— Paul Otchakovsky-Laurens

Mon coeur tout seul ne suffit pas

Mathieu Lindon

Mathieu reçoit une curieuse lettre lui enjoignant de contacter sans délai la fille d’un de ses meilleurs amis, qui vient de mourir. Or, de cet ami, il n’a aucun souvenir. Mais, en même temps que sa méfiance, sa curiosité est piquée et il se rend en province auprès de l’étrange famille de son « ami ». Tandis que lui revient peu à peu la mémoire, tandis qu’il s’émerveille des personnes qui l’entourent et qui dessinent une constellation d’intelligence et de gentillesse rare – des enfants quasiment surdoués dans ces deux domaines à leurs affables parents – un malaise cardiaque l’abat. Il survivra mais aura...

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Pays-Bas : Ailantus

La presse

Un lien étrange en héritage

Mathieu, l’auteur devenu son propre personnage, reçoit une lettre d’une inconnue, qui se présente comme la fille d’un de ses amis assez intimes pour qu’il en devienne l’héritier. Or le nom de cet ami ne dit rien à Mathieu, pas plus que « les aventures africaines » qu’il est censé avoir partagées avec le défunt. Intrigué, le narrateur répond à l’invitation de rejoindre cette famille endeuillée : la veuve, la fille du mort et ses enfants, un petit garçon et une fillette, qui vont devenir les principaux interlocuteurs de l’écrivain.
Comment remonter dans un passé que l’on vous assigne, mais qui, de toute évidence, ne devrait pas être le vôtre ? Quel rôle tenir, quand un mort en a écrit le texte et semble mieux connaître que vous votre propre identité ? Il existe bien des romans qui sont la révélation de la nature cachée d’un disparu, quand ce dernier est l’objet d’une enquête approfondie. Plus rares sont les récits qui sont en quelque sorte dictés par une voix d’outre-tombe. L’atmosphère très inquiétante du nouveau roman de Mathieu Lindon n’est pas entièrement nouvelle dans son œuvre, qui a toujours joué sur les pulsions incontrôlées, les incertitudes de la morale familiale, les passions ensevelies et resurgissant violemment, les fausses eaux dormantes.
Observant, à son habitude, une sorte de réalisme trompeur, de naturalisme qui rappelle à la fois les grands romans de Tony Duvert et les incongruités surréalistes des films de Luis Buñuel, Mathieu Lindon, adepte de la « ligne claire » dans sa manière de conduire l’intrigue, entraîne les lecteurs dans le pavillon paisible de cette famille d’adoption, elle-même atypique. Car le mort qui, à force de conversations entre l’auteur et les héritiers, reprend vie, était un pianiste algérien qui aurait ému, un soir lointain, en Afrique, dans un bar, le narrateur. Et cette émotion aurait été assez déterminante pour créer entre eux un lien très fort. Mais à ce souvenir s’en ajoutent d’autres, plus lointains, venus de l’enfance. Et tout se mêle : la musique, passion qu’ils ont en commun, la religion considérée avec distance, mais envahissante tout de même (le narrateur est juif, et le mort, bien entendu, musulman).
Dans l’univers feutré du deuil et de la mémoire rapportée s’insinue peu à peu une autre menace. Car ce« cœur » qui est présent dans le titre du roman et qui désigne, croit-on, le lieu de l’affect, est aussi un muscle. Et d’une histoire sentimentale (une amitié en quelque sorte refoulée par l’un des partenaires), on passe à une histoire politique (un Algérien immigré offre son passé, son identité, à un juif bourgeois et gay) et à une histoire physiologique : le cœur du narrateur, soudain chargé de trop de missions, flanche et va subir une lourde intervention.
Mathieu Lindon a toujours écrit de belles histoires réalistes et cruelles, où ne manquaient que les fantômes. Avec ce dernier récit, il montre qu’il n’est pas nécessaire de quitter les conventions de la narration réaliste pour aborder aux rivages du fantastique. Il suffit des failles de la mémoire, de la faiblesse d’un cœur et d’une hypersensibilité, à laquelle deux enfants apportent une délicieuse complicité.

René de Cécatty, Le Monde, 11 janvier 2008

Le narrateur de ce troublant roman, prénommé comme l’écrivain, reçoit une lettre d’une inconnue qui se dit la fille d’un ami assez cher pour avoir fait de lui son héritier. Quoique le nom de ce dernier ne lui évoque rien, Mathieu accepte de se rendre dans la maison du défunt, où vivent sa veuve, sa fille et les enfants de celle-ci, qui deviennent vite ses principaux interlocuteurs : vont-ils lui en apprendre plus sur ce Milodi, un pianiste algérien qui semble lui dicter sa conduite d’outre-tombe ? Son inquiétude grandit quand il prend froid et doit s’aliter, tandis que les deux femmes sont retenues hors de la maison. Le voici donc malade, en tête à tête avec deux jeunes enfants insomniaques qu’il s’agit de d’occuper et de rassurer, tâche peu aisée pour ce célibataire. L’effet de réalisme du récit se double d’une aura fantastique, accrue par une agression nocturne et les cauchemars du narrateur. Jusqu’à ce que le cœur dont il est question dans le titre ne flanche… Conte étrange mais enchanté par la présence des enfants, le récit vous tient en haleine.

