Le cas Montalbetti
Christine Montalbetti publie un cinquième roman accompagné de son making-of.
Grâce à Christine Montalbetti, quoique indirectement, on commence par apprendre le nom d’une figure rhétorique : la métalepse. Avec bienveillance, attentive à ne pas culpabiliser son interlocutrice ignorante, la spécialiste de Gérard Genette entreprend d’expliquer le plus simplement possible la notion : ce n’est pas seulement l’adresse de l’écrivain au lecteur, précise t-elle, il y a aussi une dimension fantastique, comme dans La rose pourpre du Caire de Woody Allen, quand le personnage de l’archéologue s’enfuit du film dans lequel il joue et sort de l’écran retrouver ses spectateurs dans la salle… C’est un franchissement de frontière. Une transgression ludique du contrat du récit. Et l’écrivaine reconnaît qu’elle apprécie beaucoup ce procédé narratif pour la complicité qu’il permet d’installer avec le lecteur. Ainsi, voilà comment, depuis Sa fable achevée, Simon sort dans la bruine (P.O.L, 2001), avec un humour sans agressivité, une affection joueuse, l’écrivaine s’assure régulièrement que nous sommes bien là, à suivre ses histoires contemplatives et pourtant curieusement mobiles.
Son septième livre, cinquième roman, Journée américaine est une road story : une journée à travers l’Oklahoma dans la voiture qui conduit Donovan vers le ranch de son ami de jeunesse Tom Lee. C’est plat, plein de ciel, un écran parfait pour projeter en format scope les vieux films de sa vie. On traverse l’Amérique des lieux communs, celle que tout le monde a dans sa bibliothèque d’images, sans y être même jamais allé en vrai. Pour la première fois, Christine Montalbetti anime plus de deux personnages (sans compter les animaux et les choses : le moustique sujet à un coup de mou existentiel, le morceau de sucre saisi par l’angoisse…).
Prof de littérature. En parallèle, la romancière ouvre son atelier dans En écrivant « Journée américaine » qui paraît simultanément et nous montre ses outils, sa table de travail, ses carnets… Sorte de making-of du livre, ce journal de post-écriture est accompagné des photos qu’elle a prises pour établir les décors de son roman. « Il y a aussi une interaction étrange qu’entretiennent les paysages avec ce que l’on y écrit, et qui n’est pas forcément absorption, mouvement descriptif ou imprégnation, mais parfois juste soutien, aiguillon », note celle qui aime les lieux intermédiaires, les espaces de transition, comme les auvents, entre dehors et dedans, où ses personnages se tiennent souvent pour embrasser le monde du regard.
Visiblement, cette professeure de littérature, auteure de plusieurs essais théoriques sur la fiction, ne se sent pas entravée par sa science, quand elle coiffe son Stetson de romancière. Sa connaissance de la mécanique romanesque ne semble pas l’encombrer, dans la pratique. Il est vrai que savoir comment fonctionne un moteur de voiture n’entame pas forcément le plaisir de la conduite. « Je ne me pose aucune question quand j’écris », assure t-elle. Elle voit de la continuité entre ces différents statuts. Pas de conflits d’intérêt. Cette année, ses cours à l’université Paris-VII vont porter sur la révolte des personnages. Elle animera également avec ses étudiants des ateliers d’écriture. « J’aime bien les regarder écrire, dit-elle, je trouve ça émouvant ». Christine Montalbetti s’était un peu découverte, à sa manière bien sûr furtive et douce, esquivant le frontal, dans Petits-déjeuners avec quelques écrivains célèbres (P.O.L, 2008) où elle racontait en admiratrice des rencontres matinales avec Jean-Philippe Toussaint, Laurent Mauvignier, Tanguy Viel, Anne F. Garréta ou Haruki Murakami (en guest-star dans presque tous les livres).
