— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Ciel pas d’angle

Dominique Fourcade

Le ciel pas d’angle, « quarante-cinq poèmes pris dans le réel », a été écrit en dix ans. Il s’appuie sur une méditation des conquêtes de la peinture moderne, de Manet à Matisse, avec Cézanne comme figure centrale. La poétique et l’écriture cessent ici de privilégier tel ou tel moment de l’expérience sensible, en annulant toute hiérarchie dans le compte rendu du réel ; elles visent à traduire l’espace entre les choses – les choses et les êtres c’est tout un –, l’espace entre les éléments du sensible et la grande mélodie qui les lie.

 

Consulter les premières pages de l'ouvrage Le Ciel pas d’angle

Feuilleter ce livre en ligne

 

La presse

Sculpteur de langue


Qui parle encore de poésie, à la télé, à la radio... ou même au Nouvel Observateur ? Les Français n’en lisent plus. Nos grands éditeurs, qui ne sont pas des monstres d’audace, n’en publient presque plus. Ils ont oublié qu’au siècle dernier plusieurs best-sellers de notre littérature ont été des recueils de poésie. Et c’est encore le cas aujourd’hui dans d’autres pays : quand Boris Pasternak, à l’issue du gel stalinien, donna son premier récital de poésie dans une grande salle de Moscou, noire de monde, comme il avait une défaillance de mémoire, toute la salle reprit en choeur l’un de ses poèmes qui avait disparu des librairies depuis vingt ans.


En France, la poésie est devenue une sorte de samizdat qu’on imprime à la sauvette avec des moyens de fortune. Et pourtant (ou pour cette raison) elle vit. Elle avance. Je ne parle pas des gratteurs de guitare faiseurs de calembours. Je parle des vrais poètes qui travaillent la langue comme on travaille le marbre, le fer, le plastique ou le saxophone : des hommes qui vivent en poésie comme on vit en exil.


Dominique Fourcade est l’un d’eux et l’un des meilleurs, à coup sûr, de sa génération. Dans son dernier recueil, le Ciel pas d’angle, une toile de Matisse, un disque de Bashung et le passage régulier de la benne à ordures composent une réalité retrouvée. « O diesel de musiques rue de n’importe quelle ville avec ton slip en uranium tu es ma préférée. » Personne ne prend le réel au sérieux comme les poètes.


André Burguière,Le Nouvel Observateur



Sous un très beau titre, Le ciel pas d’angle, les poèmes vont... En effet, l’écriture est toute de mobilité, d’aisance. Cela va de soi, dirait-on, sans qu’aucun thème soit interdit à cet homme de part en part qui passe avec une virtuosité rare de la prose aux vers, sans que la tension tombe. Car la limite n’est pas tracée et les lignes tendues de la prose introduisent naturellement au poème et vice versa... Dans de telles conditions, le sens rebondit de ligne en vers, agile et fluide, toujours chargé d’émotion sans que l’abrupt nuise au plaisir du texte. On pourrait parler de syncope, ou de swing comme dans la musique de jazz dont le livre possède la chaleur communicative... la liberté...


A partir du réel, comme il est dit, une véritable transfiguration s’effectue à travers la langue, les langues, et donne à entendre une mélodie plurielle qui résonne le plus souvent comme un haut chant d’amour.


Bulletin critique du livre français, 1983