— Paul Otchakovsky-Laurens

Si peu

Traduit de l’italien par Louise Boudonnat

Marco Lodoli


« Quand l’amour est comme le mien, juste un rêve solitaire infini, une insulte au malheur, un crachat à la face du destin, alors il élève ses flammes jusqu’aux cieux, il brûle et purifie tout et ne s’éteint jamais, ne se réduit jamais à un feu dans une cheminée qui réchauffe et apaise, qui illumine une maison bienheureuse. »


Le nouveau roman de Marco Lodoli raconte la passion silencieuse et implacable d’une femme, concierge dans une école, pour Matteo, professeur et écrivain, qui ne remarque rien, trop pris dans son art, ses ambitions, dans l’illusion d’être différent des autres. Elle n’a pourtant jamais...

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La presse


Les flammes pures d’un amour invaincu

Trois ans après Les Prières, Marco Lodoli nous revient avec un petit livre palpitant qui, en peu de mots, s’affronte avec poésie au mystère d’un sentiment absolu

Depuis son premier roman, Chronique d’un siècle qui s’enfuit, paru en 1987, l’Italien Marco Lodoli nourrit une réflexion sur l’œuvre du temps, le rapport aux autres et à l’espace, avec toujours, comme le discret rappel d’un tic-tac, le mouvement perpétuel de la vie et ses abîmes existentiels. On serait tenté de penser que la naissance et l’ancrage à Rome de cet auteur de 67 ans comptent pour beaucoup dans cet affrontement à Saturne, le Cronos cher aux Romains de la cité antique. Ce serait oublier que Marco Lodoli a toujours préféré les périphéries de la ville à ses survivances patrimoniales, ses marges (et ceux qui les peuplent) à son centre, trouvant là quelque chose d’une « adolescence » préservée, une ouverture à tous les possibles.

Après les pérégrinations du triptyque Les Prières, l’auteur nous transporte du côté de Torre Maura, dans les confins sud-est de la métropole, pour ne presque plus en bouger. Jouant, non sans ironie, avec son passé d’enseignant en banlieue, il met en scène la concierge d’un lycée, une anonyme dont nous ne connaîtrons même pas le prénom, puisque celui dont elle sera affublée n’est pas le bon. Une invisible à l’existence figée, fidèle à son poste pendant quarante ans, qui va emplir sa vie d’un amour secret, à sens unique, sentiment sans limite « qui brûle et purifie tout et ne s’éteint jamais ».

Cet amour ne cesse de grandir depuis le jour où elle voit arriver, dégoulinant de pluie, cheveux ébouriffés et sourire goguenard, un jeune prof de littérature qu’elle prend d’abord pour un élève retardataire. Matteo est un peu désinvolte, se préoccupe peu du programme, n’attribue que de bonnes notes, se joue des regards sévères de ses collègues en complet-veston. II a l’air d’être de passage dans ce bout de nulle part, poussé ailleurs par sa légèreté et ses projets d’écriture.

On aurait bien tort d’en dévoiler davantage, tant ce qui palpite dans la poitrine de la concierge résonne aussi dans les pages, mélange étourdissant de dévotion comme de lucidité, de pureté et d’inquiétude. Le lecteur ne connaîtra que son récit : c’est elle qui parle et donne à ressentir, avec son bon sens, ses peurs, ses audaces et certitudes. Sa folie ? Mais quel amour n’en porte pas sa part ?

La maestria de Marco Lodoli trouve dans la traduction de Louise Boudonnat un prolongement remarquable, apte à transmettre toute la profondeur et le mystère de ce sentiment si complexe, par-delà le temps qui passe, dans une langue simple et subtile, à la poésie puissante et dépouillée, bien plus dense que ses mots humbles.