En attendant d’avancer sur le « roman japonais » qu’elle a en tête, l’écrivaine s’est mise ces dernières années à l’écriture théâtrale. C’est en pensant précisément à un ami, le comédien Denis Podalydès, qu’elle connaît depuis leurs vingt ans communs, qu’elle a imaginé sous forme de monologue une adaptation de Dr Jekyll et Mr Hyde de Stevenson. Co-mis en scène par Podalydès, Emmanuel Bourdieu et le scénographe Eric Ruf, monté au printemps dernier à Amiens, le spectacle sera donné en janvier au théâtre de Chaillot à Paris avant de partir en tournée. Et dans Le cas Jekyll encore, s’amuse t-elle, elle n’a pas pu s’empêcher de glisser… quelques métalepses.
Véronique Rossignol, Livres Hebdo, vendredi 2 octobre.
Christine Montalbetti. Les chants de l’indolence et les fruits de l’expérience
Le faux road-movie d’une romancière qui fait chemin. Déconstruction douce sur ambiance western, quand la fiction naît de l’inaction la littérature occupe le terrain.
L’action se situe sur la pelouse d’une université américaine, quelque part en Oklahoma. L’action ? Peut-on vraiment employer le mot tant la possibilité même de toute action, de toute décision semble être mise en cause d’un bout à l’autre de ce livre, qui se présente comme un éloge de la paresse, de l’inaction, ou plutôt de l’indolence. Il faut dire que les deux « héros » - sont à l’âge, et dans une situation où ne rien faire n’est ni un luxe, ni une nécessité imposée par l’âge ou la situation économique, mais une « activité comme une autre ». « On fricote avec l’action par le moyen de l’inaction même ». Donovan et Tom Lee se partagent donc entre la station allongée, diurne, sur la pelouse et la station assise, vespérale ou nocturne, sur les bancs du campus. On serait tenté de se dire que tout se passe là, pendant ces « années chrysalides », n’était, des années plus tard, un voyage de Donovan au ranch où habite Tom. Entre les deux, du temps a passé. Des corps se sont transformés. Des histoires se sont infiltrées dans l’intervalle. Beaucoup, et avec des personnages qui ont eux même amis, familles, passé. Toute un buissonnement de récits prolifère librement sur la trame fournie par le duo d’amis de la pelouse ensoleillée, leurs copains, leurs amours. Nous sommes dans un roman.
Comment sait-on qu’on est l’ami de quelqu’un ? Peut-on fixer une scène primordiale, un point de départ ? On peut, prolongeant l’interrogation, se demander comment il se fait qu’on se trouve embarqué dans un roman. Il en est qui agrippent le lecteur par les bons vieux procédés toujours efficaces, et d’autres qui se débrouillent pour qu’on se sente, à un moment ou à un autre inexplicablement captés. Celui que nous propose Christine Montalbetti, on l’aura deviné, est de cette espèce. On pourrait même risquer que cette question de l’origine de la fiction habite toutes les pages de cette « journée » singulière. Chaque petit mystère que la vie nous propose peut être le point de départ d’un roman qui deviendra une saga ou avortera, semble nous dire, l’auteur. Tout est question de point de vue, mais n’importe qui peut devenir un héros. Sur un stade, à l’occasion d’un match de football américain, les candidats au roman ne manquent pas. L’habillage du joueur qui se cuirasse comme un chevalier (ou se harnache comme une cocotte fin de siècle, comme on voudra) est un début prometteur, mais le roman laisse là le trois-quarts pour s’attacher à la mascotte de l’équipe adverse, la bisonne Ralphie, qu’il abandonne aussi sec pour un sujet entomologique de choix, l’escadrille des moustiques en quête de sang, belle et inattendue scène d’action. Des objets même qu’on peut rencontrer chez un brocanteur de bord de route, on peut dire que « chacun d’eux est un roman, une longue histoire d’abandons et de reprises, pleine de souffrances ». Le roman surgit ainsi d’où on ne l’attend pas, de l’insecte ou du bison, de la croûte de bazar ou de la pure inaction. Ainsi Tom Lee va-t-il écrire trois romans, dont l’un qui connaîtra un certain succès, « L’été de l’âne de Buridan », inspiré comme il se doit par sa tendance à se trouver paralysé à l’idée de faire un choix. Quand à Donovan, il écrira le sien sur celui que se fait, dans sa tête, une femme traversant l’Atlantique pour rejoindre celui avec qui elle a joué à imaginer une histoire d’amour. Ce qu’on croyait être un roman ne démarrant jamais masquait un témoignage drôle mais magistral sur la souveraineté inentamée du genre roi de la littérature.
