— Paul Otchakovsky-Laurens

Rétro

Olivier Bouillère

Nous sommes en 1998. Un homme encore jeune, désœuvré, se drogue et boit dans une sorte de compulsion nihiliste. Une aisance financière héritée, qui va s’amenuisant, lui permet de faire à peu près ce qui lui plaît. Mais il semble que rien ne lui plaise plus vraiment.
Et puis, parce qu’il l’a souhaité si fort, ou parce que quelque chose s’est détraqué, en lui, hors de lui, ce même homme se retrouve transporté en 1978, enfant, mais avec la connaissance des temps qui vont suivre et de son histoire, comme de celle des autres, avec son esprit et sa sensibilité d’adulte. Années ante-sida, années du Palace, années de fêtes...

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Nos folles jeunesses



Le mort saisit le vif. Toujours. On sait tout cela. Il suffit d’avoir lu deux, trois livres. Ou bien, plus accidentellement, d’avoir appartenu à une génération où il était de bon ton de mourir à 30 ans. À vous faire oublier combien c’était bien d’en avoir eu 20. À vous faire oublier les noms des soldats tombés au champ d’honneur des « dance floors ». Ces baisers échangés dans un nuage de poudre qui s’ignorait encore nuage de cendres. Peu importe les noms et les années. Demande à la poussière.

Nous avions aussi en ce temps-là des témoins, des complices. Des livres, pour tout dire, qui nous écoutaient autant que nous les lisions. Cocteau, Proust, Fitzgerald et Hervé Guibert en grand contemporain. Tout un bréviaire d’anges déchus pour une jeunesse joliment dissipée. Narcisses orphelins, nous nous mirions dans leurs pages, les interrogeant : « Ferons-nous bientôt d’aussi jolis cadavres ? »

Cette « morbidité fin de siècle », nous en avions oublié jusqu’au goût. Voilà qu’elle nous est rendue avec le premier roman français le plus stupéfiant d’audace et de beauté que nous ayons lu depuis de nombreux mois (pour ne pas écrire années). Cela s’intitule Rétro et est l’œuvre d’un certain Olivier Bouillère, dont nous ne savons que ce que son éditeur veut bien nous en dire (né en 1970, architecte, licencié en philosophie, vit à Paris), autant dire rien, ce qui est suffisant.


Vingt ans en arrière.


Paris, 1998. Olivier, un homme d’une trentaine d’années, Alain, un autre plus âgé, et un petit garçon. Un appartement dans la nuit, une rumeur de défaite, d’alcool, de draps froissés, de médicaments et d’ennui. Olivier va se retrouver plongé vingt ans en arrière, à l’époque où il fit la connaissance d’Alain, de sa famille, à l’époque où sa mère trouva la mort dans un accident de voiture aux côtés de son amant. À trop fréquenter les grandes personnes, le petit Olivier, mascotte d’un groupe de « freaks » magnifiques où oncles et tantes, pères et amis, amoureux et dealers, rejouent Sodome et Gomorrhe pour leur usage personnel, va en éprouver les désirs et l’infinie fatigue. Ce qui n’est pas une vie pour un gamin de 12 ans, mais une jolie façon de se préparer à mourir. Alors, il y aura des étés d’initiation dans de grandes maisons de campagne, des nuits de peur et de tristesse au fond de trop vastes « penthouses », de jolis garçons, des soirs de cocaïne, des distractions pour gosses de riches distraits, des sorties au Palace pour aller écouter en compagnie de Roger Peyrefitte le concert d’une amie de la famille, Amanda Lear. Au bout, tout au bout de la nuit, qu’y a-t-il ? Une autre nuit toujours recommencée. Et comme dans tous les contes qui font si peur, des loups, un ogre et des enfants perdus.


Volontairement décadent.



