— Paul Otchakovsky-Laurens

Pour Britney

Louise Chennevière

« J’ai écrit ce texte comme un hommage à celle que j’avais tant aimée, et que j’avais si brutalement congédiée, car se construire en tant que jeune femme avait d’abord signifié pour moi, comme pour beaucoup de filles de ma génération : apprendre très tôt à mépriser les choses que nous avons adorées. Petite fille, il n’y avait pas d’autre destin pour moi que de devenir Britney. Plus tard elle a incarné le symbole de tout ce que je méprisais de la féminité. À l’âge de trente ans, j’ouvre ses mémoires, et ce que je découvre me glace : un destin féminin rejoué sous...

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La presse


Filles perdues

Britney Spears, Nelly Arcan, deux filles souillées. Un cri de colère et de douleur de Louise Chennevière.

Ce sont deux filles. Deux filles éclatantes, irrémédiablement perdues et souillées aussi. Deux enfants que nul n’a su aimer, protéger, réconcilier. D’abord, il y a selon 1’expression consacrée, une « petite fiancée » de l’Amérique, des fans, des hommes. Princesse de la pop, la belle affaire. Britney Spears, de la belle aube au triste soir, celle que Jean Rolin, pour les besoins d’un roman (Le ravissement de Britney Spears, P.O.L, 2011), imagina enlevée. Et puis il y a cette figure de la douleur, de la mélancolie noire, figée par le deuil et le temps, Nelly Arcan (1973-2009). Autrice brûlée au feu de sa tristesse, de l’obscénité du monde, jusqu’au suicide. Et enfin, il y a elle, une autre fille, une autre femme, Louise Chennevière, dont le précédent livre avant ce Pour Britney, le splendide Mausolée (P.O.L, 2021), redonnait à l’amour fou les couleurs de la littérature. D’amour, d’amour vrai, il ne sera cette fois-ci question que de son manque. Tout ne sera plus alors que désert et désir. Britney et Nelly, sœurs d’infortune, apparues toutes deux (différemment, cela va de soi) sur la scène publique au commencement de ce siècle. Toutes deux immolées sur le bûcher des regards impurs des hommes, des pères, des grands-pères, des fils. L’éternel retour de la bonne conscience phallocrate. « Tout le monde s’insurge de la voir, embrasser sans hypocrisie, ce devenir-putain auquel elle avait, depuis toujours, été condamnée, elle qui s’était avancée sur la scène de ce monde-là, qui est un théâtre et elle allait y tenir si bien son rôle, en tenue d’écolière et vous savez la suite, ce regard. » Comment a-t-on pu supporter ça, ces questions égrillardes, ce voyeurisme pour barbons excités, cette société du spectacle dans ce qu’elle a de pire, semble se demander Louise Chennevière, sans omettre de s’inclure dans cette interrogation. Ce qui d’ailleurs fait le prix de ce cri de colère douloureux qu’est Pour Britney, écrit comme en une seule même longue phrase, haletante, puissante, épuisée, c’est de voir son autrice aller elle aussi à la corne du taureau, jouer sa peau. Ce n’est pas qu’elle soit Nelly ou Britney ; c’est que son absence auprès d’elles est ce qui fonde ce texte. N’ayant découvert l’?œuvre de l’une que tardivement et s’étant trop vite désintéressée de la chute spectaculaire de l’autre, Chennevière semble réclamer la réparation tout en sachant bien qu’on ne répare jamais rien.

Olivier Mony, LH Le Magazine, septembre 2024


« Britney ecxede tous les rôles qu’on veut lui faire jouer »

Dans son troisieme livre, l’autrice prend la défence de deux femmes célèbre à la féminite déclarée coupable : La chanteuse Britney spears dont elle fut une « fangirl » à 13ans, et l’écrivaine suicidée Nelly Arcan. Rencontre.

