— Paul Otchakovsky-Laurens

Méditations photographiques sur l’idée simple de nudité

Emmanuel Hocquard

Ce livre contient soixante-seize propositions sur la nudité. Ce sont autant de poèmes, mais à la manière d’Emmanuel Hocquard, c’est à dire sans aucune affectation poétique et cependant tout entièrement dans le langage, ses pièges, ses contre-sens, ses impasses. L’idée qui sous-tend la démarche de l’auteur est énoncée en LXIII : « La nudité reste secrète même si le corps est dévoilé ».  Il va donc s’agir non pas de lever ce secret, c’est impossible, mais de le cerner, pour le rendre encore plus présent, et il va s’agir en quelque sorte de déshabiller la nudité de tout ce dont...

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La presse

Secret du regard


Elle est immédiate, scandaleuse ou sans objet, mais avant tout « nudité est féminin ». La nudité est nue, inconditionnellement, et même « jamais assez nue ». Silencieuse aussi, comme la photographie. « Elle ne "dit" rien. Elle est étrangère au langage. » C’est sans doute ce qui a captivé Emmanuel Hocquard. Dans ses Méditations photographiques sur l’idée simple de nudité, c’est l’intensité de sa présence qu’il cherche à capter, voire à penser. Dans le refus de la fascination et en usant de la littéralité comme métaphore. « La nudité est sans comparaison possible. En cela elle est exemplaire. / L’idée simple de nudité exclut la métaphore. » Une mise à nu langagière qui tient de la gageure ; « On peut représenter un corps nu. Mais la nudité n’est pas représentable. / On peut décrire une situation, mais la description n’est pas descriptible ». Parce que la nudité est tautologique. Autant qu’indicible et impalpable.