Bien sûr, et il est absolument nécessaire de l’écrire, Rétro n’est pas à mettre entre toutes les mains. Ses pages regorgent de scènes sexuellement explicites et susceptibles de choquer tous ceux qui ne sauraient les replacer dans un contexte volontairement décadentiste, voire sadien. On ne se résoudra toutefois pas ici à abandonner le champ critique aux seules ligues de vertu et à laisser réembastiller le divin marquis, rechercher des poux dans la tête de Bataille ou réinstruire le procès de Tony Duvert. Pour notre part (malgré une dernière partie peut-être moins réussie), nous n’avons pas souvenir d’une « entrée dans la carrière » aussi percutante depuis bien longtemps. Rétro évoque évidemment le Guibert de Vous m’avez fait former des fantômes ou le Schuhl d’Ingrid Caven, mais aussi Sade donc, Pasolini, et peut-être, plus que tout, une relecture cocaïnée de La Recherche ? Ne serait-ce que parce que là aussi, si on se couche, c’est de bonne heure ?

« Mon père rentre tard, parfois juste pour se changer. La nuit, je l’entends revenir sans faire de bruit. Il allume la cuisine. Je l’entends enlever sa chemise dans le noir, assis sur le lit. C’est un coton très doux qui glisse sur sa peau. Je lui dis : “Bonne nuit, papa.” Je ne l’ai pas dit depuis si longtemps. Il dit : “Bonne nuit, Olivier”, mais je suis déjà rendormi. »
Rétro est le cauchemar magnifique de cet enfant qui dort.



Olivier Mony, Sud Ouest, 6 mars 2008




Le temps retourné



Chers lecteurs, esthètes trash, nostalgiques incurables ou simples obsédés sexuels, ce premier roman d’Olivier Bouillère est pour vous. Snobissime, mais sublime.



Qu’il est difficile de transmettre un enthousiasme littéraire quand on est concurrencé à d’autres pages par des corps de femmes offerts. Parfois j’ai l’impression, écrivant ici, d’être comme un missionnaire à l’entrée d’un bordel, tentant désespérément d’évangéliser les mécréants. Peu importe, j’accomplirai dignement mon sacerdoce. Amis hédonistes, que vous soyez blasés ou pervers, ô mes éternels enfants, lisez Olivier Bouillère, vous découvrirez de nouveaux horizons. Plus qu’une révélation, ce jeune homme est un révélateur, au sens photographique du terme. Son premier livre est chic et décadent comme du Simon Liberati (en plus homo). Il s’intitule Retro mais impossible de faire plus moderne. Il contient des phrases immémoriales comme : « il a fait du thé pour son édredon » ou : « Elle n’aime que les Rolls et les Coccinnelles parce que ce sont les deux voitures qui ont un marchepied » ou encore (la mieux) : « je me demande ce qu’est devenue la vie en mon absence ». Pour les trash-victims dans mon genre, sachez que le roman commence par une scène où deux hommes tapent de la coke dans la salle de bains pour se retenir de violer un enfant assoupi dans le salon. Le narrateur porte le même nom que l’auteur. Il a 30 ans en&nbsp1998, il est architecte. C’est un pédophile refoulé, comme tous les habitants des pays occidentaux. On pourrait être dans un roman de Dennis Cooper (même éditeur) mais soudain Olivier se retrouve vingt ans plus tôt, en&nbsp1978, nageant dans une piscine avec son corps d’enfant, tout en y gardant les mêmes pensées érotiques qu’au début. Et alors là, c’est un festival de références kitsch ou cultes qui nous font ronronner de plaisir : les disques d’Amanda Lear et d’Earth, Wind &Fire, Roger Peyrefitte, Farrah Fawcett, un hôtel particulier rue de Presbourg, la boutique Champ Disques, le salon de thé Carette… Plus snob, tu meurs. Le récit s’adoucit, c’est la description d’un garçonnet étranger à lui-même, l’éducation sexuelle d’un adulte redevenant enfant. Idée géniale : le premier roman d’initiation d’un puceau ayant déjà baisé ! Oui, je sais, mes goûts sont prévisibles ; j’aime les romans provocateurs avec des flashbacks mondains, le name-dropping de dandies fatigués, les lendemains de fête glauques et les nostalgies de temps disparus. Je suis navré de prendre autant de plaisir à lire des textes qui concernent si peu de monde. Pardon, ô&nbsptoi mon ami voyeur, mon frère de solitude aux mains couvertes de sperme, pardon de me passionner pour des humains complètement malsains, qui titubent dans des plaisirs périmés en souvenir de leur mère morte. Qui s’intéresse aujourd’hui à la beauté, à part toi et moi ?