Peut-être y a-t-il eu, à première vue, une seconde d’étonnement de notre part, à trouver là, sur la couverture blanche et gaufrée de P.O.L, le nom de Britney-Spears, mais en connaît-on une autre ? Quelque chose, mettons, de l’ordre du mariage de la carpe et du lapin. Pour l’autrice elle-même, 31 ans, le bagage classique et des titres moins clignotants derrière elle (Comme la chienne en 2019 et Mausolée en 2021, chez le même éditeur), c’est encore une surprise. L’hiver dernier, un soir de vacances, elle finit de lire les mémoires de la chanteuse américaine, la Femme en moi (JC Lattès), et pense : « II faut que j’écrive un truc. » Le « truc » le voici, rédigé en trois semaines dans une sorte « de transe », à la première personne, ni roman ni récit, disons un texte, qui, tout au long de ses 130 pages, emporte d’une tournure, déplace d’une négation, émeut d’un placement de virgule. L’écrivaine québécoise Nelly Arcan, suicidée en 2009, l’autre figure tutélaire du livre, lue l’été d’avant, a très vite trouvé une place dans le flot, par « intuition », comme si les trajectoires et les œuvres mêlées de l’une et de l’autre ne racontaient en fait qu’une seule et même histoire – terrible, banale : celle de la jeunesse blessée, du corps convoité, de la féminité coupable – et que Louise Chennevière pouvait s’y retrouver, s’y reconnaître. A l’arrivée, elle éprouve une vraie joie à avoir pu inscrire « Britney » en fronton, à cet endroit où personne ne l’attendait, pas même elle, et à renouer ce faisant avec la fangirl qu’elle fut après plusieurs années passées à Orange (Vaucluse), elle reçoit chez elle. Ses instruments sont à peine déballés (elle fait aussi de la musique), le chiot qu’elle vient d’adopter n’est pas loin. Comment s’appelle-t-il ? « Petit chien ».

C’est votre troisième livre. Auriez-vous pu l’écrire plus tôt ?

Pas du tout. Le livre que j’ai écrit avant Comme la chienne, qui n’a pas été publié, était un texte dans lequel le personnage principal s’appelait Louis, c’était un garçon. Je viens de là. J’ai grandi en lisant des écrivains, je voulais être un écrivain. II faut du temps pour arriver à parler en son propre nom. Je pensais l’avoir déjà fait dans Comme la chienne, or c’est un livre dans lequel il y a beaucoup de jeux de miroirs, de cache-cache. Dans Pour Britney, j’ai l’impression d’avoir réussi à être extrêmement sincère, à ne plus me poser de questions sur ce qu’il faut faire, ce qu’il faut écrire, comment l’écrire. Je me sens très droite, alignée avec ce que je dis, plus obligée de me justifier.

Sauf erreur, c’est la première fois dans votre œuvre qu’on lit votre prénom, page 39 : « Louise, on voit ta culotte. »

Chaque livre témoigne d’une évolution. D’abord, il y a eu la prise de conscience d’une aliénation dans Comme la chienne, puis le jeu avec les clichés sur le désir dans Mausolée. Même s’il y a de moi dans les autres, je me montre beaucoup plus dans Pour Britney, et je sais que je l’ai fait dans un geste de solidarité. En voyant Nelly et Britney être humiliées pour des choses que j’avais moi-même cachées, notamment le rapport à mon corps, je me suis dit : elles, elles ont été exposées, donc moi aussi il faut que j’y aille. Je ne peux plus les laisser seules là-dedans. Moi aussi il fallait que je m’expose.

Pourquoi Britney Spears et pas une autre ?

C’est lié à mon histoire personnelle. J’étais fan d’elle. A un moment, elle a incarné quelque chose. C’étaient les années 2000, le début d’un nouveau siècle, la figure de la lolita. Britney est générationnelle. On a toutes et tous grandi avec cette image de la féminité dans notre génération. C’est très profond dans l’imaginaire collectif. Et parce que c’est une artiste, qui excède tous les rôles qu’on a voulu lui faire jouer. Je voulais la replacer en tant qu’individu, que sujet, et dire : ce n’est pas juste une poupée, pas juste une construction médiatique. Pourquoi s’est-on acharné sur elle comme ça? Justement parce que c’était une vraie femme, quelqu’un de vivant, d’entier, pas la business woman qui maîtrisait tout de A à Z, mais une personne fragile, sensible, et c’est ça, je pense, qu’on a voulu écraser : la femme et sa folie.