Isabelle Martin, Le Temps, 23 février 2008

Un roman très romantique

[…] En véritable écrivain Mathieu Lindon excelle dans l’art de raconter des histoires troublantes, et dans son nouveau roman paru chez P.O.L intitulé Mon cœur tout seul ne suffit pas, il surprend son lecteur qui l’attendait certainement pas dans ce récit romantique où il est question d’amitiés indéfectibles, d’amours familiales et comme dans le film De battre mon cœur s’est arrêté (la noirceur en moins), de la musique qui libère l’homme de ses chaînes.
Il est rare de trouver dans la littérature française contemporaine pareil exemple de roman hors mode qui ose faire l’éloge de l’art d’être grand-père et qui affirme que le regard bienveillant d’autrui nous rapproche du ciel. Mais tout cela n’est pas donné au départ, et le lecteur devra entreprendre avec le narrateur, un certain Mathieu, une promenade assez labyrinthique qui le conduira dans l’évocation de la Guerre d’Algérie et des accords d’Évian de 1962.
Étonnant, Mon cœur tout seul ne suffit pas l’est à tous les points de vue, dans le fond comme dans la forme, y compris dans son intrigue énigmatique et à tiroirs. […] Ne dévoilons pas plus l’intrigue qui réserve jusqu’à la fin de belles surprises narratives. Avec beaucoup de pudeur, et des dialogues d’une grande justesse Mathieu Lindon parle alors de l’atteinte de l’âge, de la maladie et de la mort, et montre que nous ne guérissons jamais de notre enfance, et que notre passé finit toujours par nous rattraper. Pour le pire, ou comme ici pour le meilleur. Un livre qui fait aimer la vie, et les autres. Un roman lent, grave, douloureux parfois, mélancolique, poétique et d’une écriture aussi musicale que son principal sujet évoqué.

Jean-Rémi Barland, Luxemburger Wort, 14 février 2008

L’ami retrouvé

C’est par un enchaînement logique, mais qui prend vite l’allure d’une comédie mi-inquiétante, mi-burlesque, que Mathieu (l’auteur narrateur) se retrouve dans la maison familiale de Dominique Turna-Veille, de sa mère et de ses deux enfants Ikbal et Dounia. Il y est accueilli comme un bienfaiteur, en mémoire de Milodi, grand-père des enfants, qui vient de mourir et avait toute sa vie évoqué l’amitié et la reconnaissance indéfectible qu’il portait à Mathieu. Or celui-ci n’a aucun souvenir de Milodi, et encore moins de prétendues aventures communes en Afrique. La lettre qu’on lui fait lire, le dossier qu’on lui remet, cette maison où il est reçu et dont on lui dit qu’elle lui revient en héritage, tout le rend circonspect et nerveux. Amoureux du mot juste, « puriste syntaxique », il est aussi en décalage verbal avec ses hôtes dont même les noms le désarçonnent. Le voilà contraint à un numéro d’équilibriste : ne pas décevoir ces inconnus qui paraissent l’aimer sincèrement, ni jouer les usurpateurs en prétendant être celui qu’il croit ne pas être.
Il franchit néanmoins, avec maladresse, de minuscules étapes vers la « reconnaissance ». Le jeu à quatre mains des enfants interprétant au piano En bateau de Debussy lui remet ainsi à l’esprit Paul, que Mathieu appelait par dérision Pavel à cause d’un accent indéfinissable (russe ?). À treize ans, celui-ci venait chez lui pour jouer sur le Pleyel de ses parents. Mais sa mémoire défaillante n’identifie pas immédiatement Pavel comme étant Milodi, et il faudra du temps, une promenade nocturne, un coup de froid, l’insistance affective des enfants qu’il partage de façon inattendue, des insultes (« sales bougnoules »), un accident, et surtout un coup de fil de son amant Simon, qui souligne son obstination à ne pas comprendre, pour enfin admettre l’évidence. Milodi, en réalité d’appartenance algérienne, était bien son ami d’enfance, et sa vie fut belle grâce à un lointain et humble geste, qui sommeillait dans la mémoire de Mathieu tout comme son origine juive. Cette révélation répond en partie à la question qui obsède le romancier narrateur : « Pourquoi je vous intéresse tant ? » Déjà à l’œuvre dans des textes précédents, dont La Littérature, il l’aborde ici sous l’angle émotionnel : comme la lettre testamentaire de Milodi (et le médecin !) le lui apprendra, un seul cœur ne suffit pas. Les mots non plus ne suffisent pas toujours, ni deux mains parfois, quand il faut faire ses devoirs ou jouer certains airs…
Au fond, Mathieu Lindon ne résiste pas au sentimentalisme de cette famille. Il s’agit pour lui, une fois de plus, de s’interroger sur l’amour, cette fois non au sein du couple, mais envers ses amis et son entourage. « L’harmonie (est) comme l’amour, à réinventer. » Milodi (« mélodie »…), ne disait-il pas à propos des disputes de ses parents, « ils n’ont jamais l’accord » ? Et c’est musicalement que le texte se construit, alternant « syncopes » (les malaises de Mathieu), échappées d’émotion, délires, avec de calmes plages de raison et d’explications. L’extravagance le dispute à la mort, à la crainte de la « faute de grammaire morale », à l’héritage de la violence et du racisme. Ces frictions de style provoquent une tension palpable qui, peu à peu, comme en rappel de la pièce de Debussy, s’adoucit pour achever le livre en paix.

Pascal Jourdana, L’Humanité, 7 février 2008

[…] Étrange, sur le fil, Mon cœur ne suffit pas passe curieusement d’un genre à l’autre, commençant comme un polar, continuant comme un huis clos à la Losey, puis variant vers la guerre d’Algérie pour revenir enfin vers l’art et la musique. On pense un peu au Caché de Michael Haneke, qui enchâssait lui aussi l’histoire coloniale dans une scénario où on ne l’attendait pas. Un roman insaisissable et troublant, où l’on retrouve le style coulant et si particulier de Lindon. Bon Cru.

L.B.,Chronic’Art, février 2008