— Paul Otchakovsky-Laurens

Un type immonde

Traduit de l’américain par Emmelene Landon

Dennis Cooper

Ces dix-huit nouvelles correspondent pour la plupart à une veine que les romans de Dennis Cooper illustrent moins évidemment (à l’exception peut-être de Salopes), celle de l’humour.

En effet, du célèbre Jerk, adapté par Gisèle Vienne, créé au Festival d’Avignon en 2008, et qui n’a cessé depuis de tourner en France et dans le monde entier, au très étonnant et très irrésistible Le directeur littéraire qui faisait une fixation sur le stade anal, tous ces textes –  à l’exception de Le Pire qui reprend sous une forme plus contractée Violence, faits divers,...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage Un type immonde

Feuilleter ce livre en ligne

 

La presse

Les nouvelles incendaires de Dennis Cooper


Le sexe hardcore et une jeunesse désaxée : le plus trash des auteurs US, Dennis Cooper, publie des nouvelles incendiaires autour de ses thèmes habituels.


À Cooperland, Dieu est un camé de 13 ans au cul rond, avide de sexe. Ses adeptes sont des héroïnomanes castrateurs, des vendeurs de dope, des nécrophiles – toute cette faune de silhouettes assassines qui parcourent les livres de l’américain depuis vingt ans.

Sans jamais rompre avec sa jeunesse déglinguée, le Cooper trashissime du Cycle de George Miles ou de Salopes, son dernier roman paru, sait aussi se fondre dans une veine plus sentimentale : cela donne le monde étrangement déserté de Dieu Jr. (2006), livre dévoré par le deuil, ou aujourd’hui Un type immonde, qui se retrouve en réalité bien seul dans l’accalmie qu’il dessine.

Au cours de ce recueil de dix-huit nouvelles, écrites sur plus de vingt ans, on croise évidemment tous les motifs chers à Cooper, de la défonce au sexe hard-core, sa farandole de fist-fucking, de violences sado-maso, de meurtres dans une déco seventies. Mais aussi, plus surprenant, des scènes de drague à rallonge, des flirts de vacances, des babillages sans fin entre kids crâneurs qui, après un joint d’herbe trop forte, trouvent que ce serait trop « cool » d’être terroriste et que « Ben Laden est mignon ».

La forme courte y est pour quelque chose, opérant une sorte d’amputation du pire, divisé chez Cooper en deux branches – la drogue et le sexe qui tue. Dans la nouvelle justement intitulée Le Pire, des épisodes de jeunesse glauque (violence parentale, accident avec une hache, OD) se morcellent en fragments quasi expédiés. Dans Les Artistes Guro, la crucifixion d’un « teenager charismatique nippo-américain » se règle en trois pages. Cooper utilise ici le cut et le hors-champs, usant de cette distance esthétique dont il est par ailleurs friand : mise en abyme, hybridation des genres (théâtre, cinéma) et des supports (mail, vidéo, coupures de journaux).

Le paradoxe, chez cet auteur transgenre (il publie simultanément un recueil de poèmes, Les Mauviettes), étant que tout est absolument cru, mais faussement frontal: Jerk passera par le simulacre d’un théâtre de marionnettes pour décrire la mise à mort d’un junkie, tandis que le lynchage à coup de battes de base-ball d’un lycéen freak dans Couteau scotch corde transite par un effet d’enregistrement vocal.

À part d’autres embardées cocasses (Les Quinze Pires Sites russes du porno gay, Un type immonde est surtout, toujours et encore, affaire de dialogues. Des dialogues frappants, sanglants, qui happent, nous enrobent de velours et de ces lames de mots qui tuent. Comme ceux échangés entre Chris et Oliver dans Oliver Twink, qui ne sont rien d’autre qu’une longue déclaration d’amour larvée.

Ici comme ailleurs dans l’oeuvre de Cooper, tout est dicible, mais rien n’est visible, représentable, réel. Mort et amour, même trépas.