Nelly Arcan excède elle aussi. Vous avez cette formule : « Nelly que je trouve moi si belle par tout ce qui en elle excède ce dans quoi ce regard l’avait enfermée. »

Nelly, sur les plateaux, quand tu la vois, elle est tellement intelligente, tellement sauvage, et du coup c’est tellement terrible qu’elle soit réassignée à ça en permanence, à sa beauté plastique. En même temps, j’ai mené cette année un atelier d’écriture où il n’y avait que des filles et je leur ai demandé de décrire la beauté d’une femme sans en passer par les clichés et c’était très difficile, d’imaginer une beauté qui ne serait pas : « Elle a de longs cheveux qui ondulent »... Ce que je trouve en Nelly et en Britney, c’est qu’elles ont ça, mais elles ont aussi beaucoup plus. Britney, la plupart du temps, elle a les ongles rongés, il lui manque des faux ongles... On sent que oui, mais non. Nelly aussi est belle par autre chose. Qu’est-ce que c’est que la beauté quand elle n’est pas héritée d’un vieux romantisme ou d’un modèle médiatique ? Qu’est-ce qui se passe quand il se passe quelque chose ?

Pourquoi « Pour Britney » et pas « Pour Nelly » ?

« Pour Britney » m’est venu comme ça, parce que Britney, j’ai eu un rapport avec elle avant. Nelly, c’est plus récent. Britney, c’est comme si ça venait de loin. Dire « Pour Britney », c’était dire : pour moi petite fille. Et puis Britney, tout le monde voit de qui on parle, Nelly non. Moi-même, quand Pomme a sorti une chanson qui s’appelait Nelly, je ne savais pas qui c’était.

Comment se fait-il que vous ayez découvert Nelly Arcan si tard ?

C’est lié à une forme d’arrogance française qui dit que la littérature française se fait à Paris – ce qui est sidérant parce que, moi, la littérature qui m’intéresse le plus est celle de la francophonie. Et puis je crois que la France est un pays réactionnaire, antiféministe. Quand j’ai lu la première page de Folle sur Internet, je me suis dit : peut-être qu’il y a une erreur, peut être que ce n’est pas si bien que ça. C’était si bien, si beau, que ce n’était pas possible que, moi, pendant tout ce temps, j’aie eu une image nourrie par ces photos-là (elle montre les couvertures des livres de poche, Putain et Folle). La meuf, elle est en train de chialer. Et moi, dans ma misogynie intégrée, quand je passais devant ses livres, je me disais : merci quoi. Je suis en colère parce que j’aurais tellement eu besoin d’elle à l’adolescence. Je ne savais pas que quelqu’un avait écrit des trucs pareils. Si on m’avait dit à14ans : tu sais, il y a une très grande autrice, c’est une femme, elle est blonde et elle a écrit ces livres...

Qu’est-ce qu’on fait de la colère ?

Ce n’est pas évident d’en faire de la littérature. Virginia Woolf en parle dans Une chambre à soi, quand elle écrit que les femmes sont encore enchaînées à la colère. Moi, effectivement, je suis encore prisonnière de ça. Mais j’ai aussi écrit ce livre pour en sortir. Je suis en colère parce que Nelly s’est suicidée, je suis en colère pour ce qui est arrivé à Britney et je suis en colère parce qu’il y a des filles aujourd’hui, tout le temps, qui souffrent. Mais la littérature, c’est quand même un truc d’espoir profond. C’est pour cela que les livres qui n’ouvrent sur rien, les livres cyniques, ne m’intéressent pas. Le cynisme, j’ai un peu le sentiment que c’est bon pour les vieux mâles blancs. Quand tu es en train de te battre toute la journée avec les douleurs de règle et les avortements, tu ne peux pas être cynique, désabusée. Je n’en peux plus de tous ces écrivains qui viennent à la télé pour parler de l’apocalypse. La fin des temps, c’est votre histoire. Nous, on n’en est pas là. Nous, ça fait cinquante ans qu’on peut avoir un compte en banque. La colère peut être porteuse, si elle est adressée. Je pense qu’il faut écrire pour, pour les autres, pour ce qui va venir.

