Plus que dans aucun de ses précédents livres, Manuel Joseph se montre dans La Tête au carré un écrivain du montage. Le film, le texte, ce serait celui du monde violent, le nôtre tel qu’il tue et mutile, tel qu’il expulse et déplace, de Gaza aux banlieues. Ce texte est fait d’éléments en principe hétérogènes que le montage, précisément, associe, fait résonner, oppose et juxtapose non pas au hasard mais selon une logique de la sensation et de la prise de conscience, tandis qu’un personnage récurrent, Elsa, sorte de surperwomen tueuse et cruelle prend en charge une narration bousculée.
« Les formes plastiques qui correspondent le plus exactement à la forme linguistique de la tautologie sont le carré, et sa rotation stéréoscopique, le cube » (Buchloh). Alors qu’Amilka aimme Pessoa traitait de la clôture administrative (tautologique ?) et médicale de l’identité d’un sujet, ce livre, qui peut être décrit comme une forme synoptique, met en scène, dans un dispositif-écran dense composé de blocs textuels détourés à la justification rectiligne, d’images échantillonnées et de multifenêtrages parfois vidés de leur contenu, des multiples traductions, ou interférences – par macromontage des blocs entre eux, ou micromontage à une échelle plus réduite – entre les jeux de langage à la fois discrépants et homogènes du biopouvoir – comme problème public – institutions détenant le « monopole de la violence légitime » (Benjamin), surveillance et traçabilité globale, reification des corps par l’imagerie et / ou la torture, nouvelles formes de guerres invasives et mutilantes.
Olivier Quintyn, CCP, mars 2011