Si peu - titre clin d’œil - offre aussi, à partir de la figure de Matteo et de ses ambitions littéraires, une touchante réflexion sur les vanités de la création, le succès, les rêves et ambitions qui se racornissent au fil du temps et, sans jamais se laisser aller au pathos ou à l’apitoiement, l’absurde petit théâtre auquel nos existences parfois se prêtent. Aux « intelligences qui ne savent pas se soumettre à l’amour », la narratrice oppose celle du cœur, ce souffle indicible dont parle Rimbaud, emprunté à la bibliothèque du lycée et lu en cachette à ses heures perdues. « Je ne parierai pas, je ne penserai rien : Mais l’amour infini me montera dans l’âme. »

Arnaud Schwartz, La Croix, septembre 2024


L’amour a tout pris

« Tout l’univers obéit à l’amour », écrivait La Fontaine. Et aux lois de l’univers la concierge se soumet. Elle aime un homme, aveuglément, envers et contre tout. Son nom est Matteo. II déboule, « la tête ébouriffée et le sac à dos accroché à l’épaule, toujours ce sourire inexplicable sur les lèvres ».

Pourquoi lui ? Parce que. Matteo est professeur d’italien dans le petit collège de la banlieue romaine où travaille la concierge. C’est un idéaliste, qui corrige peu et note trop bien, incite ses élèves à « chercher le sens des choses ». Un jour d’examen, un président de commission fustige ses méthodes libérales. Personne ne le défend. Sauf elle. « Le professeur Matteo est formidable ! » s’écrie-t-elle. Le proviseur la convoque : « Veuillez rester à votre place, madame. »

Sa place, c’est l’ombre. L’ombre éternelle de Matteo. Le professeur trouve une femme. La quitte pour une autre, a des enfants, est quitté à son tour. II vieillit, devient un peu triste : la vie, ça déçoit souvent.

Et elle ? Elle, c’est le cœur simple et sublime. Qui ne lit pas, ne sort pas, ne voyage pas, se défie de la chair. Elle s’en moque, elle a cet amour, cette « dévotion qui n’a nulle exigence et n’attend rien », avec ou sans lui, peu importe, « dans le fond personne ne possède rien ». Oh, bien sûr, elle aimerait qu’il la regarde, rien qu’une fois, qu’il la touche, qu’il se rappelle son nom, si seulement, ah, si seulement ! Mais Matteo est aveugle, et elle joue les muettes. Comme un fantôme, elle ne se manifeste que par signes - quelques attentions discrètes dont il n’aura jamais connaissance. Jusqu’à ce que, peut-être...

Célébration de l’amour dans l’acception la plus pure du terme, ce petit roman désespérément beau a des allures de poème, c’est le Sonnet d’Arvers versant féminin, « Mon âme a son secret, ma vie a son mystère : un amour éternel en un moment conçu ». Entre sainteté et folie, madame personne ne veut rien entendre : ni sa seule amie, qui l’exhorte à s’amuser, ni même ce « nain à la barbe épaisse », sinistre apparition à la bouche farcie d’imprécations. « Tu as consumé ton existence pour quelqu’un qui ne pense qu’à lui, une spirale de vanité et de poussière. » Vis donc, bon Dieu !

Non merci, semble répondre la gardienne, obstinée. J’ai tellement mieux à faire.

Fabrice Colin, Le Canard Enchaîné, octobre 2024


Si peu de Marco Lodoli

Ceci n’est pas un roman d’amour, mais un roman sur l’amour. Un roman subtil dans lequel infusent des trésors d’intelligence, de douceur et de trouble. Au cœur du livre, la narratrice semble emprunter à Eckhart et à la théologie négative la méthode pour définir ce sentiment qui l’a habitée pendant quatre décennies, sans jamais qu’elle le confie à quiconque, et surtout pas à celui qui en fut l’éveilleur puis si durablement l’objet : « Mais l’amour n’est pas propriété privée, fil barbelé, maison, famille, l’amour n’est pas reconnaissance, gratitude, dette, l’amour n’est pas non plus partage, lien, union. L’amour ne produit rien d’autre que ce qu’il est, c’est seulement le merveilleux gaspillage des rares énergies intérieures que la vie nous a transmises. Des talents ni investis ni enfouis, mais simplement dépensés ou perdus. »

