— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Corps du cinéma

hypnoses - émotions - animalités

Raymond Bellour

Ce livre cherche à mieux comprendre ce qu’est un spectateur de cinéma, un corps de spectateur pris dans le corps du cinéma.

On y mène d’abord une comparaison, classique mais jamais éclairée, entre le cinéma et l’hypnose – cet état énigmatique, intermédiaire entre la veille, le rêve et le sommeil. Ressaisie dans l’histoire des dispositifs de vision dont l’hypnose participe, depuis la fin du XVIIIe siècle, cette vue du cinéma comme hypnose s’engage dans trois directions : une analogie de dispositifs ; une interprétation métapsychologique ; la réévaluation contemporaine de l’hypnose...

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Traductions

Espagne : Shangrila Ediciones

La presse

L’Hypnose-cinéma


Il y a toujours au moins deux tensions qui animent l’écriture des essais théoriques dans leur façon d’articuler l’analyse des œuvres, les réflexions nées de cette étude avec les approches théoriques ou philosophiques préexistantes que l’on peut convoquer. Le critique (Bazin, Daney) écrit sans trop s’embarrasser de références explicites tandis que la tradition universitaire tend à faire appel à d’autres textes. Il est évident que tel ou tel point qui nous intrigue a de grandes chances d’avoir été déjà éclairé auparavant. En tentant de ressaisir des questions qui le taraudent depuis plus de vingt ans, Raymond Bellour penche plutôt vers la seconde catégorie. Il eut le temps, au fil de ses lectures, de croiser des pistes qui pouvaient lui suggérer quelques réponses. Outre Deleuze, Daney ou Bazin, fidèles compagnons de pensée, les axes affirmés se déploient à chaque fois à travers d’autres livres même si Bellour s’adosse à ceux-ci sous la forme d’un « je sais bien mais quand même ». Certes François Roustang introduit des distinctions qui restreignent l’équivalence entre réception du film et hypnose (p. 105) que Bellour suggère, mais ce dernier poursuit néanmoins son argumentation. De même, « s’il peut paraître malaisé, aussi, d’attirer Blanchot vers le cinéma […], ces pages [extraites de L’Espace littéraire] tentent bien d’approcher une perception hallucinatoire, dans sa tactalité illusoire, de sorte à sembler qualifier aussi la situation du cinéma »(p. 294).

Ce qui se joue dans Le Corps du cinéma tient moins à l’affirmation d’une thèse qu’à une manière d’explorer le plus loin possible quelques hypothèses en alternant des mises au point théoriques et des descriptions-analyses serrées de séquences de films ou de motifs qui les parcourent.


Qu’est-ce que le cinéma ?


Toute autre démarche se révélerait d’ailleurs illusoire en s’emparant d’une question telle que l’hypnose, largement irrésolue, ou d’une typologie des émotions qui s’appuie sur les écrits de Daniel N. Stern, lequel précise, par exemple : « Il y a un milliers de sourires, un millier de manières de quitter sa chaise, un millier de variations dans la réalisation de tous les comportements et chacune d’elle présente un affect de vitalité différent » (cité p. 348). Or c’est justement cette matière infiniment mouvante dont, dans le meilleur des cas, le cinéma fait son miel. Dans des semblants de dialogues, Bellour affiche ainsi un certain agacement face aux prétentions des cognitivistes, dont les chimères scientistes résonnent pour lui d’autant plus fort qu’elles ne sont pas sans lui rappeler les croyances similaires de la sémiologie triomphante qu’il a connu de très près.

Si les hypothèses touchent aux liens entre – pour le dire trop vite – chemin de fer, cinéma, hypnose, émotions qui n’ont pas de nom, animalité…, la variété des approches, cette tentative de cerner ce « corps du cinéma » sont autant de façons de rebondir sur la fameuse question sans réponse « Qu’est-ce que le cinéma ? » Si ces analyses couvrent essentiellement un cinéma classiquement reconnu (Ozu, Mizoguchi, Lang, Hitchcock, Tourneur, Bresson, Renoir, Resnais), Bellour est sans doute un des rares théoriciens de cette génération à prendre en compte le cinéma contemporain (Wong Kar-Wai, Grandieux, Naomi Kawase…), sans oublier le cinéma « expérimental ». Il y a ainsi, entre autres, de très belles pages consacrées à Leighton Pierce. On se surprend d’ailleurs à plusieurs reprises au fil de la lecture à se demander – et le développement consacré au sublime (p. 300-302) nous encouragerait même en ce sens – si le mot « hypnose » n’est pas une autre façon, parfois, de dire la beauté qui nous saisit au spectacle d’un film.


Jacques Kermabon, Bref, le magazine du court-métrage, mai-juin 2009