— Paul Otchakovsky-Laurens

Techniques de l’amour

Frédéric Boyer

Comment parler encore d’amour ? En faisant entendre la voix de l’amant. C’est ce qu’on a fait de mieux en littérature depuis les grands monologues tragiques de l’Antiquité, mais aussi dans certaines compilations anciennes comme la Bible ou le Kâma Sûtra.



Ce texte est un hommage au monologue intérieur de l’amour. À cette prière folle que l’on se dit, que l’on se répète dans le noir. Depuis Phèdre, Bérénice, mais aussi le Cantique des cantiques, saint Paul, Thérèse d’Avila... et le Kâma Sûtra, toujours et encore. Monologue éclaté, inquiétant, qui repasse par des souvenirs personnels...

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La presse

Et toi mon cœur, pourquoi bats-tu ?


Une célébration poétique des surprises de l’amour.


Trois ans après avoir traduit les Confessionum libri tredecim de saint Augustin sous le titre Les Aveux (POL), Frédéric Boyer donne ses propres confessions dans un monologue d’une sombre et mystérieuse beauté. « J’ai aimé quelqu’un de toutes mes forces », écrit-il à la première ligne. C’est en rejouant sans cesse cette première note que l’écrivain compose sa sonate sur les sortilèges du sentiment amoureux. Il y a de la musique dans ce livre, des dons, du sel, du style, des effets, de la lumière. Et quelque chose de rare : un arrière-pays. « L’amour encercle ma maison », écrit Frédéric Boyer sur un ton qui hésite en permanence entre le tragique et l’ironique. « Je lui souhaiterai la bienvenue dans une minute après ma mort. ». Techniques de l’amour est un livre qui appelle la lecture à voix haute. On aimerait le déclamer à tue-tête dans des orages. Un livre pour happy few ? Détrompez-vous. Il est tissé des rêves dont nos vies sont faites. Il parle à chacun et chacun voit bien de quoi il parle. Ce qui nous ramène de façon calme et secrète à Augustin : « Donne-moi un homme qui aime […] il saura ce que je veux dire. »


Sébastien Lapaque, Le Figaro.




Aimer l’amour


On se souvient des Fragments d’un discours amoureux que Roland Barthes publia en 1977, auxquels on ne peut s’empêcher de penser en saisissant le nouveau livre de Frédéric Boyer. Très beau et souvent brûlant d’un désir contrarié qu’il contemple a posteriori, ce texte mêlant souvenirs personnels (réels ou inventés) et réflexions sur les affres de l’amour est néanmoins un exercice assez différent de celui du sémiologue Barthes.

Ni traité ni travail universitaire, il développe sous une forme personnelle et lyrique des thèmes universels et immortels comme les questions de la loi, de l’empreinte, du ravissement, de l’oubli et de la dépossession de soi. « Il n’y a dans l’amour que du langage ancien, des mots mâchés, de vieilles paroles déja répétées mille fois […] La sagesse de l’amour, révèle le prophète Jérémie, est de comprendre alors qu’une même chose déja répétée mille fois avant nous peut signifier une autre pour nous. »

C’est le livre d’un amoureux de l’amour autant que de la littérature, à laquelle il rend un hommage appuyé, se glissant dans la voix de ses prédécesseurs pour dire ce mystère millénaire et irrésolu.


Sabine Audrerie, La Croix.



« La parole amoureuse est un des premiers nœuds de la parole humaine »


Sujet privilégié par les écrivains, les poètes et les mystiques, l’amour s’est exprimé de multiples manières en littérature. Frédéric Boyer, éditeur d’une superbe correspondance amoureuse anonyme du XVIIIe siècle, publie conjointement une élégie qui évoque les mécanismes et les tourments de ce sentiment complexe.



Votre livre n’est ni un traité ni une confession, plutôt une tentative littéraire de saisir la complexité du sentiment amoureux, qu’avez-vous souhaité exprimer ?

Frédéric Boyer : Je cherchais, je crois, à déplacer une parole trop entière sur l’amour en mêlant des souvenirs réels ou imaginés à une élégie. J’ai essayé modestement de faire écho à des textes sur l’amour que je place très haut en littérature, du Kama-Sutra à Racine ou Claudel. C’est un peu de la ventriloquie : on peut se croire original mais en vérité on parle toujours avec les mots des autres. Ce petit texte essaie d’habiter la voix, les récits, les paroles des écrivains passés : mon livre n’est pas une confession amoureuse mais plutôt une forme d’hommage à l’amour en littérature. Je m’amuse, en me déguisant, en prenant la voix de Racine pour en parler, par exemple.


Que sont ces « techniques » de l’amour ?