Elle n’est pas théologienne, pourtant, cette femme âgée qui entreprend de raconter quarante années d’amour secret, de « dévotion ». Mais elle a, comme malgré elle, le sens du sacré, et elle en drape avec une confondante simplicité le récit qu’elle fait de sa vie. Concierge dans un lycée de Rome, elle fumait devant l’établissement, sous l’auvent, un jour de pluie, lorsque Matteo a surgi devant elle, descendant de moto, trempé jusqu’aux os. Elle l’a pris pour un élève, mais c’était le nouveau professeur de lettres. « Dès cet instant, je me suis mise à l’aimer. »

Lui ne connaîtra même jamais le prénom de cette femme qui, pendant des années, le regardera vivre, en aimer une autre qu’elle, construire une famille, écrire des livres... Assumant le risque de se dissoudre dans « ce sentiment fort et nécessaire », elle évoque, à son insu, le pur amour dont les mystiques du XVIIe siècle avaient fait leur quête. Mais le fin et précis Marco Lodoli ne l’entraîne pas vers ces chemins exaltés. Sans emphase, sans solennité, cette voix et ce récit captivent, étreignent et bouleversent - a-t-elle vécu dans le feu, ou n’a-t-elle rien vécu, celle qui a « passé sa vie à aimer » ?

Nathalie Crom, Télérama, novembre 2024


Une femme dévouée

La concierge d’une école se souvient de sa rencontre, quarante ans plus tôt, avec un professeur de lettres à qui elle n’a jamais avoué son amour.

L’œuvre tout entière de Marco Lodoli éclaire des êtres en marge et des vies ordinaires. Depuis son apparition au catalogue des Éditions P.O.L en 1987 avec Chronique d’un siècle qui s’enfuit, l’écrivain romain s’est inlassablement penché sur les fissures et les flottements, en jouant avec la réalité et l’irréalité. On l’avait déjà trouvé admirable portraitiste de femmes avec les trois courts romans réunis dans Les Promesses. Le magnifique Si peu est aujourd’hui porté d’un bout à l’autre par son héroïne anonyme. Une femme qui n’a jamais bougé de là où elle est. Une femme affirmant faire partie des « petites gens » et confessant ne pas avoir de regrets.

Bonheurs et déboires

Quarante ans plus tôt, elle avait 26 ans et travaillait comme assistante scolaire, « c’est-à-dire concierge ». Chaque matin, il lui incombait d’ouvrir à 7 heures le portail d’une école à Torre Maura, sur une petite colline dans le sud-est de Rome, où elle veillait à l’intendance. Un jour pluvieux de septembre, un jeune professeur de lettres, trempé jusqu’aux os mais insouciant et souriant, est arrivé pour prendre son poste. Matteo Romoli, elle lui trouva un air de chien abandonné avec ses cheveux en bataille. Instantanément, elle fut prise pour lui d’un amour fou et insensé. Un amour dont, jamais au grand jamais, elle ne fera état à quiconque, encore moins à l’intéressé, au fil des années. Des années où Matteo l’appellera Caterina, sans que cela soit son prénom et sans qu’elle le détrompe. « J’avais besoin de le voir chaque matin, d’échanger avec lui un rapide bonjour, et d’imaginer que sans moi, qui ne suis presque rien, il se serait égaré dans l’existence comme un enfant dans la forêt », glisse-t-elle. Le professeur s’avéra rapidement être aussi un écrivain dont le premier roman lui valut d’être invité dans une émission littéraire. II n’y brilla pas mais continua sa route, poursuivant une carrière dans les lettres avec des hauts et des bas. En conservant toujours une fidèle lectrice prête à le suivre à chaque fois aveuglément...

