C’est une histoire d’oreille et de fleur de bananier, d’ancêtre et de fantôme.
Un écrivain revient en voiture, l’été, d’une rapide randonnée le long de la côte atlantique d’Afrique. Des événements apparemment anodins se trament autour de lui et le circonviennent, dont le dessin le plus souvent lui échappe. Rabat et la casbah des Oudaïa sont le premier cadre de ce parcours ; Ronda d’Andalousie le second, où reparaît l’aïeule des temps anciens ; Soria en Vieille Castille, le troisième, pour une fin abrupte non loin des ruines de Numance et du jardin de Cervantès, où tous les faits récents convergent et...
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C’est une histoire d’oreille et de fleur de bananier, d’ancêtre et de fantôme.
Un écrivain revient en voiture, l’été, d’une rapide randonnée le long de la côte atlantique d’Afrique. Des événements apparemment anodins se trament autour de lui et le circonviennent, dont le dessin le plus souvent lui échappe. Rabat et la casbah des Oudaïa sont le premier cadre de ce parcours ; Ronda d’Andalousie le second, où reparaît l’aïeule des temps anciens ; Soria en Vieille Castille, le troisième, pour une fin abrupte non loin des ruines de Numance et du jardin de Cervantès, où tous les faits récents convergent et prennent sens.
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De retour d’un rapide voyage en Afrique, le long de la côte atlantique, un écrivain passe par Rabat, revoit le fantôme de son aïeule lointaine à Ronda en Andalousie, et se retrouve à Soria en vieille Castille. Ces excursions du vieil homme lui permettent les descriptions finement ciselées de paysages colorés lumineux et nous font vivre dans l’illusion qu’il affectionne : le jeu avec le temps et l’espace. Dès l’enfance, il était « dans la lune », son attention était déroutée, il « doublait sa vie ». Il retrouve des amis et ils se rejoignent par-delà l’écart de l’âge et des clivages culturels.
avril 1998
Aberration est aujourd’hui le dernier récit publié par Claude Ollier. C’est l’histoire d’un voyage retour interrompu par la mort. Un personnage, Rost, qui est écrivain, a fait un voyage solitaire dans le sud du Maroc, jusqu’à Dakhla. On le découvre à Rabat dans le jardin andalou de la ville. Deux événements marquent sa promenade : d’une part, la vue d’une jeune fille « tout en blanc » et qui devient vite « le fantôme blanc de la jeune fille » ; d’autre part, la découverte près du bassin du jardin, d’une « oreille entre les feuilles mortes à gauche sur la plate-bande ». Cette oreille n’est autre qu’une feuille de bananier, comme le lecteur le comprend vite. A Rabat, Rost revoit son ami Hamid; en compagnie d’une chanteuse, Samira. Rost est touché par le « vert des yeux » de celle-ci, qui « garde le regard au loin ». Rost ne semble pas savoir s’il va quitter Rabat pour rentrer chez lui où son labeur d’écrivain l’attend ou s’il va rester chez Hamid. Les événements décident pour lui : Hamid n’est plus là quand, après avoir dormi à l’hôtel, Rost lui téléphone. Voilà donc l’écrivain prenant le ferry pour franchir la Méditerranée. Scène cocasse, d’ailleurs, le ferry est quasi désert, et Rost apprend d’un personnage théâtral que le bateau est supplémentaire. Ce passage de la Méditerranée est central dans Aberration. Il permet au narrateur d’associer l’intrigue au souvenir d’une aïeule andalouse. La route le conduit par Gaucin jusqu’à Ronda, où il passe la nuit. Plusieurs événements marquants, alors. En premier, Rost se demande « comment les yeux de Samira ont pu prendre possession de ceux de l’aïeule ». Puis l’aïeule fantomatique reparaît lors d’une scène d’inquiétante étrangeté. Ensuite, Rost se débarrasse de la fleur de bananier. Au matin, une scène quiproquo le place en face d’un ami étonnant, Sordo. Enfin, il devient sourd de l’oreille droite. Le trajet continue à travers l’Espagne. Rost se dirige vers le Guadalquivir, passe par Ecija, prend l’autoroute qu’il quitte « comme Cordoue s’annonçait, [...] d’un coup de volant irraisonné ». Rost se lance ensuite dans « cette vaste zone entre Guadalquivir et Tage, vierge de grandes villes ». Il quitte l’Andalousie pour la Sierra de Guadarrama et arrive à Soria. C’est le moment d’une constatation du narrateur sur le terme du retour de Rost : « Il est de fait qu’un écrit l’attend, et l’aïeule est présente en ce moment comme elle l’était hier, présente davantage peut-être encore en cette évocation décalée, différée plus que de coutume, dont il n’arrivera jamais - il le sait maintenant - à fixer les termes noir sur blanc une bonne fois pour toutes ». Après une nuit à Soria, Rost se retrouve à Numance. Au sortir de l’enceinte des ruines, un accident de voiture met un terme définitif à sa course. Il meurt alors que « les yeux anciens de Samira s’impriment devant les siens » et qu’il n’entend plus rien, « les deux oreilles sourdes, labyrinthe sans vie ». Ce long résumé permet de mesurer l’extrême finesse de ce récit qui est sans doute une oeuvre majeure de Claude Ollier. L’intrigue, réduite au minimum, est l’occasion pour l’écrivain de méditer, non sans humour, sur les principales composantes de son écriture : le rapport du corps à l’espace, la voix dite intérieure, et le double. La qualité du ton de cette écriture permet également de suggérer l’atmosphère du Maroc et de l’Espagne. Si l’on remarque que le mot oreille est, pour ainsi dire, l’anagramme d’Ollier, on aura compris l’importance que ce livre peut prendre au regard de l’oeuvre de cet auteur.
Bulletin critique du livre français, juillet-août 1998