— Paul Otchakovsky-Laurens

Wert et la vie sans fin

Claude Ollier

Un homme d’une trentaine d’années, traumatisé par le souvenir récurrent d’une guerre à laquelle il aurait participé récemment, fait le récit de sa cure dans un établissement hors norme où il se rétablit lentement, soumis à un traitement original où l’écriture joue un rôle prépondérant. Libéré au bout du compte, il se voit « raconté », à la troisième personne cette fois-ci, au cours d’un long voyage vers l’est qui lui apparaît peu à peu comme épousant par étapes les épisodes d’une épopée très ancienne.

 

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Traductions

USA : Dalkey Archive Press

La presse

Avec Wert et la vie sans fin, Claude Ollier met fin au deuxième ensemble fictionnel de son oeuvre, La Randonnée, entièrement publié chez P.O.L. Wanderlust et les oxycèdres, Préhistoire, Qatastrophe, et Wert relient une interrogation non dénuée d’humour sur la mort à, respectivement, une série de grands textes : Le Livre de l’échelle de Mahomet, les poèmes préislamiques, Le Livre des Morts et L’épopée de Gilgamesh. On le voit, il s’agit d’une remontée vers l’origine de l’écriture. Wert est le personnage principal du dernier volet de cet ensemble. Son nom, même si l’auteur sans doute s’en défendrait, fait entendre le mot allemand signifiant la valeur. Ce nom est peut-être une sorte de tribut à la vieille culture européenne, mais cette dette est rapidement abandonnée à mesure que le livre fait signe vers l’histoire fondatrice née des tablettes de la Mésopotamie. La trame narrative du livre dit que Wert a vécu une guerre qui l’a traumatisé. En pleine cure, le voilà pris dans une errance initiatique qui le confronte à sa mémoire en même temps qu’à une amitié très vive. Le lecteur aguerri pourra y retrouver la reprise des grandes étapes de L’épopée de Gilgamesh. Mais si cette référence lui échappe, il doit être sensible à la concenteration de l’écriture qui procède par petits paragraphes et impose une lenteur de lecture, très vivifiante cependant. La construction du récit, en tant qu’oeuvre écrite, forme, au gré des rencontres du personnage (un Maître, une sorte de double nommé Xian, une femme etc.) la tension même du livre. Dans l’époque de régression générale qui caractérise aussi bien la littérature que la politique actuelles, l’exigence qu’impose la lecture d’un tel livre est salutaire. Il me semble, même si l’univers de Claude Ollier tourne constamment le dos au fondement de la culture occidentale pour trouver aillerus (dans le monde arabe notamment) un souffle nouveau, que l’écriture de Wert et la vie sans fin, à l’instar de toute La Randonnée, rencontre la représentation du mythe. Si l’on s’accorde sur le fait qu’un mythe est un récit qui connaît une série - toujours en devenir - de versions et que ces variantes ou variations parlent des grandes interrogations de la société, Wert et la vie sans fin est un récit qui offre une lecture inattendue de L’épopée de Gilgamesh pour inciter le lecteur à méditer sur le statut de l’écriture, l’accès à la sagesse, la figuration du temps dans notre monde. Le terme Randonnée procède sans doute du même glissement de notre civilisation vers l’ailleurs : il permet, de la même façon, rencontrer le mythe. On peut y entendre l’errance propre à la tradition romanesque médiévale, le voyage si cher au romantisme (allemand notamment), mais ces références s’estompent lorsqu’on sait que Claude Ollier utilise ce terme comme la traduction d’une idée chinoise qui fait allusion à toute la suite des étapes sur la route de la sagesse.


Alexis Pelletier, Cahier Critique de Poésie, août 2008



Voyage au bout de soi


Rien de plus aisé que de perdre pied dans la prose efflorescente de Claude Ollier dont l’audace littéraire, dans la veine exploratoire du Nouveau Roman, repousse de livre en livre toujours plus loin les limites de la narration. Dans Wert et la vie sans fin qui vient clore le cycle de « quatre récits de couleur mythologique » après Wanderlust et les Oxycèdres, Préhistoire et Qatastrophe, le lecteur doit en effet accepter de frayer sa voie et de naviguer à vitesse variable dans des espaces disloqués, des temps indécidables, quitte à se perdre dans un « lacis de propositions évasives à syntaxe aléatoire ». Phrases troglodytiques ou vrillées, images brisées ou dilatées, la narration heurtée de ce texte ardu et déroutant s’articule pourtant principalement en deux moments : le premier met en scène Wert, volontairement reclus dans une cellule de ce qui semble être un refuge spécialisé pour anciens vétérans, où entre fulgurances d’un passé « révolu avant d’éclore » et ressassement d’un effroi resté sans nom, il tente de « renouer avec le mot », traquant pour s’en libérer les épisodes d’une guerre qui l’a profondément marqué. La deuxième partie montre Wert passé « dans l’au-delà du deuil », en route cette fois vers un lieu indéterminé et mystérieux, qui le conduira à l’Est - et plus encore, vers ce qui apparaît comme « l’autre côté » de lui-même. De ce voyage initiatique tendu vers l’inconnu, aux marges périlleuses de l’invention de soi et des « noms qui sonnent vierges à (l’) oreille », se dégage l’étrange singularité d’une écriture qui tissée dans les légendes et les récits d’un passé mythique, semble soucieuse de « polir le grain de l’âme ».


Sophie Deltin, Le Matricule des Anges, septembre 2007


Et aussi

Claude Ollier est mort.

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