— Paul Otchakovsky-Laurens

Nouvelles sur le sentiment amoureux

Christine Montalbetti

N’avez-vous jamais vécu cela ? Vous éprouvez soudain pour quelqu’un ce qu’on peut appeler un sentiment amoureux et il faudrait, pour que cette petite exaltation se transforme en une relation, que vous y mettiez un peu du vôtre ; or, au moment où il convient que vous soyez le plus présent à la situation, quelque chose vous en distrait : une pensée, un souvenir, quelqu’un qui passe dans votre champ de vision, ou tout simplement ce combat que mènent, à l’intérieur de vous-même, Timidité et Hardiesse, Désir et Inquiétude, Envie et Paresse, Fougue et Désinvolture. Mais d’où nous vient cette propension à...

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La presse

Rhétorique de la tendresse


Christine Montalbetti et les aléas du sentiment amoureux



Une histoire d’amour n’a pas lieu. On ne sait pas bien pourquoi. Le je-ne-sais-quoi et le presque-rien. Du côté des symptômes : l’inconfort d’une première conversation sur chaises de jardin, la teinte framboise qui colore le visage,, les mains dans les poches et les yeux qui ne font plus le point transforment bientôt l’amoureux en« pauvre chose sans répondant ». Quant à l’analyse qui succède à l’émotion, elle bute sur la fascination propre au sentiment amoureux –attirance et répulsion: d’où vient cette distraction irrésistible, cette passion affective qui leste dans leur élan les«candidats tourtereaux» ?


Les Nouvelles sur le sentiment amoureux composent avec l’aporie, comme des variations sur les micro-accidents de la rencontre ou le contrechamp du coup de foudre. Comme, par exemple, une phrase malhabile prononcée dans l’ascenseur ruine d’un coup tous les espoirs d’une soirée…


Mais la déception amoureuse n’est pas pour autant le ressort de la fiction de Christine Montalbetti. C’est tout le contraire. Une jeune femme s’interroge –la narratrice par le truchement complice de héros masculins qui partagent avec elle une tendance à la rêverie et un goût des fables. Elle développe une phrase longue, enveloppante, une douceur narrative sans cesse adressée au lecteur. On dirait une rhétorique de la tendresse qui décompose à voix intérieure les arrière-plans de la toile amoureuse. Comme si la conscience revenait sur ses pas, profitant du luxe qu’est le temps de l’écriture, pour s’attarder sur un détail, interpréter un signe, caresser un horizon.


Un jeune homme«invente des suites utopiques à sa promenade, tressant le petit roman sentimental par où [une] femme surgirait au coin de la rue suivante». La contemplation des marsupiaux du jardin zoologique dérive vers l’origine fabuleuse du kangourou « Car regardez ce corps incompatible dont la nature les a dotés. Ne sont-ce pas là deux moitiés hétérogènes et qui n’avaient rien à faire ensemble? […] Et vous vous mettez à vous imaginer qu’ils ont sans doute été assemblés distraitement un matin par Dame Nature, les yeux encore mi-clos et procédant pour ainsi dire à l’aveuglette.»


Cette«machine à songes» pourrait être une métaphore du livre. N’est-ce pas précisément ce qui arrive aux protagonistes des nouvelles? Le sentiment amoureux ne prend pas, mais quelque chose résiste qui donne matière à histoires.



Aurélie Djian, Le Monde, 5 janvier 2007



L’amour s’esquive



Quand Éros s’endort, le roman se réveille



Il y a un duel dans le for intérieur de Jalil. Allégresse et désagrément se combattent. Sans merci, jusqu’à épuisement mutuel. Jusqu’à la paralysie complète de leur hôte. Allégresse et désagrément sont les deux sentiments contradictoires suscités par l’émotion qui saisit Jalil lorsqu’il se trouve, enfin, seul avec la jeune femme qu’il convoite depuis le début de la soirée. Jalil la connaît bien. C’est tout simplement une timidité « qui remue en lui la mémoire de timidités très anciennes, et qui n’ont pas de visage, qui se présentent à lui sous forme abstraite». C’est ainsi que nous recevons des nouvelles du sentiment amoureux, selon Christine Montalbetti. L’événement lui-même est minuscule et contient un monde, un destin. Entre le moment où Jalil réussit à entraîner à l’écart sa partenaire et celui où, lasse de sa passivité, elle retourne à la foule des invités, combien de minutes se sont écoulée? Dans la conscience de Jalil, le temps d’un combat de titans qu’il a contemplé en spectateur fasciné, plus intéressé par la représentation donnée en son spectacle intérieur, qu’aimanté par les aventures plus concrètes de la proximité de la femme. Un duel comme on en trouve dans ces livres du Moyen Âge où honte, faux-semblant et jalousie mettent des bâtons dans les roues d’Amour et de Bel accueil. Mais nous ne sommes pas dans les vergers du Roman de la Rose, et les sentiments qui se combattent, désir et paresse, peur, orgueil et réticence, ne sont pas des allégories morales, mais l’incarnation de cette «timidité abstraite», la personnification de conflits bien réels qui tendent tous à mettre en échec le sentiment amoureux naissant. C’est qu’il est bien difficile de rendre compte d’une histoire qui n’a pas eu lieu, mais qui, par son échec même, a pu avoir, «tout de même, à sa façon, une sorte d’existence».