Alain Nicolas, L’Humanité, jeudi 15 octobre 2009
Dans le décor
Le rêve américain et ses clichés transmués en brillant jeu littéraire. Pastichant avec malice le road-novel US, Christine Montalbetti compose un livre lumineux sur l’amitié et le passé.
Le cinéma a inventé la « nuit américaine », cette technique qui permet de tourner de jour des scènes censées se dérouler la nuit. Le dernier roman de Christine Montalbetti, Journée américaine, pourrait être le double littéraire de ce procédé, ou plutôt son négatif, révélant les rouages et les trucages de l’écriture au lieu de les dissimuler. Au début du livre, tout laisse croire à un road-novel : le bruit du moteur, les grands espaces de l’Oklahoma et un héros, Donovan, qui s’apprête à avaler des miles de bitume pour retrouver son ami Tom Lee. Sauf que s’engager sur la piste d’une épopée à la Kerouac, c’est faire fausse route. Rien de plus normal : le détournement constitue l’essence même de l’univers de Christine Montalbetti, qui, un peu comme Tarentino, mais à sa façon subtile et posée, s’amuse à subvertir les règles d’un genre donné. Elle excelle à jouer avec des codes et les clichés pour en extraire une matière romanesque renouvelée, fusion réussie de pastiche drolatique et de réflexion sur l’écriture. Déjà dans l’un de ses précédents romans, Western, elle explorait les lieux communs propres à ce registre cinématographique – cow-boy, saloon, corral -, dans un récit qui s’étirait comme un long travelling au ralenti.
Dynamiter les techniques éprouvées de la narration, cette spécialiste de Gérard Genette, le théoricien de la narratologie, semble y prendre un malin plaisir, tout en évitant l’écueil de la fiction conceptuelle et fastidieuse. Elle cultive sans cesse une élégante ironie qui fait de Journée américaine un texte d’une intelligence malicieuse, notamment grâce à la connivence établie entre le lecteur et le narrateur. Ce dernier court-circuite allègrement le fil de l’histoire par des apartés mordants ou burlesques telle cette parenthèse : « … le magasin de déguisements étant déjà fermé quand ils étaient sortis du bureau, pour ceux qui s’étaient engagés dans la (on lève ses deux mains de part et d’autre de sa tête et on fait gigoter ses index et majeurs dans l’air pour signifier les guillemets) « vie active ». Ces instructions fonctionnent comme des clins d’œil qui viennent souligner la part de jeu dans l’acte d’écrire.
Un peu à la manière des enfants, Montalbetti joue à « on dirait qu’on serait en Amérique ». Pour que çà fasse encore plus vrai, elle appose à tout et n’importe quoi l’adjectif « américain » : la lumière est américaine, la pelouse est américaine, la vitesse également. Toutes les mythologies made in USA sont convoquées. Le campus, les Indiens, le ranch, les dîners et cette accumulation de clichés composent, pour mieux la déconstruire, l’image de carton-pâte d’un Amérique fantasmée, celle aussi que Donovan parcourt mentalement.
Car son voyage vers le ranch de Tom Lee est avant tout un voyage intérieur, un prétexte au défilé de souvenirs, à une forme de récollection. « C’est un fait que les trajets portent souvent à reconsidérer le dessin de sa vie, comme si, oui, à voir filer tout çà, on se laissait contaminer par le petit travail de la métaphore, malgré soi », observe le narrateur. Confortablement installé dans sa voiture, Donovan se remémore ses années à l’Université, période à laquelle il a rencontré Tom Lee ; il se rappelle les filles aimées en secret, les longues discussions, étendus sur le gazon, et les illusions d’alors désormais perdues. Transposé au cinéma, cela donnerait une succession de flash-backs, des plans panoramiques embrassant le campus verdoyant, peut-être avec un léger filtre sur l’objectif pour bien signifier la nostalgie d’une époque révolue.