J’associe « technique » à quelque chose de lyrique, à une mécanique amoureuse qui a besoin de technique pour s’exprimer. Il en est question dans tous les grands textes sur l’amour depuis les origines de la littérature, que ce soit dans le Cantique des Cantiques, dans le Kama-Sutra, dans les dialogues platoniciens : il y a toujours questionnement sur ce qui fait apparaître l’amour, sur la manière de le retenir, de le susciter, de le comprendre. Il est question de gestes, de mots à dire, de caresses, de métaphores extrêmement charnelles. Même dans les grands textes mystiques, que ce soient ceux de Thérèse d’Avila ou les textes flamands, il est toujours question d’incarnation, de gestes, de blessures, de stigmates, de griffures.


Vous avez choisi une forme élégiaque, et la question du discours amoureux sous-tend tout le livre. Est-ce que la technique, ce n’est pas avant tout le langage ?

Pour moi, la parole amoureuse est un des premiers nœuds de la parole humaine, et même du désir d’écrire pour laisser trace et témoignage, que ce soit pour l’amour de Dieu ou pour l’amour d’un autre. Et, bien entendu, on emploie des procédés d’expression dans la séduction de l’autre. Le ton élégiaque est voulu pour évoquer l’idée que déployer une parole, une pensée, voire une sagesse de l’amour, sert à essayer d’exorciser un sentiment d’absence, d’impossibilité, de perte ou de fuite. Il y a par exemple chez Racine les plus grandes héroïnes de la parole amoureuse. C’est une parole terrible, comme celle de Phèdre, qui dit en substance : « Si je parle, si je dis que j’aime Hippolyte, je meurs. » Le lyrisme en littérature m’intéresse beaucoup. C’est un langage fait de répétitions, d’incantations et puis d’un courage dans l’écriture de faire passer des ultimatums d’une grande violence.


Est-ce que la posture de l’écrivain n’est pas, comme celle de l’amoureux, finalement impossible : à la fois dans l’expression et dans l’effacement ?

Oui, comme Phèdre pour qui parler c’est mourir : représenter l’amour, représenter l’autre, c’est le faire s’évanouir ou le trahir. On est dans ce vertige entre l’image que l’on a de l’autre et l’apparition de l’autre. Ces impossibilités, au cœur des grands textes traitant d’amour, qui tous tiennent à ça, tout en essayant, avec une grande poésie souvent, de raconter la quête amoureuse dans son aspect charnel, précis et technique même parfois, et aussi le désespoir d’aimer.


Que ce soit dans une correspondance, dans un poème ou un roman, il y a distance par rapport à l’être aimé. Est-ce que l’amour ne se fabrique pas sur la page même ?

Cela fait partie de ces énigmes de l’amour, vient un moment où on ne sait plus si c’est parce qu’on a écrit que l’on aime ou si c’est parce qu’on aime que l’on a écrit. On sent cela dans la correspondance « Écris-moi si tu m’aimes encore » (lire ci-contre), cette espèce d’ivresse de l’aveu, de la confidence, dont on ne sait si elle est faite à soi ou à l’autre.

Un des gestes premiers très beaux de la poésie ou de la littérature mystique, c’est que le texte est au fond conçu comme une offrande, quasi sacrificielle, au sens où l’on consume quelque chose pour l’autre.



Quelle est la spécificité de la littérature mystique ?

Il y a, par exemple chez Thérèse d’Avila ou Jean de la Croix, poésie et inventivité de l’écriture pour exprimer quelque chose d’à la fois très beau et tragique dans l’amour mystique : quand toutes les conditions de cet amour-là sont remplies, comme le dit très bien Thérèse d’Avila, c’est la mort, qu’elle soit extatique ou communion d’amour, c’est à la fois jouissance et mort. « Je meurs de ne pas mourir », disait-elle. Cela m’intrigue beaucoup de voir comment la parole littéraire touche à cette question de la limite presque mortelle de l’amour.


En quoi ces textes renseignent-ils sur une époque ?

Dans le cas de la correspondance Écris-moi si tu m’aimes encore, ce qui est très émouvant c’est qu’il s’agit d’une vraie correspondance anonyme, pas réécrite, de la fin du XVIIIe siècle, qui n’avait jamais été relue depuis. Arlette Farge le relève : on a, à la lecture, le sentiment de vraiment entrer dans l’époque, dans des images, avec des métaphores, des attitudes, comme la question de la raison qui s’oppose au sentiment. Mais au-delà de ça, on a la parole libre d’une jeune femme éperdue d’un amour contrarié. Et, bien sûr, on entend, dans une simple correspondance comme celle-ci, presque ordinaire et pourtant très littéraire, quelque chose de la beauté, de la violence d’autres grands textes sur l’amour.


Sabine Audrerie, La Croix, 11 mars 2010





L’art neuf de l’amour selon Frédéric Boyer


Avec «Techniques de l’amour», le traducteur de saint Augustin («Les Aveux», 2008), s’aventure dans un monde inconnu, peu défriché où la poésie ouvre sans cesse de nouvelles voies.