Comment doit être la phrase ? Que cherchez-vous à atteindre ?

Ce que j’aime, chez Nelly ou chez Duras, c’est qu’on les entend. La littérature, c’est pour moi un endroit où existent les individualités, au-delà de ce à quoi on essaie de les réduire. Nelly existe dans sa voix qui n’appartient qu’à elle. II faut se défaire de tous ces trucs socio, ces couches qu’on a, se dépouiller des postures et des tics. C’est une subjectivité qui s’adresse à une autre subjectivité, un autre régime de parole dans lequel on peut manifester les choses qui d’ordinaire sont cachées. On m’interroge beaucoup sur les virgules, mais je n’y réfléchis pas. J’ai compris que ce n’était pas pour moi des connecteurs logiques. Les virgules, les points, c’est comme une partition qui traduit la manière dont je parle. Pareil, Britney, il s’agissait d’essayer de parler d’elle autrement que de la manière dont les médias en parlent, avec les mots-clés, « popstar », etc. II fallait que je les enlève, ce n’était pas comme cela que je voulais parler d’elle. Pour moi, Britney qui danse avec ses couteaux, on ne peut pas dire : « Ah, elle est folle. » Non, il faut dire : elle est vivante, elle est belle. II faut faire exister la beauté de cette manière-là.

Est-ce bien un livre sur Britney Spears ?

Sur elle ou sur notre enfance. Sur la figure de la jeune fille, cette figure totalitaire, mystique, comme un point névralgique qui fait souffrir toutes les femmes, de l’enfance à la vieillesse. Or on souffre tellement quand on est une jeune fille. Cette puissance, soi-disant, de la beauté, on n’en jouit pas, puisqu’elle fait de nous la proie absolue. Moi, ce que je dis, c’est que je n’étais pas heureuse à ce moment-là. Je ne me sens plus cette jeune fille et cela me va très bien. Et quand je vois des femmes âgées, je me dis que c’est un chemin de libération, de prendre de l’âge. Britney, j’espère qu’elle va danser jusqu’à 90 ans si elle en a envie, à poil. On a voulu qu’elle fasse ça quand elle était jeune, alors si elle veut continuer à le faire, très bien. Et puis quand même, oui, c’est pour elle, parce qu’elle est toujours là, et que j’espère que ça va.

Thomas Stélandre, Libération, septembre 2024


Voir rouge

Dans un troisième recit plein de colère et de vie, Louise Chevenevière signe une défense magnifique de Britney Spears, de Nelly Aracan et toutes les (petites) filles. Il faut lire Pour britney.

Non, il n’y a pas besoin d’être (ni d’avoir été) fan de Britney Spears pour aimer Pour Britney. D’ailleurs, Louise Chennevière a appris, comme beaucoup d’entre nous, à « mépriser » la star aux nattes d’écolière. C’est à la faveur d’une fouille dans de vieux cartons que l’écrivaine retombe sur des clichés d’elle-même, petite fille, vêtue d’un tee-shirt floqué Britney. De cette redécouverte, elle tire un récit très bref, vif comme une flèche, dense comme une pelote de laine, saisissant comme une voix qui ose – dire, crier, chanter.

