« Quand l’amour est comme le mien, juste un rêve solitaire infini, une insulte au malheur, un crachat à la face du destin, alors il élève ses flammes jusqu’aux cieux, il brûle et purifie tout et ne s’éteint jamais, ne se réduit jamais à un feu dans une cheminée qui réchauffe et apaise, qui illumine une maison bienheureuse. »
Le nouveau roman de Marco Lodoli raconte la passion silencieuse et implacable d’une femme, concierge dans une école, pour Matteo, professeur et écrivain, qui ne remarque rien, trop pris dans son art, ses ambitions, dans l’illusion d’être différent des autres. Elle n’a pourtant jamais...
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« Quand l’amour est comme le mien, juste un rêve solitaire infini, une insulte au malheur, un crachat à la face du destin, alors il élève ses flammes jusqu’aux cieux, il brûle et purifie tout et ne s’éteint jamais, ne se réduit jamais à un feu dans une cheminée qui réchauffe et apaise, qui illumine une maison bienheureuse. »
Le nouveau roman de Marco Lodoli raconte la passion silencieuse et implacable d’une femme, concierge dans une école, pour Matteo, professeur et écrivain, qui ne remarque rien, trop pris dans son art, ses ambitions, dans l’illusion d’être différent des autres. Elle n’a pourtant jamais cessé de l’aimer. Mais à quel prix ? Quarante années passées à le défendre des dangers, du mal, du monde. En silence, en secret, car pour aimer ainsi, il faut savoir tout perdre. Elle a dû être inflexible, féroce. Protéger et chérir sans jamais s’exposer, sans se dévoiler : « J’avais besoin de le voir chaque matin, d’échanger avec lui un rapide bonjour, et imaginer que sans moi, qui ne suis presque rien, il se serait égaré dans l’existence comme un enfant dans la forêt. »
Ces deux existences parallèles finiront peut-être par se rencontrer. Le temps d’une nuit, dans une étreinte entre illusion et oubli. Ce grand livre, d’une beauté sombre mais magique, fait le récit d’un amour fou, une grâce noire que l’on n’obtient que par renoncement. La fin du livre rejoint de très grands textes mystiques sur l’effacement. Parabole radicale sur l’espérance, comme une obsession absurde et magnifique, qui ne tient qu’à presque rien, à « si peu » (tanto poco). C’est aussi une parabole de la rédemption par la fiction, qui permet de tenir, d’espérer, d’inventer l’avenir même si les chemins sont impossibles. Avec ce sentiment bouleversant de poursuite d’un rêve que rien ni personne ne doit interrompre. Une fiction folle, et pour cela plus forte que toute réalité.
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Les flammes pures d’un amour invaincu
Trois ans après Les Prières, Marco Lodoli nous revient avec un petit livre palpitant qui, en peu de mots, s’affronte avec poésie au mystère d’un sentiment absolu
Depuis son premier roman, Chronique d’un siècle qui s’enfuit, paru en 1987, l’Italien Marco Lodoli nourrit une réflexion sur l’œuvre du temps, le rapport aux autres et à l’espace, avec toujours, comme le discret rappel d’un tic-tac, le mouvement perpétuel de la vie et ses abîmes existentiels. On serait tenté de penser que la naissance et l’ancrage à Rome de cet auteur de 67 ans comptent pour beaucoup dans cet affrontement à Saturne, le Cronos cher aux Romains de la cité antique. Ce serait oublier que Marco Lodoli a toujours préféré les périphéries de la ville à ses survivances patrimoniales, ses marges (et ceux qui les peuplent) à son centre, trouvant là quelque chose d’une « adolescence » préservée, une ouverture à tous les possibles.
Après les pérégrinations du triptyque Les Prières, l’auteur nous transporte du côté de Torre Maura, dans les confins sud-est de la métropole, pour ne presque plus en bouger. Jouant, non sans ironie, avec son passé d’enseignant en banlieue, il met en scène la concierge d’un lycée, une anonyme dont nous ne connaîtrons même pas le prénom, puisque celui dont elle sera affublée n’est pas le bon. Une invisible à l’existence figée, fidèle à son poste pendant quarante ans, qui va emplir sa vie d’un amour secret, à sens unique, sentiment sans limite « qui brûle et purifie tout et ne s’éteint jamais ».
Cet amour ne cesse de grandir depuis le jour où elle voit arriver, dégoulinant de pluie, cheveux ébouriffés et sourire goguenard, un jeune prof de littérature qu’elle prend d’abord pour un élève retardataire. Matteo est un peu désinvolte, se préoccupe peu du programme, n’attribue que de bonnes notes, se joue des regards sévères de ses collègues en complet-veston. II a l’air d’être de passage dans ce bout de nulle part, poussé ailleurs par sa légèreté et ses projets d’écriture.
On aurait bien tort d’en dévoiler davantage, tant ce qui palpite dans la poitrine de la concierge résonne aussi dans les pages, mélange étourdissant de dévotion comme de lucidité, de pureté et d’inquiétude. Le lecteur ne connaîtra que son récit : c’est elle qui parle et donne à ressentir, avec son bon sens, ses peurs, ses audaces et certitudes. Sa folie ? Mais quel amour n’en porte pas sa part ?
La maestria de Marco Lodoli trouve dans la traduction de Louise Boudonnat un prolongement remarquable, apte à transmettre toute la profondeur et le mystère de ce sentiment si complexe, par-delà le temps qui passe, dans une langue simple et subtile, à la poésie puissante et dépouillée, bien plus dense que ses mots humbles.
Si peu - titre clin d’œil - offre aussi, à partir de la figure de Matteo et de ses ambitions littéraires, une touchante réflexion sur les vanités de la création, le succès, les rêves et ambitions qui se racornissent au fil du temps et, sans jamais se laisser aller au pathos ou à l’apitoiement, l’absurde petit théâtre auquel nos existences parfois se prêtent. Aux « intelligences qui ne savent pas se soumettre à l’amour », la narratrice oppose celle du cœur, ce souffle indicible dont parle Rimbaud, emprunté à la bibliothèque du lycée et lu en cachette à ses heures perdues. « Je ne parierai pas, je ne penserai rien : Mais l’amour infini me montera dans l’âme. »
Arnaud Schwartz, La Croix, 19 septembre 2024