiétude ? La comédie, genre souvent méprisé, peut-elle caresser l’ensemble d’un texte pour que la tristesse soit moins pesante ?
Finalement, l’éditeur de Gaïa va lui proposer une traduction : celle d’une « véritable comédie » américaine, pour laquelle elle pourrait s’installer aux Etats-Unis. Surprise mais heureuse elle part à New York ; la voici enfin qui « admet la possibilité d’une vie ». Elle vivra chez Marcus, avec lui, et traduira une comédie qu’elle n’a pas écrite. De quoi « croire à l’abolition de la mélancolie ». Et peut-être écrire à son tour sa propre comédie.
Arlette Farge, Libération, 10 octobre 2024
La vie, modeuse d’emploi
Gaïa est une rédactrice de mode que son magazine rémunère au lance-pierre mais qui peut au moins piocher à volonté dans l’armoire où sont stockés les accessoires somptueux offerts par les grandes marques aux journalistes les plus influents. Elle tente également d’écrire un roman léger, une comédie sans pathos qui met en scène son double (son héroïne Hermione évolue, elle, dans l’art contemporain). Gaïa versus Hermione : ainsi se déploie le roman virevoltant de Laure Gouraige (elle a publié, comme Gaïa, deux autres romans, dont Les Idées noires, chez P.O.L, en 2022).Chronique de la vie d’une trentenaire branchée, entre Paris, New York et le centre de la France où elle participe à une résidence d’écrivains, racontée avec beaucoup de drôlerie par Laure Gouraige, Le livre que je n’ai pas écrit offre un tableau à la fois satirique et désabusé du milieu de la mode et de l’édition qu’elle connaît sans doute de l’intérieur. Gucci et Proust, même combat.
Didier Jacob, Le Nouvel Obs, novembre 2024