L’auteur de Courir, mourir plonge avec une rare finesse et une immense puissance d’incarnation dans la tête d’un être se tenant en retrait, s’autorisant une cigarette par jour et ne respirant que pour son « bel amour ». Une femme dont la bibliothèque comprend uniquement les ouvrages signés par Matteo Romoli. Une femme sans jugement, entièrement dévouée à l’élu de son cœur et de son âme dont elle accompagne, à distance respectable, chaque bonheur et chaque déboire. En cherchant à le protéger, à le tenir « hors de portée des saloperies de l’existence »... Profondément troublant, Si peu happe pendant tout le temps de sa lecture et s’imprime durablement ensuite. Le roman de Marco Lodoli est un classique instantané. Un de ces rares livres dont on sait qu’on le revisitera avec autant de ferveur.

Alexandre Fillon, Le Figaro Littéraire, novembre 2024


L’amour ardent d’une admirable ange gardienne

Délicate chronique sentimentale de l’écrivain italien Marco Lodoli, Si peu réchauffe le coeur

A la fin de sa vie, Federico Fellini (1920-1993) avait acquis les droits des Fainéants (P.O.L, 1992), la première trilogie romanesque de l’écrivain romain Marco Lodoli. L’adaptation cinématographique n’avait pas vu le jour, mais Fellini ne cachait pas son admiration pour l’écriture inclassable de Lodoli. Un style tout à la fois synthétique et mélancolique. Fantastique parfois, poétique toujours.

Trente ans plus tard, chez P.O.L, qui le suit depuis 1987, l’écrivain publie son treizième ouvrage, Si peu, une fine et talentueuse chronique de la vie qui s’enfuit. Le roman met en scène deux personnages. Matteo d’abord, un jeune professeur d’italien dans une banlieue de Rome. Un garçon bourré de charme que ce Matteo, avec ses boucles noires insolentes et son énergie brouillonne! Doué pour l’écriture - il a commencé à publier, et avec succès -, il semble promis au plus bel avenir... L’autre personnage est une femme de l’ombre, la concierge de l’école où il enseigne. C’est cette anonyme que Lodoli a choisie comme narratrice. Jusqu’à la fin du livre, on ignore son vrai nom. D’ailleurs, nul ne remarque son existence minuscule. Et surtout pas Matteo, qui croit qu’elle s’appelle Caterina et la regarde à peine.

S’il savait pourtant le choc qu’elle a eu lorsqu’il a déboulé à l’école. Elle a été bouleversée par ce « don de Dieu » (après tout, c’est l’étymologie de son prénom). Depuis, elle ne vit que pour lui. Elle l’aime de loin, secrètement, d’un amour si ardent qu’il « élève ses flammes jusqu’aux cieux ». Passion étrange, mais qui la réchauffe et emplit ses jours d’une joie pure quasi mystique. Matteo et cette femme ne se croisent que rarement : « Les profs écrivent, les concierges vident les poubelles. » Mais qu’importe. En secret, elle veille sur lui. « Je l’ai aussitôt aimé parce que j’ai compris que sans moi il ne pouvait pas s’en sortir. »

Sobriété, sincérité, justesse

Le grand art de Lodoli : une économie de moyens, un minimum d’effets. En 140 pages (« si peu »), il fait défiler quarante années. Et s’arrange pour que cette durée, le lecteur la ressente physiquement à la lecture. Admirable esthétique de la sobriété, de la sincérité, de la justesse... Quarante ans plus tard donc, à l’heure des bilans, Matteo n’a presque plus de contact avec les élèves, qui le regardent comme un objet archéologique, « aussi indéchiffrable et ennuyeux qu’un vase étrusque ». Sa création littéraire a été balayée par l’oubli - « Le temps engloutit les montagnes, imaginez les mots... » Et elle, l’invisible ange gardienne ? Aura-t-elle pu rencontrer l’objet de sa dévotion, lui parler, le toucher, au moins une fois ? Ou bien aura-t-elle aimé en vain ? Vécu en vain ?