Mais la caméra de Montalbetti est plus espiègle, elle opère parfois des mouvements incongrus pour se focaliser sur des détails microscopiques. Elle peut ainsi s’attarder longuement sur un match de football – américain, bien sûr – perçu du point de vue des moustiques qui se réjouissent de ces « festivités king size » avec toute cette chair à disposition. Montalbetti aine aussi donner vie aux objets et sa façon de décrire les états d’âme d’une cafetière ou une étreinte furtive entre deux vestes rappelle la poésie du Parti pris des choses. La langue est d’ailleurs aussi ciselée que celle de Francis Ponge, précise, raffinée mais sans afféteries.
Livre lumineux sur l’amitié et le temps qui passe, Journée américaine trouve son unité dans ce qui constitue son thème principal, le processus d’écriture, voire l’écriture elle-même, mis en abyme à chaque page. Ce n’est pas un hasard si Donovan et Tom Lee sont tous les deux écrivains. Les personnages prennent le relais de l’auteur pour faire entrer le lecteur au cœur de la création littéraire. Avec Journée américaine, qui allie fantaisie et profondeur, Christine Montalbetti continue à tracer une voie singulière dans le paysage littéraire français.
Elisabeth Philippe, les Inrockuptibles, mercredi 4 novembre 2009
Making-of :
Parallèlement à Journée américaine, Christine Montalbetti publie En écrivant « Journée américaine », un court texte agrémenté de photographies qui fait pénétrer le lecteur dans l’atelier du roman. Christine Montalbetti raconte les conditions dans lesquelles elle a conçu Journée américaine : la résidence d’écriture à Oklahoma, les paysages qui l’ont alors nourrie ou encore les objets, ces "petits génies bienveillants », parmi lesquels une photo d’Haruki Murakami, son auteur fétiche. A travers ces détails très prosaïques, elle montre que « les moments d’écriture eux-mêmes ne sont pas hors du monde ». Une analyse tout en finesse, mais presque superflue tant le roman lui-même est déjà une réflexion aboutie sur l’écriture.
Le roman à la conquête de l’Ouest.
Christine Montalbetti reprend la route où « Western » avait su entraîner ses lecteurs : quelques heures où elle fait entrer tout un monde.
Cette journée américaine – american journey signifie en anglais « voyage américain » - se déroule le temps d’une traversée du Midwest, de l’Oklahoma vers le Colorado, dans une voiture qui semble ne pas aller très vite. Une « vitesse américaine, alanguie et tranquille », qui permet, de faire défiler les paysages et souvenirs que la plume de la romancière fixe, immobilisant parfois les détails infimes. « Les conditions ont l’air optimales pour la conduite. Ciel clair, route dégagée, confort de suspension du break, autoradio avec commande au volant : on est paré. Attachez vos ceintures, il s’agit d’arriver au ranch avant la nuit. » Donovan va voir chez lui son ami Tom Lee, ils se sont connus à l’université, au temps des « années campus », des « années chrysalides ».
Comme les autres fictions de Christine Montalbetti, ce très beau road-movie s’inscrit dans une tradition déjà ancienne, celle de la déconstruction du roman dit traditionnel, réactivée par le courant minimaliste. Monter dans la voiture de Donovan, c’est s’engager dans l’écriture des aventures des deux copains et de leurs petites amies, mais surtout dans les aventures de l’écriture, celle de la narratrice anonyme qui tient les fils de l’histoire, et celle de Donovan et de Tom, puisque l’un et l’autre, à des moments différents de leur vie, se sont essayés, avec des bonheurs différents, au genre romanesque.
Dans l’espace de ce break de couleur beige, la romancière, elle, parvient à faire entrer les figures, les motifs, les images qui hantaient déjà Western (P.O.L 2005) : les vastes ciels, les lignes de fuite à la Wim Wenders, les champs de maïs proches du campus, la lumière jaune des restaurants et des fast-foods, les camions que l’on suit pendant des miles et des miles. Et puis peu à peu, tel Don Johnston, le héros désabusé de Jim Jarmusch dans Broken Flowers, partant sur les routes des States à la recherche de ses petites amoureuses, Donovan retrouve le désordre de sa mémoire le souvenir de filles croisées, vaguement aimées, oubliées, s’éloignant à l’horizon. Elles disparaissent vite d’ailleurs de la narration où elles ont souvent moins de place que ces détails auxquels Christine Montalbetti donne une grande importance, comme si la caméra s’immobilisait, ressemblant alors à l’appareil photographique de Martin Parr : les lézards, les bisonnes, Robert, l’âne de Tom, les moustiques, si actifs durant un match de football (comme la petite mouche obsédante du roman de Christian Oster, Loin d’Odile), ou encore, dans un sucrier, les morceaux de sucre que la romancière fait parler.