Frédéric Beigbeder, Playboy, avril 2008




Bouillère avant-hier



Un homme de 30 ans retrouve son corps d’enfant et découvre une sexualité inquiétante.



Il faudrait aller vérifier (et peut être serait-on détrompé) mais ce premier roman s’ouvre comme une boîte à souvenirs littéraires, cachetées vers&nbsp1990. Avec ses vieilles dames et ses appartements fantomatiques, ses édredons et ses médicaments gobés comme des bonbons, sa syntaxe en forme de Resnais mémoriel (un ange passe entre les phrases, elles flottent en îlots désœuvrés), il fait d’abord penser à un livre d’Hervé Guibert. Ou disons qu’il restitue l’impression qu’on se rappelle de la lecture de Guibert ou Duvert à la fin des années 80, qui ne serait sans doute pas la même si l’on reprenait aujourd’hui ces ouvrages.



Périnée



Cent quarante-deux pages plus loin, Rétro choisit de commencer à finir mal, car il finit, alors qu’on aurait voulu continuer à flotter dans ce remue-ménage du temps qu’il se donne pour programme : le narrateur est un homme de 30 ans à qui il est donné de revivre l’année de ses 8 ans, avec sa conscience adulte mais son corps et sa psychologie d’enfant. « Je vois mon petit sexe dressé, avec le prépuce qui dépasse le gland. Je le fais bouger. Alain me demande où est ma caresse préférée. Je bascule un peu les fesses. Je lui dis que je ne connais pas le nom. Je le désigne. Il me dit : « Ça s’appelle le périnée ». Il l’effleure. Il me dit que c’est une très bonne caresse. »

Qu’on se rassure, les pédophiles sont ici de méchants bonshommes. Mais Olivier Bouillère affronte en revanche la sexualité enfantine, se remémore ces troubles indécis qu’on sait avoir vécus mais qu’un adulte ne sait plus comment formuler. Et il décrit de la seule manière possible, qui n’est certes pas avec les mots d’un enfant, mais comme une anamnèse proustienne : « Le passé, ce n’est pas vraiment ce qui a eu lieu. C’est ce qui s’est constitué depuis comme n’existant plus. »

Rétro donc par le geste narratif (revenir en 1978) et rétro dans l’écriture (le présent de la narration est supposément&nbsp1998). Rétro empile les doubles fonds pour nous mettre cul par-dessus tête. Il y arrive très bien avec de formidables guest-stars comme Roger Peyrefitte, Thierry Le Luron ou Amanda Lear, cette dernière hantant le roman en fofolle inquiétante, « la voix […] étrangement creuse quand elle parle » et qui « semble passer en dessous de la salle » si elle chante. Bouillère trace aussi du coup un portrait de Paris mondain des années Palace avec sa dope, ses aspirants stars, une espèce de légèreté sonnée d’après 68 et d’avant sida. De l’autre côté des paillettes, il y a certes le calme feutré de la famille du narrateur, mais celle-ci présente toutes les caractéristiques de la fin de race, du décousu, de l’argent faisandé. Aussi bien se dégage de l’ensemble une délicieuse mélancolie, comme de visiter des ruines (Rétro fait un excellent Piéton de Paris disparu) : « Parfois je sens que c’est à moi et que ça me passe dessus comme un voile mais je l’écarte. L’ennui c’est que je ne sais pas si je me fais des idées, si la vie est pareille pour tous jusque dans son impression singulière. J’aimerais être un autre un moment, savoir ce qu’un autre appelle bleu, froid ou triste. »



Antimatière


Par sa technique de rétroéclairage (il y a trois parties qui progressivement se font écho les unes des autres), ce texte troublant n’est pas seulement le jeu limite (pédophilie, pastiche, polar) que certains pourraient croire. Il ouvre surtout à une temporalité nouvelle et à la subjectivation qui s’en suit, plonge le doigt dans l’antimatière qui constitue notre monde hic et nunc, même si « à un moment il faut accepter de revêtir une certaine forme d’existence ».



