— Paul Otchakovsky-Laurens

Tuer Catherine

Nina Yargekov

« Minable héroïne de seconde zone, Catherine est un personnage de fiction sans œuvre fixe qui a eu l’indécence d’élire domicile dans mon corps. Au départ, je m’étais faite à l’idée d’être deux : je suis partageuse, comme fille, moi. Mais le problème, c’est que la présence de Catherine est parfaitement incompatible avec la vie saine que je m’efforce de mener : elle est obsessionnelle, monomaniaque, hystérique, et j’en passe. Aussi ai-je décidé de l’éliminer. Définitivement. »
Tuer Catherine est le premier roman de Nina Yargekov.
Quatrièmes de couverture...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage Tuer Catherine

Feuilleter ce livre en ligne

 

La presse

Tuer sa névrose au risque de tuer toute fiction ? C’est le pari risqué d’un premier livre gonflé, qui se sert de l’écriture pour mieux assassiner le roman.


Nul romantisme et zéro sentimentalisme du côté de ce premier roman hors normes, extravagant, étrange, très drôle, d’une intelligence aiguë, trop intelligent peut-être. Nina Yargekov a trouvé une autre solution, encore plus radicale : il va falloir « tuer Catherine ». Ce qui lui permettrait, non pas seulement de gérer l’après rupture, mais bien plutôt de mieux vivre l’avant, c’est-à-dire de ne pas replonger dans les mêmes vieux schémas d’échec amoureux. Tuer Catherine pourrait ainsi s’intituler « Comment ne jamais se faire larguer », mais aussi « Le Roman de Catherine », et c’est ce roman-là qu’il va falloir flinguer autant dire le roman qu’on a entre les mains. Car le roman de Nina Yargekov c’est la névrose. Et Catherine, ce personnage de roman, sorte d’Anna Karénine du pauvre (c’est-à-dire de vous et moi), le sujet de la névrose, celle par qui le roman advient, fausse la réalité, et pousse l’auteur qui y croit à agir à nouveau de façon à se faire larguer. Catherine, c’est une entité qui se loge chez l’auteur, qui la met constamment en situation d’échec amoureux. Pour s’en sortir, pour refuser la fiction qu’est toute névrose, il a donc falloir se dissocier de Catherine, c’est-à-dire se dissocier du roman. Tuer Catherine est un dispositif de mise à distance, par l’écriture, de l’écriture même. Avouons que débuter en littérature par un premier roman qui n’est autre qu’un suicide romanesque est suffisamment périlleux, rare, gonflé, pour être signalé haut et fort. Nina Yargekov y alterne des pages de narration pure, des dialogues de pseudo analyses littéraires (les moments les plus drôles) pour introduire de la contradiction, de courts paragraphes poétiques, des modes d’emploi, et à la fin une sorte d’interview qui expliciterait point par point toutes les étapes du roman et ses enjeux avec, heureusement, la critique même de cette démarche, car, on l’aura compris, il ne faut pas compter sur l’auteur pour se valider elle-même : C’est complètement ringard ce truc, déjà qu’il y a du "making of" partout dans le texte, mais alors là ce bonus en fin de livre c’est vraiment n’importe quoi, si vous vouliez faire un DVD fallait le dire.
C’est aussi la place du lecteur comme croyant (à un récit, une narration) que Tuer Catherine, aussi brillant que parfois fastidieux, aussi étonnant et original que trop démonstratif, exercice de style parfait et hilarant, mais exercice de style, remet en question. Tuer le lecteur (plutôt que se faire larguer ?) C’est le pari risqué d’un roman profondément masochiste.


Nelly Kaprièlian, Les Inrockuptibles, 3 février 2009