Emily Barnett, Les Inrockuptibles, 26 mai 2010




«JERK», POUPÉES DE CIRE, POUPÉES DE SANG


Adaptation de son spectacle, le film de Gisèle Vienne avec l’acteur et ventriloque Jonathan Capdevielle raconte avec des marionnettes l’histoire des meurtres sordides de trois serial killers.



Il a l’hyperviolence suave. Seul sur sa chaise, face à nous, il décrit les pires sévices dans la langueur d’un battement de cils. Il a le calme et la douceur étrange du grand détraqué Keyser Söze et nous parle d’ailleurs de la même chose que le film Usual Suspects : «L’art redoutable des bonimenteurs. Jonathan Capdevielle est acteur, auteur, marionnettiste, ventriloque et s’amuse beaucoup des émotions ambivalentes qui, entre fascination et répulsion, font tourner de l’oeil. Il a cette fantaisie en commun, depuis plus de vingt ans qu’ils créent ensemble, avec la metteuse en scène et plasticienne Gisèle Vienne. Avec elle, il parvenait à rendre drôle, et en cela parfaitement magnétique, le récit des crimes perpétrés par Dean Corll, un serial killer américain qui, avec l’aide de deux adolescents, David Brooks et Wayne Henley, a violé et torturé à mort plus d’une vingtaine de garçons dans l’Etat du Texas au milieu des années 70. C’était l’adaptation d’un texte de leur ami Dennis Cooper, écrivain américain passionné par l’étude de la violence la plus gore - et par là la moins «pensée» - et ça s’appelait Jerk. Une oeuvre éprouvante, passionnante, qui fut longtemps un spectacle (créé en 2008) devant lequel s’évanouissaient quelques spectateurs en salle de par le monde (c’est en tout cas sa mythologie) et qui aujourd’hui devient ce long métrage horrifique en forme d’immense déclaration d’amour d’une auteure à son superlatif acteur.»
On y découvre, en plan serré, ce redoutable roi des métamorphoses qu’est Capdevielle se présenter en tant que David Brooks, narrateur contant depuis sa prison - où il a appris l’art de la marionnette - les sévices que ses amis et lui filmaient dans des snuff movies. Dans ses mains, sur ses épaules et ses genoux, des peluches et des poupées qu’il anime avec une voix différente pour chaque et qui forment une bande d’effroyables ados nécrophiles. Ce n’est pas une belle captation de spectacle mais une parfaite adaptation. En faisant tournoyer sensuellement sa caméra près de la peau et du visage de l’acteur, dans la volupté lente et glacée d’un plan-séquence minimaliste d’une heure, Gisèle Vienne souligne autrement que ne le fait le dispositif frontal du spectacle le lien vicié du sexe et de la mort. Parfois, les cadrages donnent des allures caravagesques aux aberrants tableaux vivants qui se dessinent : là, le corps du marionnettiste se fragmente en un gang-bang de peluches, de poupées, d’avant-bras, de langue et d’épaule... Et l’on avait oublié à quel point la forme du théâtre de marionnettes à gaines en castelet a justement été conçue, traditionnellement, pour l’interprétation de sujets transgressifs.
Jerk est une réflexion sur les mécanismes de la violence en miroir d’une société (l’Amérique hippy des seventies) qui les génère, et c’est aussi un jeu «méta» très malin qui parle beaucoup des fantasmes et de la réalité (le récit est basé sur une «histoire vraie»), d’incarnation et de désincarnation. Pour s’exciter sexuellement, le jeune Dean Corll projette sur les cadavres l’identité d’un acteur de série télé - par exemple Luke Halpin dans Flipper le dauphin. Ce qui procure cette réflexion de la part du narrateur marionnettiste, qui, les petits corps de chiffons posés sur les genoux, évoque avec clairvoyance la puissance morbide de la fiction : «Quand Dean imagine l’identité de sa victime - Luke Halpin - il a l’impression de savoir exactement qui il a tué et dans les moindres détails. Et ce savoir rend la mort plus significative et complète.» Une version queercore du paradoxe du comédien, en somme.


Ève Beauvallet, Libération, 6 mars 2022


Vidéolecture


Dennis Cooper, Un type immonde, Un type immonde - Ugly man (1) - 2010

voir toutes les vidéos du livre →