Éric Loret, Libération, 10 Avril 2008




Méandres



Ne vous fiez pas à sa couverture blanche : Rétro, premier roman sulfureux d’Olivier Bouillère, n’a rien d’innocent. Financièrement à l’aise depuis qu’il a touché un héritage, le narrateur poursuit avec son compagnon une existence sans grand relief, dissolue dans la drogue et l’inactivité. Sa vie bascule le jour où son esprit se retrouve subitement transporté en&nbsp1978, dans le corps de ses dix ans. Riche de ses souvenirs, Olivier profite avec joie de l’occasion de revivre la chronique familiale, fantasque et bambocheuse. Ce sont les années Palace, celle d’avant le sida, où brillent Thierry Le Luron, Roger Peyrefitte et Amanda Lear en sulfureuse égérie disco. Mais son univers se peuple vite de personnages très inquiétants, à commencer par Le&nbspVic, un psychopathe à la tête d’un réseau pédophile aux longues ramifications… Tout cela appartient-il vraiment à son passé ?

Inutile de le cacher : Rétro frôle l’insoutenable à plusieurs reprises. En décrivant, avec force détails, des scènes pédophiles du point de vue de l’enfant, le roman engendre au fil des pages un malaise grandissant, et ce jusqu’au climax final. Mais si cet aspect du livre peut s’avérer source de scandale, il n’en constitue pas pour autant le propos essentiel. Égrenant avec aisance ses phrases en pointillé, Olivier Bouillère signe surtout un remarquable roman sur la mémoire et sa porosité. « Le passé, ce n’est pas vraiment ce qui a eu lieu. C’est ce qui s’est constitué depuis comme n’existant plus », songe d’ailleurs le narrateur. Entre cauchemar et nostalgie, il cherche, dans les méandres du souvenirs, à (re)trouver sa place dans le monde. À cet égard, l’énigmatique fin du livre – on n’en dira pas plus – offre un miroir saisissant au nihilisme des débuts. Pour le meilleur, comme pour le pire.



Julien Bisson, Lire, Juin 2008.




L’effet Rétro



Premier roman à la beauté sulfureuse, Rétro marque l’entrée en littérature d’Olivier Bouillère, un écrivain magnifique et plein d’audace.



Forte impression à la lecture de Rétro, très beau roman tout à la fois dérangeant et plein de grâce, qui glisse insidieusement de l’autofiction au cauchemar absurde, avec un retour dans le temps et des scènes sexuellement explicites au passage. Le tout suivi par une écriture travaillée au millimètre. Comme il s’agit d’un premier roman, la tentation est grande de le comparer à ce que l’on connaît déjà et d’évoquer Bret Easton Ellis pour l’art de la construction, Dennis Cooper pour la puissance trash ou Hervé Guilbert pour l’audace. Mais cela ne rendrait pas compte de l’univers très personnel de l’auteur de ce livre si singulier, d’autant que sa référence absolue, c’est Pierre Guyotat. Rendez-vous est donc pris au petit matin avec Olivier Bouillère, l’auteur de Rétro, dans un café dont il a oublié le nom, mais qui se trouve face à l’appartement où commence le roman, à l’angle de la rue des Lombards et de la rue Saint-Martin, en plein cœur de Paris. Sur place, Bouillère reconnaît le nom du café, « Le Paradis », au moment même où les cloches de l’église Saint-Merri se mettent à sonner, ce qui le fait sourire, lui donnant presque un air de premier communiant. On imagine qu’il a l’âge de son narrateur, dont il a repris le nom pour en faire son pseudonyme d’écrivain, mais il est né en&nbsp1970 et a deux ans de moins. En revanche, tout comme son personnage, l’écrivain est attentifs aux lieux et aux bâtiments, dont il parle avec une précision et une sensibilité bluffantes. On comprend tout lorsqu’il explique son parcours : knâgne, une licence de philosophie, puis des études d’architecture, qu’il clôt par un mémoire portant sur « La figure mythique du carré comme idéal de perfection&nbsp». Son diplôme d’architecte DPLG en poche, Olivier Bouillère décide alors de se consacrer entièrement à sa vocation d’écrivain et choisit de faire un travail alimentaire qui lui permette d’aller le soir à la bibliothèque du Centre Pompidou, où il a en grande partie écrit Rétro,