Les six nouvelles qui composent ce volume sont autant de variations sur le thème du « désistement », de la renonciation à agir, à faire le dernier centimètre du chemin qui ouvrirait, peut-être, sur d’autres voyages. Jalil n’est pas le seul des personnages à se trouver ainsi affecté d’un suspens fatal. Toutes les manières de s’absenter, leurs causes et leurs circonstances sont peut-être, d’une manière ou d’une autre, inventoriées dans ce traité de l’esquive. Plus que le renoncement ou la fuite, c’est la capacité à être assez présent à sa propre aventure qui fait défaut au héros. Celui-ci se prend pour Mosca, rebroussant chemin devant l’amour enfin à sa portée dans la Chartreuse de Parme. Celui-là, soudain perdu dans l’observation des sarcelles et des pandas, «oublie» qu’il n’a conduit sa compagne au jardin des plantes que pour essayer de sauver de l’enlisement une histoire apparemment prometteuse. Cet autre (la narratrice nous propose de le nommer Tom Tanguy, pourquoi pas?) se trouve, en face d’une jeune femme qu’il vient d’inviter dans un café, atteint d’une curieuse affection oculaire qui le conduit à s’absorber dans la contemplation d’une moulure comme si la phrase qu’il cherche pouvait y être écrite, à regarder à travers la vitre les passants silencieux comme s’ils étaient des poissons dans un aquarium. Nous voilà à sa suite partis dans des souvenirs d’aquariums dans lesquels prennent place d’autres souvenirs, des réflexions sur l’évolution qui conduit du poisson à l’homme, des réminiscences d’aquariums virtuels sur ordinateur, enfin tout ce qui peut nous éloigner de cette femme et du possible croisement de regards entre elle et Tom, ce qui finit par devenir, en comparaison de cette plongée dans ces aquariums gigognes, tout à fait secondaire. Comme Achille courant après la tortue (du jardin des plantes?), le mouvement se ralentit à l’infini, mettant le narrateur au défi de raconter.

Pourtant, ce n’est pas l’analyse psychologique qui prend le relais d’une action en perte de vitesse, ni même un attendu monologue intérieur, mais un autre récit, né des pensées, fantasmes, souvenirs, regrets, scénarios potentiels élaborés par le héros. Tout un monde virtuel est là, prêt à naître et à prospérer sur les rails délaissés par le réel. Le lecteur, d’ailleurs, est fortement invité à y mettre du sien. La richesse fantasmatique des personnages, somme toute ordinaires, est à l’évidence à la portée de tous, et l’auteur n’a de cesse de nous mettre à contribution, qui crée un espace « où tout un chacun peu entrer (vous et moi, en somme)». Ces adresses au lecteur, ces interventions d’auteur, ces «vous savez ce que c’est», ces «n’êtes-vous pas de ceux qui», outre leur fonction de cadrage de la fiction, créent une atmosphère de complicité où le ton de Christine Montalbetti, toute d’une ironie décontractée, presque nonchalante, fait merveille. Il faut beaucoup de maîtrise dans l’art de raconter pour embarquer (par six fois…) un lecteur dans ces histoires où presque rien ne se passe. Faire vivre, pleurer, sourire, ce «presque» est peut-être un tour de force, mais là n’est pas l’important. Ce qui compte, c’est cette prise de position sur l’art du roman qui lui fait affirmer non pas que le «sujet» n’est rien, mais que dans ce rien, pourvu qu’un atome existe, tout un monde peut faire un discret, lisible et passionnant Big Bang.



Alain Nicolas, L’Humanité, 11 janvier 2007



Procrastinations



Les nouvelles de la romancière Christine Montalbetti tournent résolument le dos aux règles qui régissent le texte court : concision du trait, priorité à l’action sur les descriptions. Tout au contraire, la nouvelliste allonge sa phrase, la gonfle d’incises, de digressions, d’apartés au lecteur. Les actions de ces courtes histoires ? Quasi absentes. C’est que le sujet de ce livre où les nouvelles s’envoient des signaux les unes aux autres, c’est, justement, l’inaction. Ou plus exactement l’action empêchée. L’amour enlisé. Un homme séduit par une jeune femme dans une soirée, l’invite à le rejoindre un peu à l’écart des autres convives et se trouve devant elle avec rien à lui dire. Un autre essaie dans un café de trouver dans le décor qui l’entoure un sujet de conversation avec une femme qu’il veut séduire et… ne trouve rien. Un troisième rêve d’une rencontre inattendue avec une jeune femme aperçue chez des amis, la croise par hasard dans la rue et…ne l’aborde pas. Dans le trou noir des actions retenues, Christine Montalbetti déploie avec malice tout un récit de l’effondrement. C’est drôle, d’autant plus qu’on est sans cesse pris à partie par la narratrice, mis en demeure de retrouver, dans la précision des faits, ce «déjà-vu» savoureux qui renvoie à notre expérience intime. Mais ce livre- là, vaut surtout par les inventions qui se multiplient; Montalbetti est une virtuose de la rhétorique avec quoi elle joue. Peut-être trop diront certains, plus amateur de mélodies que de structures. Ses personnages, modernes en ce qu’ils n’ont plus d’épaisseur, ne sauraient être incarnés; leur psychologie fantôme est un vide qui appelle à lui tous les récits. Un bonheur d’écriture.



