Le titre du livre est emprunté à un vers d’un célèbre poème d’Alfred de Vigny (Le Cor) évoquant la Chanson de Roland et le passage des armées de Charlemagne par les cols pyrénéens. Le franchissement des Pyrénées, entre l’Ariège et Banyuls, il en est bien question ici. Le narrateur part sur les chemins empruntés, durant les années de guerre en 40-45, il y a déjà quatre-vingts ans, par des aviateurs alliés, des réfractaires au STO, des résistants et des Juifs pour gagner l’Espagne, et, de là, la France libre. Multiples histoires d’évasion dont Jean Rolin suit et croise les fils, qui finissent par former un...
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Le titre du livre est emprunté à un vers d’un célèbre poème d’Alfred de Vigny (Le Cor) évoquant la Chanson de Roland et le passage des armées de Charlemagne par les cols pyrénéens. Le franchissement des Pyrénées, entre l’Ariège et Banyuls, il en est bien question ici. Le narrateur part sur les chemins empruntés, durant les années de guerre en 40-45, il y a déjà quatre-vingts ans, par des aviateurs alliés, des réfractaires au STO, des résistants et des Juifs pour gagner l’Espagne, et, de là, la France libre. Multiples histoires d’évasion dont Jean Rolin suit et croise les fils, qui finissent par former un puzzle historique, personnel et narratif captivant. Souvent empêché, plein d’auto-dérision pour narrer ses propres aventures burlesques, ou évoquer certaines figures troublantes de sa famille, Jean Rolin parvient à écrire aujourd’hui les cicatrices de la grande tragédie de l’exil, de la persécution et de la guerre, tout en exhumant les drames associés à la clandestinité : passeurs véreux ou douteux, itinéraires précaires, reliefs escarpés, rencontres improbables de passagers de fortune. Aviateurs héroïques (comme Bud Owen), destins tragiques (comme ceux de Philippe Raichen ou du philosophe Walter Benjamin), anonymes ou célébrités (comme Jean-Pierre Grumbach alias Jean-Pierre Melville). Jusqu’au rocambolesque Cabrero, passeur louche, résistant, gangster, qui sera accusé après la Libération d’avoir liquidé Jacques Grumbach (frère de Jean-Pierre), blessé dans sa marche.
La « Grande Histoire » côtoie les petitesses humaines, les héros des salauds. Dans un art distancé, Jean Rolin emporte l’adhésion, ménageant ses surprises et ses chutes, entre le rire et l’effroi. Il fait le grand récit contemporain d’une mémoire historique vacillante, de ses archives dispersées, et dans une mélancolie de détails contemporains : un oiseau plongeur, la mue d’un serpent dans un vieux cimetière de montagne, un paysage grandiose et étonnamment vide.
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Tous passaient sans effroi
Un touchant hommage aux « évadés de France » qui traversèrent les Pyrénées pour échapper aux nazis.
On ne sait exactement combien ils furent, de quatre-vingt mille à quatre vingt-dix mille sans doute, à quitter, entre 1940et 1944, la France occupée par les chemins escarpés de la chaîne des Pyrénées. Ces « évadés de France » étaient « des aviateurs alliés, des réfractaires au STO, des résistants ou des Juifs, ou encore des personnes appartenant en même temps à plusieurs de ces catégories », précise Jean Rolin au seuil de ce récit qui leur est un hommage feutré, dénué de solennité mais non de gravité.
La seule cérémonie envisagée par l’écrivain serait d’atteindre à son tour, par l’une des voies qu’empruntèrent les fugitifs, un des points de passage de la crête pyrénéenne marquant la frontière avec l’Espagne. Durant ces tentatives, on le verra plusieurs fois caler, accablé à l’avance par le dénivelé de la pente à gravir - ainsi se écrit-il à Bagnères-de-Luchon, avant une ascension : « L’homme aux oursons [un ami ainsi surnommé, ndlr] se relevait d’une opération délicate, moi-même je souffrais d’une sciatique, à nous deux nous formions une sorte d’allégorie du grand âge...» Tandis qu’il traque (à sa manière, détachée), dans les paysages d’aujourd’hui, les traces des événements qui s’y déroulèrent il y a plus de huit décennies, laissant volontiers la nature, plantes et oiseaux réunis, le distraire, son attention se porte plus spécialement sur quelques-uns des « évadés de France », les circonstances de leur fuite : les aviateurs américains Bud Owens et Charles E. Yeager,Walter Benjamin, l’écrivain et médecin français Théodore Fraenkel, Jean-Pierre Grumbach (alias Jean-Pierre Melville) et son malheureux frère Jacques. D’autres encore, tel le prêtre italien Francesco Bonfiglio Stella, né en Vénétie, ayant d’abord fui le régime mussolinien pour gagner la France, avant que d’entreprendre en 1943 l’ascension vers le Port d’Oô, « un point de passage particulièrement malaisé ». L’abbé Stella n’y réussit pas. Tous passaient sans effroi dresse pour lui une stèle aussi discrète que l’est la modeste tombe où des villageois d’Oô tinrent à enterrer sa dépouille.