Voyage temporel



«Alors que j’avais commencé un autre roman, Rétro a surgi comme quelque chose de très impérieux et l’histoire s’est mise en place en trois jours », raconte l’écrivain. « Je suis parti de cette idée d’un adulte qui retourne dans son enfance. Cette idée a pris très vite, avec l’image de la chute de l’adulte qui rétrécit dans son corps d’enfant et qui se retrouve dans son monde d’autrefois. Et dès le lendemain, a pris forme la scène d’ouverture où il est encore adulte, pour que le lecteur le connaisse avant qu’il ne redevienne enfant. » Ensuite, il a fallu deux ans de travail à Bouillère pour venir à bout du roman.

Rétro, qui retrace donc l’expérience étrange d’un homme projeté vingt ans en arrière, commence en&nbsp1998. Olivier, le narrateur, est un trentenaire aisé et désœuvré qui dissipe sa vie dans un tourbillon de drogues, d’alcool et de sexe. Il s’occupe d’Alain, sexagénaire déglingué et vieil ami de sa famille, qui l’a initié aux plaisirs homosexuels lorsqu’il était enfant et qui noie lui aussi son mal de vivre dans l’alcool et les médicaments. Peu après avoir évoqué l’idée du retour dans le passé au cours d’une conversation, Olivier se trouve étrangement ramené en&nbsp1978, dans son corps d’enfant de dix ans, mais avec sa mémoire et sa conscience d’adulte. Il retrouve alors ses proches et Alain, tels qu’ils étaient vingt ans plus tôt, des grands bourgeois décadents qui laissent l’enfant assister à leurs soirées de débauche et qui l’emmènent même au Palace assister au premier concert de leur copine Amanda Lear. C’est la grande vie pour le petit Olivier qui se promène librement dans les beaux quartiers où il vit. En rentrant de l’école, il se ballade dans les jardins du Trocadéro, haut lieu de drague des années&nbsp70, où il croise des messieurs louches. Tiraillé entre ses désirs d’adulte de trente ans et son corps d’enfant de dix ans, il se retrouve dans des situations de plus en plus sordides et le voyage temporel au charme modianesque dans les années disco vire au conte horrifique avec l’apparition de personnages absurdes, comme ce commissaire de police qui abuse de l’enfant, ou comme cet inquiétant chef de réseau pédophile qui tourne un snuff movie. L’ancienne réalité d’Olivier dérape et son retour dans l’enfance ne correspond plus du tout aux souvenirs, ni aux fantasmes passés. Il commence à s’inquiéter de ce qu’est devenue sa vie sans lui, jusqu’à son surprenant retour dans son présent de 1998.




Archéologie du désir




«Ce livre n’est pas empreint de nostalgie, explique l’auteur, ce n’est pas le livre d’un adulte qui regrette son enfance, mais le livre d’un adulte qui revient dans l’enfance où il avait envie d’être adulte. Et il retourne ce désir, ce fantasme qu’il avait de la vie d’adulte. C’est une traversée de ses attentes anciennes. »

Pour l’écrivain, il s’agissait d’explorer le désir de l’enfant en lui-même. « J’ai cherché à faire l’archéologie du désir de l’enfant en tant que tel. Il ne s’agit en aucun cas d’une apologie des pratiques, mais on a tous connu cette fascination pour certains adultes, et on ne peut pas ignorer cet éveil de la part de l’enfant… Dans le roman, le désir de l’enfant n’est pas uniquement tourné vers l’homosexualité. Il y a des scènes de désir de l’enfant envers des hommes, mais aussi envers des femmes. Il y a même une scène érotique où l’enfant se laisse absorber par un buisson, je ne sais pas comment on pourrait appeler ça, du végétalisme, peut-être ? », s’esclaffe Olivier Bouillère. « J’ai également cherché à faire l’archéologie du désir de l’époque », continue-t-il. « C’est un livre très personnel, mais qui a aussi une valeur documentaire sur l’époque et sur l’évolution des champs de réflexion. En 1978, l’enfant était inscrit dans le champ du désir, duquel il a été violemment écarté ensuite, au bénéfice de la cause homosexuelle. Et tout ce champ du désir de l’enfant qui a été exploré dans les années 70, n’a plus été considéré ensuite que sous un aspect criminel. »



Vade Rétro !



