« Circonscrire autant que possible les ambitions. Tordre le cou aux espérances. N’attendre rien. Rabattre tout futur, en permanence, sur le moment présent. Habiter l’instant. Être là, très là. Et d’autant plus vivant qu’à demi mort, déjà. »
C’est par ces mots que se termine le nouveau roman de Renaud Camus. On pourrait y voir du désenchantement et on n’aurait pas tort. Mais on n’aurait pas non plus totalement raison. Disons que ce livre tout entier se situe sur cette frontière de la sagesse. Il met en scène un homme contraint de vendre la propriété familiale dont il est le dernier occupant et qui en profite pour...
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« Circonscrire autant que possible les ambitions. Tordre le cou aux espérances. N’attendre rien. Rabattre tout futur, en permanence, sur le moment présent. Habiter l’instant. Être là, très là. Et d’autant plus vivant qu’à demi mort, déjà. »
C’est par ces mots que se termine le nouveau roman de Renaud Camus. On pourrait y voir du désenchantement et on n’aurait pas tort. Mais on n’aurait pas non plus totalement raison. Disons que ce livre tout entier se situe sur cette frontière de la sagesse. Il met en scène un homme contraint de vendre la propriété familiale dont il est le dernier occupant et qui en profite pour partir. Pour partir « loin », le plus loin possible d’une civilisation qu’il déteste dans un monde qu’il aime trop. Il aboutira dans une île proche des côtes anglaises totalement seul, mais il aura auparavant pu au cours d’un long et beau voyage vers le retrait, vérifier sa détermination. Notamment quand sa route croise celle d’une jeune femme qui va pour un temps devenir sa compagne. Celle-ci, au fond, malgré sa séduction réelle et sa sensibilité, représente tout ce qu’il désire quitter : tant au plan de son comportement qu’à celui de ses goûts ou de ses idées.
Ce roman, le premier depuis longtemps que nous donne Renaud Camus, s’il ne se refuse pas les péripéties dramatiques (nous y lirons une libre transposition d’une affaire criminelle récente) ou amoureuses propres au genre, et s’il les conduit avec maîtrise, vaut aussi pour toutes les formidables descriptions de paysages et d’atmosphères qu’il contient, pour les réflexions qui s’y mènent sur la désagrégation de la culture, l’évolution des comportements et du langage. Il est riche, drôle, triste, et enthousiasmant.
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Un mot en titre (Loin), quatre en quatrième de couverture (« Un homme s’éloigne »). C’est peu pour annoncer le retour au roman, après six ans, de Renaud Camus. Et pourtant, cela suffit pour accompagner ce livre qui met en scène un homme qui s’en va de chez lui et se quitte finalement lui-même.
À 35 ans, Jean vend Fontenelle, la propriété familiale. Il salue Louise qui a veillé sur le domaine et prend sa voiture pour se rendre à 500 km de là, chez son richissime cousin Jacques, châtelain et banquier. En chemin vers le nord, il rencontre Ono, 22 ans, son contraire en tous domaines, excepté peut-être celui du sexe. Ils feront un bout de route ensemble, jusqu’en Angleterre et dans ses îles, avant que Jean n’opte définitivement pour la solitude.
Les péripéties ne sont là que pour jauger le départ, disséqué tout au long du livre, au tempo des dialogues entre Jean et Ono, le désenchanté philosophique et la réaliste expansive. Renaud Camus nous emmène à leur suite, dans une écriture changeante comme les paysages et les atmosphères qu’il raconte fort bien.
Dialogues, monologues, descriptions se succèdent à leur rythme sans qu’on ne sache trop où l’on est mené. L’actualité et la mort du banquier Stern font une apparition, ingrédients supplémentaires pour conduire à bien la quête du personnage principal : « N’attendre rien. Rabattre tout futur, en permanence, sur le moment présent. Habiter l’instant. Être là, très là. Et d’autant plus vivant qu’à demi mort, déjà ». Un roman désenchanté mais riche de toutes les questions qu’il pose.
Lucie Cauwe, Le Soir, 23 octobre 2009
Sur la route
Sur la quatrième de couverture, un résumé du livre comme on les aime : « Un homme s’éloigne. » C’est tout. À force de publier son journal comme des essais divers et variés, seul ou avec ses compagnons d’esprit, Renaud Camus avait sans doute permis à ses lecteurs une amnésie ponctuelle : ils en auraient presque oublié quel grand romancier il est. Dans Loin, il décrit la balade tragi-comique d’un genre d’homme assez rare : il n’a pas de téléphone portable. Errant sur les routes agrippé au volant de sa voiture, il rencontre une semi-demeurée aussi stupide qu’amusante, avec qui il dérive jusqu’en Angleterre. La langue est sèche et hilarante lorque Camus singe le néo-patois de l’auto-stoppeuse idiote ou raille gentiment la naïveté idéaliste de son personnage.
Derrière l’ironie, pourtant dardent les convictions de l’auteur, individualiste forcené répugnant à se laisser couler dans le moule omniprésent : « Moi, je suis une espèce qui disparaît », explique ce héros solitaire... « On est pris dans un réseau de routes et de réglements qui font qu’en s’éloignant d’une contrainte on ne fait jamais que se rapprocher de la suivante, qui est tous les jours un peu plus proche, plus serrée. » Et de poursuivre : « Quand tous les individus sont noyés dans la masse, l’oppresseur n’est pas un individu, c’est la masse. Et elle n’a pas besoin d’exercer l’oppression, elle l’est. »
Renaud Camus, écrivain indomptable, refuse de capituler. Son road movie romanesque est de la nourriture pour l’esprit ; sa liberté insolemment affichée, du baume au coeur.
Nicolas Ungemuth, Le Figaro Magazine, 12 décembre 2009