La Déflagration est d’abord l’histoire d’un séisme. Celui que constitue, pour une mère, l’engagement de son fils unique dans l’infanterie. Il y a le choc de cette décision. Le choc d’une séparation. Cet engagement dans l’Armée signe l’irruption concrète de la guerre dans la vie des parents. Ils contemplent soudain l’inconnu, avec la crainte d’une guerre totale à venir – puisque celle-ci a déjà commencé aux confins de l’Europe et qu’elle se rapproche. Il s’agit pour la mère et le père de continuer à vivre en respectant le choix de leur enfant, en le soutenant tandis qu’ils...
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La Déflagration est d’abord l’histoire d’un séisme. Celui que constitue, pour une mère, l’engagement de son fils unique dans l’infanterie. Il y a le choc de cette décision. Le choc d’une séparation. Cet engagement dans l’Armée signe l’irruption concrète de la guerre dans la vie des parents. Ils contemplent soudain l’inconnu, avec la crainte d’une guerre totale à venir – puisque celle-ci a déjà commencé aux confins de l’Europe et qu’elle se rapproche. Il s’agit pour la mère et le père de continuer à vivre en respectant le choix de leur enfant, en le soutenant tandis qu’ils s’efforcent ensemble de surmonter l’angoisse de le perdre sur un champ de bataille. Ils doivent accepter que la vie ou la survie de leur fils dépende de décisions prises par d’autres. La mère écrit : « Tout de même, c’était peut-être cela, écrire pour juste un peu moins désespérer. » Car l’écriture transforme l’ombre de la mort en lignes de vie... Le fils découvre l’Armée, l’aguerrissement. Il rentre régulièrement les week-ends, ramenant des histoires d’amitié et d’aventure qu’il raconte avec plaisir. Il est drôle, il les fait rire, il les charme. Leur fils rayonne : les parents s’ajustent à ce paradoxe.
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Quand le fils s’en va-t-en guerre
A 22 ans, il décide d’entrer dans l’armée. Une décision vécue comme une déflagration pour Mary Dorsan. Romancière, elle écrit à son fils dans un livre bouleversant qui fait découvrir de l’intérieur la vie d’une jeune recrue.
Père et mère, et le fils. Été 2022, ils sont à trois sur l’esplanade de la Défense, à Paris. Le fils, 22 ans, va retirer son billet de train auprès du centre de recrutement de l’armée. Un aller simple, signe d’un engagement sans retour, qui fait froid dans le dos. « Ton engagement est une déflagration, confie la mère. La guerre débarque brusquement chez nous... » Juin 2025, fin de journée à une terrasse de café. La mère de l’aspirant soldat est romancière. Ce cinquième livre – La Déflagration – est écrit avec ses tripes. Volubile, Mary Dorsan dit tout à la fois la peur, la fierté, le questionnement, l’acceptation. C’est par les mots, la parole et l’écriture, que s’impose la réalité.
Dans cette famille du fils unique, on parle, beaucoup. On se raconte, chacun comme il est. Mary Dorsan, née de parents britanniques, est devenue aussi française. Son mari marocain, trop épris de justice pour ne pas risquer quelques soucis outre-Méditerranée, a demandé à son tour la nationalité française. II est aussi devenu anglais par leur mariage. Une petite cellule familiale, à la dimension internationale, sans oublier des engagements militants pour la paix, la justice sociale. Le fils, gaillard aux larges épaules, se voyait bien prof de sport. Une première année de fac en plein Covid, a contrarié les projets. Plus encore, ce sont les images de l’invasion russe en Ukraine, à la télé, dans le petit appartement de banlieue parisien ne, qui ont scellé l’engagement dans l’armée de terre.
La jeune recrue ira faire ses classes dans le sud de la France, à quatre heures de train. Pendant ce temps, le silence s’installe, méditatif. « Entrer dans l’armée, c’est pour faire la guerre... », ressasse Mary Dorsan. Et surprise : le gars est assez souvent en week-end. II raconte, et ses parents, plutôt antimilitaristes, découvrent la grande muette. « II se passe quelque chose », insiste la mère de famille qui, le temps d’une perm’, lave les treillis qui sèchent sur le fil à linge. Durant l’entretien, elle raconte, montre l’ambivalence des réactions. Devant un verre de panaché, et sur le ton de la confidence, reste des points en suspension que Mary Dorsan évoque, comme pour elle-même : « Je l’ai accepté, bien sûr, mais il fallait encore l’assimiler. »
C’est l’écriture qui participera à l’opération. « Écrire me sauve », confie l’autrice des précédents romans nourris de son engagement social auprès des personnes fragiles (Méthode, 2021; Rencontrer Darius, 2019). « Mais cette fois-ci, c’est lui, l’histoire. » Le fils s’engage, et c’est comme un tremblement de terre : « Que des jeunes crèvent au combat, même s’ils luttent pour la liberté, c’est trop tragique. » À chaque retour du fils soldat, elle écoute le récit des exercices militaires, de l’instruction des jeunes gars par des sous-officiers aux tempéraments très divers. « II nous parle de ses copains, de l’esprit de corps, et je le “vois ” avec une arme à la main... »
Quand elle croise une patrouille Sentinelle, Mary Dorsan éprouve une certaine tendresse pour les jeunes militaires. Ce pourrait être son fils. « Quelle mère je peux encore être ? » Au fil des pages, elle prend son fils à témoin; « Tu ne refuses pas d’apprendre à tuer car tu espères défendre des vies. » Se mélangent la fierté de voir son fils qui s’engage et la peur sourde : « Si tu changeais de voie, mon soulagement serait immense, prodigieux. » Plus que jamais, elle se satisfait de n’avoir pas de portable. C’est le père qui reçoit les messages et qui en fait un condensé. Si la famille est soudée, le fils peut prendre son envol : « On lui a transmis les outils pour vivre, il faut qu’il se débrouille », déclare la mère protectrice, dont on se demande si elle est vraiment convaincue. « II est trop heureux et si vivant, je lui fais confiance. » Le long récit, maquillé en roman pour préserver l’anonymat des soldats et mettre en scène la vie militaire, est aussi une déclaration au fils : « Tu sais que je réécris tes expériences, tu le veux bien, et c’est comme si je t’écrivais. »
Ce journal sans date est un exercice d’apprivoisement : l’engagement du fils sous les drapeaux en traîne les parents dans l’aventure. Les échos de la caserne font sourire mais aussi frémir. Certaines recrues renoncent, d’autres se blessent à l’entraînement. Peut-on jamais être prêt pour la guerre? Les yeux embués, la romancière le reconnaît : elle aurait pu écrire huit cents pages et plus encore, comme pour mettre les risques à distance. Trois cents disent déjà les répliques de cette déflagration initiale : « Il faut dire les choses, c’est la seule façon de vivre... »
Christophe Henning, La Croix, juin 2025