Thierry Guichard, Le Matricule des anges, février 2007




Pour traiter de l’amour, Montalbetti a choisi l’angle de l’inaction, de l’indécision, de la difficulté de passer à l’acte. Original et intelligent.



Deux ans après son formidable Western, voici que nous arrivent des nouvelles de Christine Montalbetti, cette drôle de romancière est spécialiste de narratologie, qui goûte les petits détails concrets autant que la théorie la plus abstraite. Réjouissons-nous, car ce sont des Nouvelles sur le sentiment amoureux: six récits qui réinventent, sur le mode de la fiction ludique et raffinée, une tradition aujourd’hui quelque peu négligée… Parler d’amour, ou plutôt de ce qui l’entoure, l’annonce, en précède les gestes qui peut-être ne viendront jamais: voilà un beau défi, qui demande de la souplesse dans l’analyse et un sens assez sûr de l’ironie, si l’on veut éviter de trébucher sur des clichés. Christine Montalbetti a bien ces qualité, d’humour et d’empathie : elle nous fait partager dans chaque nouvelle les hésitations d’un personnage désireux de passer à l’acte, mais distrait de ses intentions par des pensées parasites, un cortège de mots qui l’empêchent d’accomplir le geste inaugural, ce métaphorique et si parlant «premier pas».


Les récits, du coup, peuvent presque se lire comme un traité de timidité ou de la dérobade, voire de la paresse amoureuse, où la narratrice se pencherait délicatement sur l’épaule de ses héros indécis (toujours des hommes), pour leur suggérer à l’oreille qu’ils ne sont pas les seuls à se débattre ainsi avec leur aphasie, mais qu’il y a derrière eux toute une communauté de lecteurs prêts à se retrouver dans les situations décrites, au café ou au zoo, quelque part sur cette carte du Tendre très contemporaine. La subtilité du livre tient au fait qu’il joue sans cesse d’une connivence ambiguë : les adresses au lecteur se multiplient, le « vous » s’insinue entre les parenthèses et les plis de la prose, non pas pour maintenir la fiction à distance, mais au contraire pour en faire partager la terrible et délicieuse universalité. L’auteur élit ainsi Stendhal, empruntant à La Chartreuse de Parme le « complexe de Mosca » pour désigner la crainte d’agir de l’un de ses timides : la littérature, du XIXe siècle ou d’aujourd’hui, répète à sa façon cette rêverie qui nous paralyse devant l’objet de nos désirs, lorsque celui-ci nous renvoie à notre seule fragilité. Écrire, en somme, serait revivre dans l’imaginaire le trouble de l’inaction… Et c’est avec bonheur, alors, que Christine Montalbetti s’accorde ce droit à la paresse.



Fabrice Gabriel, Les Inrockuptibles, 10 février 2007



Le couple s’est assis à l’écart des autres, au fond du jardin – c’est une première rencontre et, en Jalil, voilà que surgit une émotion, une timidité qui «remue en lui la mémoire de timidités très anciennes, et qui n’ont pas de visage, qui se présentent à lui sous une forme abstraite». L’émoi amoureux naissant fait germer en Jalil un mélange d’exaltation et de malaise et, sous la plume de Christine Montalbetti, le combat que ces deux-là qu’elle nomme, de façon allégorique, Allégresse et Désagrément –engagent alors, en « des strates géologiques insoupçonnées » de l’esprit de Jalil, prend l’allure d’une stratégie antique, épique. Ainsi fonctionnent ces singulières et ironiques Nouvelles sur le sentiment amoureux rassemblées par Christine Montalbetti : en marge des schémas narratifs ordinaires, dans le temps suspendu de l’incertitude et par la voix d’un narrateur énigmatique, voire problématique, c’est bel et bien en «» de l’âme humaine que chacun de ces six récits nous transporte. Pour dire, chaque fois, l’histoire d’un échec, d’une fuite, d’une irrésistible et fatale « propension à l’esquive » face aux élans du sentiment.


Télérama, du 10 au 16 février 2007


Agenda

Jeudi 25 avril
Christine Montalbetti à la bibliothèque municipale de Souillac

Bibliothèque municipale de Souillac
10, rue de la Halle
46200 Souillac

05 65 32 67 92

 

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