Nathalie Crom, Télérama, janvier 2025
Rolin de Roncevaux
Si vous cherchez Jean Rolin, inutile de sillonner les arrondissements huppés de la capitale. II n’a pas de goût pour l’hypercentre. C’est même dans la banlieue qu’il est comme un poisson dans un bocal. Un vieux PMU où le café vous arrive dans un verre Duralex, et le voici qui reprend des couleurs. Dès La Clôture, récit qui l’a fait connaître en 2001, il arpentait le boulevard Ney, sans doute parce que l’appel des confins (Saint-Ouen, Aubervilliers) s’y faisait déjà sentir. Et puis, dernièrement, Jean Rolin s’est mis au vert sans prévenir la clientèle. Direction les Pyrénées. Oui, vous avez bien lu, la haute montagne ! Son idée, c’était de tenter le passage de la frontière, comme nombre de résistants, de communistes et de juifs s’y étaient essayés pendant la guerre, cherchant l’asile dans une Espagne qui, quoique franquiste, semblait plus tolérante. Dans Tous passaient sans effroi (citation de Vigny évoquant le franchissement du col pendant la bataille de Roncevaux), Jean Rolin raconte les ascensions successives qu’il effectua lui-même, tout en retraçant la fuite en Espagne de plusieurs figures emblématiques : Walter Benjamin, le célèbre philosophe allemand qui se donnera la mort à Portbou, en Catalogne, le lendemain de son passage, Philippe Raichlen qui tenta l’aventure avec trois résistants hollandais dans la partie ariégeoise des Pyrénées, Raymond Couraud, un homme au passé trouble, Alma Mahler, la veuve du compositeur, ou encore deux frères, Jean-Pierre et Jacques Grumbach, le premier se faisant connaître par la suite sous le nom de Jean-Pierre Melville, cinéaste, et le second qui fut sauvagement assassiné par son passeur sur le versant ouest du pic du Pas du Bouc. Un assassinat qui fait l’objet, quatre-vingts ans après, d’une véritable enquête du détective Rolin, dont le beau livre cumule alors tous les mérites : précieux comme un guide de survie en altitude, haletant comme le plus terrifiant des polars.
Didier Jacob, Le Nouvel Obs, janvier 2025
L’épreuve du passage
Jean Rolin retrace l’itinéraire d’ « évadés de France » qui échappèrent aux Allemands en traversant les Pyrénées.
C’était, pour les résistants, les alliés, les juifs, la seule porte de sortie. Que reste-t-il du passage de la France vers l’Espagne et l’Andorre ? Jean Rolin mène l’enquête à sa manière, faite d’avancées et de détours, d’impasses et de trouvailles. II y a bien une marche commémorative à Saint-Girons, en Ariège, chaque année. Mais est-on certain de l’itinéraire ? Sans doute y a-t-il eu autant de chemins que de passeurs. S’appuyant sur les témoignages du passé, l’auteur reconstitue le tracé des chemins de quelques-uns de ces « évadés de France », parfois malchanceux. Rallier l’Espagne après vingt à trente heures de marche sans discontinuer n’est évidemment pas de tout repos. Philippe Raichlen fera plus tard le récit de son échappée réussie. II a 23 ans en 1943, repart à la guerre comme parachutiste. 1943 toujours, Bud Owens a survécu au crash de son bombardier en Normandie mais est mort d’épuisement en traversant les Pyrénées. La marche forcée est un calvaire. En 1940, l’intellectuel allemand Walter Benjamin n’avait-il pas initié un chemin d’exil ? Mais il n’ira pas au bout, se donnant la mort, épuisé, de peur d’être capturé. On peut suivre Jean Rolin dans son récit : il fouille les archives, interroge les derniers témoins et cherche des traces dans la montagne : « De penser que nous empruntions le même chemin qu’eux, sans la menace d’une mort imminente, ne nous a pas rendu l’ascension plus facile. » Parmi d’autres destins, restait à retrouver les indices pour comprendre comment est mort Jacques Grumbach, frère du futur cinéaste Jean-Pierre Melville. Loin d’être anecdotique, cette porte espagnole vers la liberté reste dramatiquement chargée d’histoire.
Christophe Henning, La Croix, janvier 2025
"Jean Rolin : Traverser les Pyrénées", un article de Marie-Odile André à propos de Tous passaient sans effroi, à retrouver sur la page de Collateral.