Reprenons. À partir d’une anecdote, l’écrivaine retrace le parcours de la chanteuse adulée à la fin des années 1990, décriée à la fin des années 2000, sous tutelle paternelle pendant treize ans. Britney de Baby one more time, Britney à 17 ans à la télé interviewée sur l’authenticité de ses seins, Britney la tête sous l’eau dans un clip, Britney sacrilège qui se rase les cheveux. Louise Chennevière mêle à ces images publiques les siennes : vers 8 ans, l’adolescence, 30 ans.

Pour Britney aurait pu s’intituler Mémoire de fille, comme ce beau récit d’Annie Ernaux, paru en 2016, où l’écrivaine essayait de ressaisir la jeune fille qu’elle avait été, en 1958, en mêlant, comme à son habitude, autoportrait et portrait d’une époque. Pour Britney aurait aussi pu s’intituler Rouge pute, comme ce poignant recueil de Perrine Le Querrec (La Contre Allée, 2020) mêlant les voix de femmes victimes de violences conjugales. À travers la vie de la chanteuse américaine Britney Spears et celle de l’écrivaine canadienne Nelly Arcan, que convoque aussi Louise Chennevière, c’est en effet un destin collectif, tragiquement ordinaire qui apparaît : celui d’une fille au XXe siècle. De l’injonction à la séduction jusqu’au dégoût de soi, et même au suicide, Louise Chennevière déroule une histoire de regards et d’emprises qui fabriquent le « devenir putain » des petites filles.

On connait la chanson : sourire, faire attention, faire semblant, croiser les jambes, être comme il faut, comme une image, aimable, ne pas s’appartenir, se contrôler, aller jusqu’à « faire de notre propre effondrement encore l’occasion d’une jouissance esthétique ». Des règles plutôt que du désir, c’est la leçon qui se perpétue, avec des variations, certes, mais. Quelle lectrice en lisant Chennevière n’a pas envie de superposer à son tour ses propres images ? Quelle femme n’adhérerait pas, ne serait-ce qu’un peu, aux phrases de Nelly Arcan, « ce n’est pas avec le premier client que je suis devenue putain, non, je l’étais bien avant dans mon enfance de patinage artistique et de danse à claquettes, je l’étais dans les contes de fées où il fallait être la plus belle et dormir éperdument » ? Pour Britney est un livre aussi cinglant que juste de bout en bout, une rafale de phrases, qui d’abord, peut-être, s’adresse à une génération de femmes. Le témoignage fonctionne sur la reconnaissance - et c’est déjà immense, pouvoir se dire, dans la rage mais aussi le rire, oui, c’est exactement comme ça que ça se passe ! Pouvoir ensuite passer ce livre à sa sœur, son amie, comme une graine à germer, un piment pour exploser.

Mais s’il pouvait faire comprendre à certains ce qu’est la culture du viol, ce serait dingue. Car ce récit donne à entendre dans toute leur crudité les propos insupportables d’hier et d’aujourd’hui. Comment est-il possible que la virginité ou le physique d’une chanteuse soit un sujet de « débat » ? « et je me demande moi, ce que ça ferait si depuis toutes petites, on s’amusait comme ça, à voix haute, à détailler devant tout le monde le corps des garçons, les garçons qui ont peur je le sais bien, tout le monde le sait (...) peur que leur bite ne soit pas, oui mais ce n’est pas une raison suffisante et ça n’a jamais été, une affaire publique discutée dans la cour de l’école par des petites filles assemblées en tribunaux informels mais tyranniques, ça n’a jamais été discuté en direct à l’heure de grande audience sur des plateaux de talk-show, comme on discute de choses et d’autres, comme s’il n’y avait pas, tant de femmes qui finissaient par en mourir ». Et ce n’est pas que les présentateurs gras de la télé ou les commentateurs lambda des procès actuels de violences sexuelles. Louise Chennevière rapporte aussi les propos consternants tenus par des critiques dits littéraires au sujet de son premier livre, Comme la chienne (2019), que nous avions déjà beaucoup aimé.