«ET SI L’AMOUR ÉTAIT UN DICTATEUR?», l’interrogation troue le texte en lettres capitales. Et les questions se succèdent: « Est-ce que j’ai peur ? » « Qui a répandu l’amour dans le cœur des indifférents ? » « Qui a diffusé en moi cet amour inconnu de mon cœur ? » « S’IL ME DISAIT POUR UNE FOIS LA VÉRITÉ.»

Avec le courage d’un explorateur qui s’aventure sans carte en terres totalement inconnues, Frédéric Boyer s’emploie à redécouvrir l’amour. Il y a dans ce texte court et réjouissant un écho à Roland Barthes et aux Fragments d’un discours amoureux. Car le sens de l’observation ainsi que la voie poétique permettent à Frédéric Boyer de dire du neuf, de donner à voir ce sentiment – mais est-ce bien un sentiment ? – sous une lumière inhabituelle, sans tenir aucun compte des idées communes ou reçues, dans une vérité parfois déroutante qui est d’abord la sienne. « Un soir, j’ai pensé l’amour est un cochon très gras tombé dans un trou. Je pouvais le voir nager avec son mari la tête en bas et dire : je ne te crois plus. »

C’est que Frédéric Boyer n’a pas peur de cheminer en toute innocence, en toute candeur dans le monde, ce qui lui permet, merveilleuse faculté, d’être surpris à chaque pas de ce qu’il découvre et que la plupart des gens tiennent faussement pour acquis. C’est cette capacité rare qu’il met en œuvre dans Techniques de l’amour.

Frédéric Boyer est un réinventeur, un redécouvreur. Avant l’amour, et bien d’autres choses encore, il avait redécouvert la vache (Vaches, 2008 ) ou donné à réexplorer saint Augustin en en publiant en 2008, sous le titre Les Aveux , une nouvelle et remarquable traduction. « J’aimerais ne jamais avoir lu de livres. J’aimerais que tout soit neuf », dit-il en introduction des Aveux. Un vœu qui semble exaucé dans Techniques de l’amour.


Eléonore Sulser, Le Temps, 3 avril 2010.




L’amour est un élan du tout ou rien. On le vit sous le signe de l’abondance ou du manque, on l’endure comme présence éperdue ou comme absence absolue. Dans les moments de grâce, il arrive que tout cela coïncide. "Je n’ai rien à te dire, sinon que ce rien, c’est à toi que je le dis", soupirait l’amoureux de Roland Barthes, résumant cette dialectique qui fait qu’au moment même où je pense fort à "quelqu’un", ma pensée se révèle pleine de vide.


Frédéric Boyer traverse lui aussi l’énigme. Ou plutôt il n’en finit pas de tourner autour, ainsi qu’en attestent plusieurs de ses récits : Est-ce que tu m’aimes ? (1995), Pas aimée (1999), "Nous nous aimons" (2004), tous publiés chez POL.

Il le fait à sa manière, en homme de foi et de doutes. Egalement auteur d’une nouvelle traduction des Confessions, d’Augustin (Les Aveux, POL, 2008), Frédéric Boyer est de ces auteurs qui affirment la profondeur littéraire de la Bible comme la richesse spirituelle de la poésie. "J’ai beau penser aujourd’hui ne pas penser que je pense à quelqu’un ce rien m’écrase. Je disparais. Je m’efface. Je répète comme la reine de Shakespeare : à l’origine du rien de ma douleur il n’y a rien. Et ce rien est lui-même le rien de mon amour", note-t-il dans son dernier livre, Techniques de l’amour.

Rue déserte, trou noir, course blanche, non-sens, l’amour se dérobe ici à toute définition : "Il n’y a pas d’amour. Nulle part. Il n’y a que des techniques de l’amour", note Boyer. Toujours réticent quand il s’agit de trancher, il se contente de nommer, et de s’abandonner à ce vertige de la nomination : mettre des mots sur quelques expériences fugaces, les aventures de la caresse, deux ou trois événements liés au toucher.

Douce et précise, sa plume effleure les sons, elle emporte la langue dans une prose sensuelle. Il mobilise le Kama-sutra, Wittgenstein et saint Paul pour explorer le goût de cendre que laisse la passion.

Celui-ci relève à la fois de la discipline et de l’insouciance, de la promesse et de la trahison.

Autant de choses dont l’amoureux ne sait rien. "L’amour ne désigne rien du tout. Il opère en moi une magie mais si l’on me demande ce que c’est je ne sais toujours pas."


Jean Birnbaum

Agenda

Samedi 8 juin
Frédéric Boyer, Suzanne Doppelt et Christian Prigent à l'auditorium du Pavillon carré de Baudouin

Auditorium du Pavillon carré de Baudouin
121, rue de Menilmontant 
Paris 75020

 

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Et aussi

Vendredi 13 novembre 2015, mémorial par Frédéric Boyer

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Frédéric Boyer dans La Croix

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Frédéric Boyer, Techniques de l’amour, Techniques de l'amour - 2010

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