D’ailleurs elle intervient souvent dans ce texte, faisant des commentaires, sortant de l’anonymat pour devenir furtivement un personnage et dire « j’ai fait partie moi aussi de filles qu’on a embrassées là », imaginant d’autres possibilités aux histoires qu’elle dévide, comme pour effacer la frontière entre réalité et de fiction. Et cette frontière s’estompe aussi à la vue des très belles photos de l’ouvrage dans lequel elle raconte cette traversée du temps que fut la rédaction du premier livre, faisant défiler les meubles et objets qui l’ont accompagnée – tables de travail, carnets, briquets, tasses à café, souvenirs d’autres voyages – les moments et les lieux fixés dans le roman ou ayant aidé à en maîtriser l’écriture. « Ecrire, dit-elle avec justesse et tendresse, c’est agiter le tamis des phrases devant le flot de l’expérience, passée et présente, et retenir entre leur mailles quelques pauvres pépites, qu’on astique alors, qu’on nettoie, qu’on fait un peu briller juste pour en prendre soin, pour les tenir entre ses doigts, et pour vous les montrer. »
Francine de Martinoire, La Croix, 22 octobre 2009
Sous la route
Composé en partie lors d’une résidence d’écriture à l’université d’Oklahoma, le dernier roman de Christine Montalbetti joue sur les codes du road novel américain pour explorer une nouvelle fois les ressources de la fiction. Ici, point d’intrigue à rallonge. Une journée dans la vie de Donovan, en route pour le ranch de son vieil ami et en proie à une foule de paysages, souvenirs, et autres fantômes du passé sur lesquels l’auteur-narratrice se plaît à s’attarder. Voyez comme elle s’inclut, sans crier gare, dans l’odyssée de son héros, glissant ici et là une expérience personnelle ou une remarque de bon sens. Voyez comme elle ajoute, à coups de parenthèses ou d’ironiques digressions, son propre avis sur la question ! On retrouve cette écriture métaleptique qui triomphait dans Western (P.O.L, 2005) ou Petits déjeuners avec quelques écrivains célèbres (P.O.L, 2008) et qui consiste notamment à brouiller les pistes de la narration en s’adressant directement au lecteur. Quitte à l’inclure, non sans une certaine jubilation, dans le dispositif romanesque. En deux temps trois mouvements, elle vous donne (du point de vue du moustique) un cours magistral d’American football, vous enseigne (du point de vue d’une Remington) le drame de la page blanche, ou vous plonge (du point de vue du dessous-de-plat ou du rond de serviette) dans l’enfer de ces grands bazars à bricoles qu’on appelle « thrift stores ». De tous les textes de Christine Montalbetti, Journée américaine est sans doute le plus incarné. Car les moments d’écriture « ne sont pas hors du monde, mais dans le monde », nous dit-elle dans un singulier making of, En écrivant Journée américaine, qui paraît simultanément chez Biro éditeur. Dans cet objet fascinant qui hésite sans cesse entre la postface, le photo-reportage et l’art poétique, elle témoigne de « cette léthargie étrange » d’après le roman et célèbre en mots et en images les êtres et les choses qui ont accompagné l’aventure littéraire. Très vite les impressions se chargent d’une valeur réflexive : jeux d’ombres et de miroirs à travers l’écran d’une vitre, d’un pare-brise ou d’un rétroviseur, pudiques autoportraits de l’artiste en prise avec le paysage, visions lumineuses de grands espaces de liberté. Et, dans le texte qui précède ses belles photographies, on trouve l’inventaire, surtout, des objets qui habitaient sa table de travail et qu’elle s’efforce aujourd’hui ne maintenir en vie en martelant leur nom, comme pour prolonger ne serait-ce qu’instant la jouissance de la création.
Augustin Trapenard, Le Magazine littéraire, novembre 2009