Par bonheur, et même si l’on n’a guère de peine à en reconnaître certains, aucun de tous ces individus (sauf Justin Timberlake) n’est nommé. Pour Britney fait plutôt la part belle aux femmes (elles qui ont l’habitude de ne pas être nommées) ; c’est un réquisitoire mais c’est surtout une défense, un écrin pour les mots de Nelly Arcan, une leçon de transmission pour d’autres modèles possibles, dont on n’a qu’une envie en refermant le livre : étoffer la liste.

Chloé Brendlé, Le Matricule des Anges, octobre 2024


Pour Britney

C’est l’histoire d’une petite fille qui, comme des millions de petites filles, joue à être Britney devant sa glace. Et puis la petite fille grandit, la star de la pop ne la fait plus rêver : elle ne sera pas Britney. Longtemps après, l’adulte qu’elle est devenue se souviendra de la petite fille innocente d’alors qui ne mesurait pas, là, devant son miroir, le regard que les adultes, le regard que la société portait alors sur Britney, ni sur elle jouant à être Britney. Parce que ce livre, c’est avant tout une histoire de regard. Un regard qui dépossède les femmes. De leur corps. De ce qu’elles sont. L’histoire d’une dépossession. De cette dépossession, Nelly Arcan (1973-2009), putain devenue écrivaine, est morte. Louise qui n’est pas devenue Britney, qui ne pouvait pas, jeune fille rangée, devenir cette femme trop blonde, trop belle, trop libre, trop elle... Louise découvre alors Nelly : et c’est un choc.

Louise Chennevière nous avait impressionnés en 2019 avec Comme la chienne, un premier roman uppercut, violent et bouleversant, où elle criait des blessures trop longtemps tues. Avec Pour Britney, elle décortique de manière implacable la mécanique à l’œuvre de cette dépossession, tissant entre Britney et Nelly des similitudes troublantes, dépassant cette fois le cadre strict de l’intime pour construire un récit éloquent et puissant à la résonance universelle. Parce qu’être une femme, c’est toujours appartenir au regard des autres. Qu’on s’appelle Britney, Nelly. Ou, Louise. Et n’en déplaise aux zélateurs de la langue française, académiciens et critiques du vieux monde qui n’aiment rien tant que de la corseter : avec son style au rythme chahuté par des virgules indisciplinées, hiatus qui heurtent sus pendent décalent, Louise Chennevière libère l’écriture, s’affranchit des règles comme en écho à la libération des corps des femmes. II n’y a pas de virgules mal placées dans l’écriture de Louise Chennevière, il n’y a que des regards mal placés, figés dans un monde dépassé. Notre corps nous, appartient. La langue aussi.

Céline Benne, Télérama, novembre 2024


« Louise Chennevière : "L’imaginaire de la jeune fille, que je cherche à démonter, a imposé une violence réelle à nos corps" (Pour Britney) », un entretien avec Louise Chennevière par Simona Crippa, septembre 2024, à retrouver sur la page de Collateral.


« En finir avec la peur ? », un article par Gabrielle Napoli, à retrouver sur la page de En attendant Nadeau.



Agenda

Samedi 29 mars à 10h30
Louise Chennevière à la Bibliothèque de Sceaux (92)

Bibloithèque de Sceaux

7, rue Honoré de Balzac

92330 Sceaux

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Samedi 4 et dimanche 5 avril
Bertand Belin, Louise Boudonnat, Louise Chennevière, Marco Lodoli au festival le Printemps du livre (Grenoble)

Festival littéraire le Printemps du livre

38000 Grenoble

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Du vendredi 11 au dimanche 13 avril
Santiago H. Amigorena, Nathalie Azoulai, Elisabeth Benoit, Louise Chennevière et Neige Sinno au Festival du Livre de Paris

Festival du Livre de Paris

Le Grand Palais

7, avenue Winston Churchill

75008 Paris
 

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Du vendredi 16 au dimanche 18 mai
Nathalie Azoulai, Louise Chennevière et Neige Sinno au festival La Comédie du Livre (Montpellier)

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Vidéolecture


Louise Chennevière, Pour Britney, Louise Chennevière Pour Britney