Aborder un thème aussi tabou aujourd’hui que le désir de l’enfant, c’est risqué, même s’il s’agit de l’esprit d’un adulte dans le corps d’un enfant et même si Olivier Bouillère prétend avoir écrit ce livre de façon très innocente, sans penser à choquer le moins du monde. Comment expliquer, sinon, le fait que les éditeurs auxquels il a envoyé le livre n’aient pas donné suite ? Seul P.O.L, qui le publie aujourd’hui, l’a encouragé. Peu auparavant, un éditeur lui avait dit que le livre lui plaisait, mais que l’époque était trop moralisatrice et qu’il ne voyait pas de possibilité de publier cette histoire. «Or la question de la possibilité, c’est ce qui anime toute l’écriture», affirme Bouillère. « Il est question de savoir ce qu’il est possible d’écrire. C’est pour ça qu’il y a des scènes peut-être limites dans mon livre. Il y a un moment dans l’écriture où on est obligé de lâcher prise et de se laisser emporter par la scène qu’on est en train d’écrire. C’est ça qui est amusant, c’est de se réveiller deux heures après en se demandant ce qu’il s’est passé et en ayant le sentiment d’avoir vraiment traversé son récit. C’est la vraie expérience de l’écriture sinon rien n’a lieu. »

Les mises en garde des premiers lecteurs de son manuscrit, inquiets d’un éventuel parfum de scandale, ont, dans un premier temps, incité l’auteur à prévoir un avertissement. Mais, en accord avec son éditeur, l’écrivain a finalement décidé de ne pas en mettre et de faire confiance au livre. « On a décidé de faire confiance au livre et au lecteur pour se trouver mutuellement sans avoir besoin d’expliquer que ce n’était pas une apologie de quoi que ce soit. Il me semble que c’est assez sensible dans le livre pour ne pas provoquer de scandale. Au fond, s’amuse Bouillère, personne n’a été choqué, mais tout le monde a pensé que quelqu’un d’autre pourrait l’être. »

Si Rétro est un livre qui se défend de lui-même, c’est, qu’outre sa force et sa virtuosité, c’est aussi une œuvre de styliste. L’écriture d’Olivier Bouillère est précise et ciselée. ’Aucun empâtement n’a été toléré », dit-il. « Je voulais avoir un texte dont chaque phrase me plaise et soit ce qu’elle doit être. Pour ça, j’ai travaillé jusqu’ai point d’équilibre de la phrase. C’est comme un geste q’on travaille très longtemps, et après, c’est comme ça et pas autrement. Beaucoup de ce que j’écris sert d’entraînement vers ce point d’équilibre, un peu comme une répétition de danse, où, à un moment, l’écriture en elle-même est le ballet, la représentation. Mais il y a un énorme travail de notes, de répétitions et de corrections, et c’est comme ça qu’on arrive au point de funanbulisme. »

Bouillère a également travaillé dans le refus de l’anecdotique. « Certaines scènes sur la bourgeoisie auraient pu être beaucoup plus cocasses, mais je n’ai pas voulu ça. » De fait, il manie l’ironie sèche, laconique, d’autant plus mordante qu’en une phrase, tout est dit. Ainsi, lorsque l’oncle, tel un ethnologue, raconte à table (couvert traditionnel avec beurrier individuel à gauche) qu’il y a des familles entières qui vivent avec 10 000 francs par mois, le narrateur écrit : « Ma tante Olivia croit qu’il nous fait marcher. Elle dit : “Ah oui, et comment font-ils ?” »

Olivier Bouillère, qui pratique avec talent ce qu’il appelle « l’ironie objective », avoue éprouver « beaucoup de tendresse subjective » pour ses personnages. Pour l’heure, il a déjà en tête celui qui sera le pivot de son prochain roman. Mais comme il vient à peine de le commencer à y travailler, on se fixe rendez-vous d’ici à deux ans, même heure, même endroit.



Valérie Lapierre, UpStreet, été 2008.

Vidéolecture


Olivier Bouillère, Rétro, Interview d'Olivier Bouillère - Matthes & Seitz Berlin.- 2010