En 2013, nous avions rencontré Marco Lodoli à Rome, piazza Barberini. L’écrivain nous avait confirmé que deux courants irriguaient son travail romanesque, la poésie et la spiritualité. La première - qui, selon lui, n’est pas un simple genre littéraire, mais « une attitude de fond, un regard sur le monde qui pénètre au plus profond, entre la lumière et l’ombre » est présente à chacune de ces pages. Avec délicatesse, avec grâce, cet admirateur de Rainer Maria Rilke (1875-1926) conduit son lecteur à s’interroger en creux sur les notions de beauté, de pureté, d’exaltation et d’humilité, à une époque où, selon sa narratrice, « les gens sont dominés par les pires instincts, ce qu’ils veulent c’est écraser, gueuler, piétiner tout ce qui est beau ». Quant à la spiritualité, elle n’est pas moins palpable ici. Chez Lodoli, elle s’inspire autant de la Bible (« Heureux les simples en esprit... ») que du Tao-tö-king et des philosophies orientales. Elle ne consiste pas seulement à croire, mais aussi à donner de la consistance à chaque demi-seconde de nos existences. « Comme si, dans cette petite ordonnance des jours et des années, toutes les miettes comptaient et qu’il fallait les recueillir sous la pointe humide du doigt », expliquait déjà le personnage d’Italia dans Les Promesses (P.O.L, 2013).

S’il fallait trouver un prénom à cette narratrice, on l’appellerait Felicita, tant elle fait penser à sa cousine française Félicité, l’héroïne d’Un cœur simple (1877). On ne serait guère étonné d’ailleurs d’entendre l’auteur affirmer, comme Flaubert : « Matteo, c’est moi ! » En attendant, on sacre ce Lodoli, ce grand styliste, champion de l’arte povera en littérature. Et on dit au lecteur : n’hésitez pas. C’est fou ce que vous pourrez retirer de Si peu !

Florence Noiville, Le Monde des Livres, novembre 2024


L’unique objet de son regard

Dans Si peu, Marco Lodoli raconte la passion à sens unique d’une concierge de lycée pour un professeur et écrivain. Une méditation cruelle sur l’amour et la quête d’absolu.

C’est l’histoire d’un amour muet, d’une passion bien plus vaste que son objet. Concierge dans un petit lycée de la banlieue de Rome, la narratrice aime sans retour Matteo, un jeune professeur et aspirant écrivain. Elle vide les poubelles, nettoie les toilettes et s’occupe du jardin de l’école. Lui, happé par ses rêves de célébrité, sait à peine qu’elle existe et se trompe de prénom les rares fois où il s’adresse à elle. Chacun est dans sa vie, dans ses rêves, dans son milieu social, séparé de l’autre par des barrières de classe cruelles et infranchissables. Un soir, lors d’une de ses rares sorties avec son amie Mirella, elle est violée par un inconnu sur le parking d’une boîte de nuit, tombe enceinte et se débarrasse du fœtus comme on jetterait un mégot de cigarette.

Très vite, on comprend que cet amour obsessionnel est le projet d’une vie, l’unique colonne vertébrale qui permet à la narratrice de supporter le quotidien. Au point de tout lui sacrifier, quitte à se débarrasser de celles et ceux qui se mettront en travers de son chemin, comme ce chien errant qui pénètre dans l’enclos de l’école et vient uriner sur les fleurs blanches qu’elle y a plantées. Quand Matteo, dont le bref succès littéraire s’est envolé comme un fétu, est éreinté par un critique, elle convainc un ancien élève du lycée de l’aider à perpétrer une expédition punitive dans un quartier chic de Rome.

Le rêve et la réalité se brouillent

Comme dans Lettre d’une inconnue, la nouvelle de Stefan Zweig, Marco Lodoli adopte le point de vue de la femme invisible qui aime sans retour. Avec une rare économie de moyens et des ellipses parfois brutales, il la suit pendant quarante années dans ce fantasme dont rien ne peut la détourner, ni les amants de passage, ni la dégringolade progressive de Matteo. Alternant le récit et les rêves de la narratrice, Marco Lodoli opère un brouillage entre la réalité et les perceptions. Au point qu’on s’interroge sur l’existence d’un nain de cirque, créature fellinienne et mauvais génie aux ongles vernis de noir qui vient lui rappeler l’absurdité de sa croisade. On retrouvera les mêmes ongles noirs sur Mirella, amie de jeunesse de venue diseuse de bonne aventure qui prodigue un peu d’espoir à ses clients crédules. « Nous existons si peu, pourtant nous existons », pense la narratrice. C’est dans ce mince interstice que s’insinue Marco Lodoli pour interroger le sens d’une vie débarrassée des oripeaux sociaux, une quête d’absolu aussi belle qu’effrayante.