R.B., La Matricule des anges, février 2010



Se est un autre



Où s’établit un faisceau de concepts qui s’apparente à une installation destinée à l’observation (celle du canale est évoquée), à partir de dispositifs enregistreurs (grammaire & poésie, miroir & photographie) analysant des trajets (corps, regard, lumière) à travers des lieux (pensée, langue). Dispositifs, trajets et lieux conçus pour éprouver "l’idée simple de nudité", et mis à l’épreuve par elle - révélant des points d’achoppement, des zones aveugles ou de détachement. Ailleurs, dans un jardin, on peut piéger un oiseau avec du pain placé sous un cageot retourné, en équilibre sur un bout de bois relié par un fil. En tirant sur le fil, le cageot tombe sur l’oiseau et l’emprisonne. Ici, l’appât du piège est le verbe être, la liberté d’équivalence qu’il permet ; "la nudité est" cinquante fois différente / différemment dans ce livre. Le cageot tenu en équilibre est la tautologie, qui ne demande qu’à se refermer sur lui / elle-même ou le même. Le bout de bois qui arme le piège, que l’on peut retirer à tout moment, est se. Avec se, pronom personnel réfléchi de la troisième personne du singulier et du pluriel pour les deux genres, s’ouvre sur le champ de la réflexion tautologique à celui de la réflexivité ouverte, qui dépasse le miroitement. Si " "Je" et "tu" permettent simplement un mouvement [une respiration] intrinsèque, comme dans une tautologie où se remplacerait est", c’est bien il, la troisième personne - indéfinie, celle de il pleut ? disons : l’air - qui miroite. Le bout de bois n’est jamais retiré, et ce piège ouvert - miroitant dans le langage même - est le dispositif central du livre. Avec peu d’éléments par page, chacune numérotée en tant que section. Une série de dispositions successives d’éléments sur une table. Relevés de position des dispositions successives et de motifs dont le rythme définit à la fois une structure d’investigation (de l’ordre de l’oeil, de la vue) et un système de dévoilements, d’apparitions (de l’odre de la lumière et du sens). Ainsi des dispositifs même de l’écriture, qui apparaissent comme autant de micro-événements de l’énonciation, sur-visibles. Ainsi également des motifs et concepts qui apparaissent successivement tout en se ramifiant ; les énoncer précisément reviendrait à recopier le livre (chaque page-section est nouvelle), recoupant corps, lumière, regard, photographie, miroitement et réflexivité, air et respiration, trou dans le langage et dans la pensée... Leur ensemble s’anime d’un processus interne d’expansion - lui-même dessiné : "une seule face" -> "disposition de surface" -> "espace en étendue" -> "étendue parfaite" d’un terme à un autre, par ligne ou lignée, génération. Ainsi de nudité même, qui contient littéralement ce principe : "un" -> "nu"-> "nue" -> "la nue" -> "la nudité" -> "la nueté" -> la nuée. Expansion à laquelle le verbe être, dans ce piège, répond par addition d’équivalences, de miroitements successifs ("la nudité est" : contemplation, féminin, un test de solitude, affirmation, agrammaticale, souvenir, surprise, éveil, augmentation, une fiction parfaite, soustraction, confidence...), dont miroitement avec le miroitement ("la nudité est le miroir"). Nudité dont ces motifs sont les reflets. Soit une expression du un, du simple - jusqu’à la nuée - par des formes réfléchies, projetés tout autour (miroir aux alouettes). Jusqu’aux abords de la tautologie ("la nudité est nue") dont l’énonciation n’est qu’un moment (non une clôture) d’un processus de dilution - dans l’air -, d’ouverture, voire de disparition. Du même au multiple, à l’indifférenciation, à l’abstraction - qui n’est pas incompatible avec un repli sur le langage (soit : une tautologie du multiple ?), au contraire. A l’image de la lumière touchant, enrobant - exprimant - puis excédant la nudité ; où la nudité s’excède elle-même, en même temps que la lumière, l’accompagnant dans une zone nouvelle - de perception et de pensée (de dénuement, de dénouement) que l’énonciation tente d’atteindre sans s’effondrer. A peine tenue en équilibre par la pensée du rapport de soi à soi et à l’autre (lumière, regard), repliée grammaticalement en se, transparent, soi sans image, simple relation réflexive dans le langage. Dans cette méditation (lumière mentalement retenue et étudiée, interrogée) photographique (soit : devenant des images) de l’ordre du dessillement, qui concerne tout autant ses motifs que ses dispositifs - se repliant, puisque nudité devient un autre terme pour littéralité. "Tout simplement." Un même abîme.
La nudité est un état sans autre attribut que lui-même, et de surcroît sans sujet. Que cet état intéresse le peintre, le photographe ou quiconque a affaire au langage, n’est paradoxalement pas lié à un intérêt qui se pourrait caractériser, ni même à une affaire de désir, puisqu’il y faudrait encore un objet, fût-il absent. La nudité est paradoxale : elle déjoue les détemrinations dans le moment même où elle paraît en révéler la trame et peut-être l’acmé. D’où son attrait, peut-être, et même son mystère si l’on veut bien admettre que l’énigme est qu’il n’y a pas d’énigme. "Rien n’est caché", suggérait Wittgenstein. La nudité en témoigne, non pas en ce qu’elle détiendrait un pouvoir de révélation auqeul certaines expressions nous invitent à croire, comme lorsqu’on s’avise de "mettre à nu", pour placer au grand jour ce qui s’y dérobait. Non ! Ce n’est pas non plus que la nudité ne nous cache rien, mais qu’elle nous montre, bien au contraire, qu’il n’y a rien à cacher ! Que la métaphore est un leurre, si l’on veut, tous sens confondus, et que la sagesse, dans les arts, dans les lettres, comme en philosophie, est de ne rien postuler que la stricte littérarité. Si la photographie en témoigne, et si elle peut guider nos méditations, comme le suggère Hocquard dans cette suite d’observations qu’on pourrait aussi nommer "grammaticales", d’où leur belle sobriété, c’est en ce que sans être "objet" elle est pourtant celui de la photographie. En ce qu’elle "excède le corps", d’abord, et aussi parce que celui que montre la photographie est tout entier "simulacre". Car c’est la nudité qui "apporte à l’image son surcroît de vérité".
C’est pourquoi on ne peut méditer sur la nudité - et du coup sur la photographie - que de manière négative - en empruntant une via negativa - car la nudité n’est pas, plus qu’elle n’est à proprement parler, si être signifie être ceci ou cela ; ou alors elle est "sans" : "sans cause", "sans contraire", "sans histoire", etc. Autrement dit, et plus directement : "La nudité est tautologique" ! Et pourtant, elle nous regarde, comme si elle nous renvoyait à la condition de notre regard. Non pas à une cause, précisément, ou à un principe, plutôt à ce rien qui ne peut pas être complètement rien, mais qui nous dispense heureusement des vertiges métaphysiques auxquels cette idée donne généralement accès. Au lieu de cela, "l’idée simple de nudité fonde l’éthique".


David Lespiau, Cahier Critique de Poésie, février 2011

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Emmanuel Hocquard, Méditations photographiques sur l’idée simple de nudité, Méditations photographiques sur l'idée simple de nudité - 2009