— Paul Otchakovsky-Laurens

Glossaire

Marc Cholodenko

Comment comprend-on ? je ne sais pas. Car ce que je comprends, je le comprends trop peut-être – de manière trop compacte et abrégée, et, surtout, circonstancielle et éphémère – pour le faire comprendre, pour que on le comprenne et même, même pour le faire comprendre à ce moi-même qui a partie liée au on. Je m’entends, pourrait-on dire, mais comment, et jusqu’où – cela je ne saurais le comprendre. Ainsi, tout au long de ce recueil de définitions, la solitude essentielle et extrême que constitue et suscite notre confrontation aux notions les plus communes et les mieux partagées, cette solitude, habituellement ignorée...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage Glossaire

Feuilleter ce livre en ligne

 

La presse

Ne pas rater cet écrivain trop méconnu, amateur d’aventures et d’expériences : ainsi ce Glossaire, qui met sa pensée à l’épreuve du style.


Ponctuel mais jamais attendu, tel est Marc Cholodenko, qui livre avec une régularité déconcertante des textes toujours neufs, mais trop peu souvent reconnus. Ce formidable écrivain semble avoir acquis en effet un statut pour le moins original, et pas forcément confortable : être au purgatoire de son vivant. Poète à scandale et à succès du Roi des fées ou prodige proustien des États du désert, Cholodenko fut dans les années soixante-dix un astre élégant, radical, d’une beauté sûre de son fait. Il n’a rien perdu de cette lumière, même si l’époque, dirait-on, lui préfère des néons plus criards. Tant pis pour elle. Et tant pis pour ceux qui n’ont pas lu le magnifique Thierry, paru l’an passé, ou ne liront pas le Glossaire d’aujourd’hui. Ils manqueront une drôle d’aventure des mots et de la pensée, dont la singularité secoue, oblige à l’arrêt, invite à la relecture, donc à la circulation à l’intérieur d’un livre aux fausses allures de simplicité. En apparence, ce Glossaire se présente ainsi comme une suite de variations sur des notions classées par ordre alphabétique : d’« Âme » à « Zeus », en passant par « Autrui », « Image », « Réel » ou « Temps », les cinquante articles qui composent le volume pourraient ressembler à un vade-mecum métaphysique un peu snob, mais finalement assez convenu. Il n’en est rien, parce que Cholodenko est un prosateur du risque, qui met sans cesse sa pensée à l’épreuve du style : donner corps à l’effort de définition, faire frôler la peau paradoxale d’une pure abstraction, tel est le défi de ce Glossaire fait de fulgurances et de détours. Les circonvolutions n’y manquent pas, qui obéissent aux exigences d’une syntaxe étrange mais rigoureuse, procédant par raccourcis, enchaînements de relatives, renversements de perspectives, éclatement soudain d’une formule presque magique : quelque chose comme du baroque sec, ou l’érotique aride d’une langue aux prises avec l’impossible vérité d’un mot. Marc Cholodenko est indissociablement philosophe et poète en ce sens : traqueur de l’inouÏ, il écrit ce que l’on n’a jamais entendu – ce que les dictionnaires ne nous avaient jamais dit.


Fabrice Gabriel, Les Inrockuptibles



Décrire, écrit-il


De A… à Z. Marc Cholodenko livre son « Glossaire »


Un glossaire est un dictionnaire « qui donne l’explication de mots anciens ou mal connus ».

Celui que dresse Marc Cholodenko semble l’inventaire d’une série d’insistances.

Ce qui insiste ce qui a résisté à l’usure du temps, ce qui toujours interroge, ce qu’on ne connaît jamais complètement.

Comme « le chercheur qui doit être trouvé par le mot », l’écrivain va à la rencontre de thèmes (ainsi qu’on les nommerait en musique), obsessions, sentiments, questionnements qui, pour finir, dessinent le portrait d’une vie d’homme.

La littérature y tient une certaine place puisque l’auteur est écrivain, mais la mort, la restriction, la vieillesse, l’incapacité, la gaité, la matière, l’attente et cetera sont également traitées.

Une page en général, deux et demi au grand maximum : chaque fois un texte qui fait bloc, sans passage à la ligne.

Saisir par le déroulement de la phrase et une certaine logique de l’écriture ces « sujets » comme on le ferait d’objets à décrire.

On sent l’auteur à sa table comme un peintre à sa toile décrire(désécrire autant qu’écrire) jusqu’à ce que la chose apparaisse.

Une fois apparue, la chose est satisfaisante ou décevante, mais elle est là et ne peut être effacée.

Certes il aura peut-être fallu peser chaque mot ou bien ne pas s’attarder au contraire, dans tous les cas la sensation du mouvement – d’une course rigoureusement effectuée de son point de départ à son point d’arrivée –, est prégnante.

Le retournement des concepts sur eux-mêmes à travers la répétition de certains mots, la percée dans le labyrinthe des phrases, la façon de tourner autour du sujet jusqu’à l’approcher, le heurter, s’y blesser, s’y confondre ou le traverser, sont une étude des formes que prend la pensée mise en mots.

Le glossaire radiographie les actes successifs d’éprouver, penser, écrire.

Et Cholodenko en se livrant à ces exercices de méditation et de réflexion en laisse apparaître l’engagement physique : adrénaline, sueur, respiration, rythme, soif, soupirs, fatigue, énergie, pause.

Ainsi, à la lecture, on croit sentir l’expérience de l’écriture.


Claudine Galea, La Marseillaise, 2 septembre 2007



Art » (entre « Amour » et « Attente »), « Danser » (entre « Corps » et « Disparus »), « Langue » (entre « Jalousie » et « Légèreté »), en tout cinquante vocables, cinquante entrées d’un territoire de pensée, qu’il s’agit sans doute plus d’infinir que de définir – sinon pour retrouver « le sens de la définition » (p. 7), pour approcher « l’indéfinissable par définition » (p. 19). Un Glossaire, en somme, qui est un contre-lexique, et même un glossaire négatif : « ce qui n’a pas de chair ne peut-être entamé » (les premiers mots, p. 7), « le monde ne connaît pas l’amour et l’amour ne connaît pas le monde » (« Amour », p. 9), etc. Chaque nom devient l’épreuve du non. Il semble alors que les « entrées » masquent bien d’autres ouvertures (partage, passage, séparation) et que l’ouvrage, « dispersé à tâtons autour de […] termes absents », nous conduit vers la grille – devant l’autre parole.


Jean-Luc Bayard, C.C.P., août 2008