Sophie Joubert, L’Humanité, novembre 2024


Passion simple

Un écrivain ignore être follement aimé. Voici la trame du perturbant Si peu, de Marco Lodoli.

Nous ne saurons pas quel prénom porte la narratrice de ce fulgurant roman. L’homme qu’elle aime l’appelle Caterina et cela donne le ton du drame qui la traverse : « J’étais heureuse, j’avais absolument le sentiment d’exister, d’avoir reçu de l’univers le droit de rêver, d’aimer, même si je ne m’appelle pas Caterina. » Une figurante, une ombre, tel est le destin de cette femme, concierge dans une école romaine, terrassée dans sa jeunesse par un amour muet, mais démesuré, pour un jeune professeur, Matteo. II deviendra écrivain, se mariera, aura des enfants, divorcera, toujours inconscient d’être aimé férocement, fiévreusement et sans la moindre condition par cette concierge qui vieillit en le regardant, sans se déclarer. Une phrase de Rimbaud, tirée des Illuminations, se détache dans le texte : « Par délicatesse, j’ai perdu ma vie ». Elle émerveille la grande amoureuse. Mais de la délicatesse de cette femme, éternelle épouse de l’ombre, Marco Lodoli – dont Fellini avait acquis les droits des Fainéants – fait un mystère étrange, dangereux. À la candeur, au désir d’absolu de « Caterina » se mêle une noirceur terrible, affleurant aux angles de cette créature de mystère. Lodoli esquisse sa vie en phrases brèves, parfois d’une cruauté folle, rendue plus pointue encore par leur sobriété (ainsi l’auteur raconte-t-il un viol, un avortement).

La tendresse de la concierge confine à la démence et à la rage. Elle tuera un chien, incendiera une voiture, massacrera une créature dont le lecteur ne saura pas s’il s’agissait d’une chimère ou d’un être réel. Tout cela apparaît par éclats brefs, interrogateurs, perturbants, dans ce roman qui s’achève sur ce qui devrait être le point d’orgue de la vie de cette fiancée désespérée : une nuit, après quarante années d’obsession muette, avec son amant rêvé. Mais les fantasmes sont-ils faits pour être assouvis ?

Elise Lépine, Le Point, novembre 2024


Un amour impossible

« J’ai besoin de raconter des histoires de saints contemporains, de personnages empreints d’une certaine naïveté, d’une certaine grâce », nous avait confié Marco Lodoli lors d’un entretien. C’est ainsi qu’il résiste au chaos du monde, glissant dans chacun de ses romans une part de magie et de poésie sans lesquelles la vie serait insupportable. Celle de sa narratrice, jamais nommée, se confond avec un amour impossible. Elle est concierge dans une école de la banlieue romaine, il est professeur de lettres et écrivain. « A nous, les petites gens, on inculque la résignation ou la colère ; à eux, la supériorité, même s’il convient de la cacher derrière un semblant de modestie. » Et pourtant, pendant quarante ans, elle veillera sur ce bel indifférent sans faillir ni rien avouer de ses sentiments. Parce que « les rêves valent mieux que le réel » et suffisent, parfois, à remplir une vie.

Véronique Cassarin-Grand, Le Nouvel Obs, décembre 2024


« Une vie consumée d’amour pur et fol », un article par Willy Persello, à retrouver sur la page de En attendant Nadeau.

Agenda

Samedi 4 et dimanche 5 avril
Bertand Belin, Louise Boudonnat, Louise Chennevière, Marco Lodoli au festival le Printemps du livre (Grenoble)

Festival littéraire le Printemps du livre

38000 Grenoble

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