Kiwi est une comédie matrimoniale, policière et fruitière. Roman feuilleton (livré d’abord « en ligne » à raison d’un épisode par semaine sur le site « Sitaudis »), illustré de soixante dessins, il se déroule au rythme des mystères levés ou relancés, des attentes déçues, des arrivées imprévues.
Mars 2007, Paris, XIIe arrondissement : une jeune femme en détresse, Daniela Tripp, cherche refuge dans la normalité d’une vie de femme au foyer, mais se retrouve au centre d’un tourbillon de pathologies alarmantes et de mensonges, instrument d’une machination...
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Kiwi est une comédie matrimoniale, policière et fruitière. Roman feuilleton (livré d’abord « en ligne » à raison d’un épisode par semaine sur le site « Sitaudis »), illustré de soixante dessins, il se déroule au rythme des mystères levés ou relancés, des attentes déçues, des arrivées imprévues.
Mars 2007, Paris, XIIe arrondissement : une jeune femme en détresse, Daniela Tripp, cherche refuge dans la normalité d’une vie de femme au foyer, mais se retrouve au centre d’un tourbillon de pathologies alarmantes et de mensonges, instrument d’une machination politico-financière.
Au cours de la première saison (« Rien n’arrive »), elle s’adonne à une ironie suicidaire, se laisse diagnostiquer par un guérisseur et séduire par un passant. Puis elle convole, mais se voit envahie et vendue aux enchères avec son appartement (« Les Noces »). Dans la carrière qu’elle embrasse alors de jeune ménagère, elle suscite la révolte des objets et succombe au délire ( La Crise »). Pour déchiffrer le sens de ces mésaventures, il lui faudra résoudre « L’Affaire » qui met aux prises la Fédération Française du Fruit Rouge et le Parti Anti-Kiwi, un écrivain télévisuel et un sage des îles Samoa.
Plus fluide que jamais, le récit de Pierre Alferi, poète devenu romancier, charrie des sensations et des fantasmes d’une densité insolite. Les dessins à l’encre qui ponctuent les épisodes illustrent moins l’action que les pensées, souvent loufoques, de l’héroïne, et la part belle est faite aux dialogues, sous une forme quasi-théâtrale. Mais, de même que leur cocasserie laisse affleurer la peur de la folie qui hante les protagonistes, la fantaisie des situations et de l’intrigue sert une satire violente, où ce qui se déguise en jeux d’écriture n’est rien de moins que l’horreur de l’exploitation.
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Grosses légumes et fruits défendus
Du genre feuilletonesque, épluché, détaillé et mélangé, Pierre Alferi fait une salade savoureuse
Il faut se méfier du trop banal et de l’insignifiant. Pour preuve, le dernier livre de Pierre Alferi, où l’on fait la connaissance de Daniela Trip, « dans son genre, une assez jolie jeune femme», parisienne et célibataire. D’emblée, on apprend qu’elle n’a que très peu confiance en elle, et qu’elle « redoute que les hommes n’aiment (... ) que son derrière ». A la boulangerie, elle croise le regard d’un agréable trentenaire (son futur mari), elle rentre, prend un bain. Et c’est à peu près tout pour les trente premières pages de Kiwi. A croire que le texte rivalise d’ordinaire, qu’il cultive à l’envi les situations les plus triviales. On s’amuse même un instant d’ouvrir avec une telle collection de banalités ce gros livre de plus de 500 pages, sous-titré « roman-feuilleton ».
Mais il y a le style. Le rythme de la phrase, l’agencement des paragraphes. Un amalgame subtil de prose classique et de vers libre. De dialogues qui ne se disent pas, de récit aux ironies barbares (à l’instar d’un certain orgue, plutôt que de la horde - quoique). Pierre Alferi a bel et bien failli nous avoir.
Car une grande qualité de ce réjouissant nouveau texte de l’auteur des Jumelles ou d’Apres vous (POL, 2009 et 2010), poète et romancier né en 1963, est de mener son lecteur en bateau. Avec son gracieux concours, la connivence étant de mise dès le début. II ne manque plus qu’on lui donne une rame. Des dialogues en pagaille, une intrigue qui mêle policier, comédie, fantaisie (voire fantastique), des effets de suspens, des tics de feuilleton (comme de délicieux petits « résumes de ce qui précède » - par exemple : « La drague sur Internet ou la mort : Daniela Trip hésite »), il y a même quelques longueurs qui semblent volontaires.
Pourtant, ce qui commence par une parodie de roman populaire se transforme progressivement en divagation fruitière, preuve qu’il ne faut préjuger de rien. Kiwi n’est pas qu’un titre sympathique, c’est un complot, c’est un combat dans le monde impitoyable des fruits et légumes. Ce sont également des égarements immobiliers (ceux de l’époque) et des désordres mentaux (ceux de l’héroïne). Un mélange de légèretés politiques et de densités poétiques. On s’y perdrait ? Même pas. Car il n’y a rien de plus facile à suivre qu’un roman-feuilleton. Et son principe est de faire accepter au lecteur le plus rocambolesque comme le plus banal.
Plaisir du lecteur
Rien d’anormal à la présence, de l’autre côté du mur mitoyen, d’un célèbre « ommopathe » : cela « fait plus malade que médecin », remarque justement Daniela. Rien de surprenant non plus à la révolte des objets qui manquent de tuer l’héroïne. Rien d’invraisemblable enfin à l’existence du PAK (le Parti anti-kiwi, on appellera ses militants les « Pakiwistes »). Quand Daniela s’interroge (« Est-il possible qu’une chose aussi absurde existe »), sa réponse est sans ambiguïté : « Le PAK n’est même pas unique en son genre, puisque l’existence d’un parti anti-lichi semble avérée. (... )Que des illuminés luttent par un biais aussi biaisé contre l’idéologie libérale, c’est leur affaire. »
Ici, on s’amuse donc avec le réel (et ses effets), tout comme avec le récit (et ses effets). Seul le plaisir du lecteur compte, le texte ne se dérobe pas, il est ludique. Ce qui ne l’empêche pas, dans sa construction surréaliste, de glisser des images, des situations qui - à force de contamination délirante - mettent en scène la réalité de l’imagination. Ce qui est donné à voir, ce n’est pas ce que Daniela imagine (quelques dessins de l’auteur sont là pour cela). Mais le fait qu’elle imagine quelque chose. En fait, c’est là l’événement, l’intrigue même de ce « roman feuilleton ».
Nils C. Ahl, Le Monde, 27 avril 2012