— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Mur de Planck

10-43

Christophe Carpentier

L’homme a de tous temps construit des murs pour se protéger des invasions guerrières ou des fléaux naturels. Par-delà ces ouvrages en dur, dont la plupart n’ont pu résister aux vicissitudes de l’histoire, il en existe un qui, parce qu’il n’est pas faitde matière, est demeuré à ce jour infranchissable. Il s’agit du Mur de Planck. Cet édifice théorique qui protège les mystèresde la naissance de l’univers, aucun mathématicien, aucun astronome n’est encore parvenu à le franchir.Quoiqu’il en soit, et loin des théories physiques et quantiques, le samedi 2 avril 2016, Marvin Taylor assassine 10 obèses réunis pour un...

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La presse

Le mur de Planck - Tome 1



Des atomes pensants, capables de se métamorphoser en n’importe quel être vivant, châtiant les mauvaises actions en plongeant leurs auteurs dans un état de prostration perpétuelle. Une invasion planétaire invisible, une stratégie de pacification de l’humanité conduite comme une offensive, contre la méchanceté et l’instinct de prédation, contre la pensée déviante, et bientôt contre l’inconscient, les rêves, les émotions trop vives. Partout, des populations frappées d’hébétude, réduites à l’état d’inoffensifs zombies Mais aussi une traversée de la galaxie et du temps, une exploration des
dimensions parallèles. Et puis ces insectes extraterrestres belliqueux, ces robots, ces monstres géants évoquant un genre de SF apocalyptique appartenant a la préhistoire, qui s’affichent en désaveu de la prémisse high-tech et comme aveu du va-et-vient incessant que Christophe Carpentier cultive entre passé et présent, résidus de mythologie et fragments de modernité. Certes, Le Mur de Planck bouffe à tous les râteliers, c’est sans doute sa raison d’être : comédie d’anticipation tantôt métaphysique, tantôt potache, recyclant aussi bien l’esprit du polar, les revues de vulgarisation scientifique, les fondations de la SF (Frankenstein dépassé par sa création...), les séries télé à la mode et le cinema bis, ce livre tranche avec le reste de la production hexagonale, tels certains opus d’un certain M.G Dantec.
Aussi insidieux mais plus cruels et plus caustiques que les profanateurs de JackFinney, les envahisseurs de Christophe Carpentier, autrement nommés « particules baryoniques», semblent d’abord n’avoir d’autre but
que de prendre en otage le destin des êtres qui les ont créés et de neutraliser parmi eux le maximum de nuisibles, présidents russe et syrien en tête... Entreprise de nettoyage du plus haut comique (même le president d’Amazon y passe), justice immanente vengeresse, foutoir dans les familles, bordel monstre partout dans la société, irréalisme libérateur. Tout le livre est une histoire de frontières: limites à ne pas franchir ou au contraire à dépasser pour les protagonistes, mixage de genres différents et d’aspirations contradictoires pour l’auteur, qui campe sur son monde un point de vue d’ado, espérant toujours qu’une force supérieure - petits hommes verts aux yeux globuleux ou intelligences angeliques - viendra modifier le cours mortel de la condition humaine (cette vieillerie).
Malgré la densité du livre et l’ampleur des thèmes brassés, Le Mur de Planck - à l’inverse proportion de ce que son titre annonce - ne se livre à aucune révélation, aucune extrapolation sur l’origine de l’univers, Carpentier affirmant la suprématie du questionnement et du romanesque sur la découverte d’une hypothétique cause non causée. L’emphase (parfois boursouflée) de la prose, l’inaction érigée en principe actif et une intrigue en roue libre (je ne résiste pas à citer ce passage p.556 qui vaut profession de foi « Disons que j’improvise, mon vieux, j’improvise au mieux, et je dois dire que ce n’est pas évident ») suffisent à installer la singularité de l’auteur. Lequel bosse également à démonter les fantasmes foireux de notre civilisation hyper connectée, son goût du voyeurisme, de la vitesse et du bruit où tout acte, toute parole authentique est désormais impossible à cerner, son besoin d’ennemi mondial et de catastrophes pour se peupler l’imaginaire. Mais en bousillant, de manière ironique, l’espoir d’un outre-monde qui nous sortirait de notre microcosme vicié, Carpentier oblige tout le monde à ne puiser qu’en soi-même
Ce qui est bien plus difficile.



Sam Lermite, Bifrost, 2016







Il y a des livres dont le titre vous donne envie de partir en courant. Ainsi Défaite des maîtres et possesseurs, le livre de l’année 2016, et Le Mur de Planck, que je n’aurais pas ouvert sans de précieux avis. Et une fois ouvert, croyez-moi, vous êtes cuit. Parce que quand même, l’histoire de Marvin Taylor qui s’introduit à un barbecue d’obèses pour zigouiller tous ces gros lards, on n’avait jamais lu ça...


Un premier chapitre mémorable, dans le style roman noir déjanté, qui ne déparerait pas chez Super 8 Editions. Puis le massacre finit sur un mystère, puisque « le pauvre » Marvin Taylor est retrouvé hébété, arme en main : il ne sait plus qui il est, comment il s’appelle, il ne sait d’ailleurs même plus parler. Pour Tilda et Travis, agents du FBI dépêchés sur place, cette histoire se joue sur du velours, l’assassin se trouvant encore sur les lieux des crimes. Oui mais voilà : grâce aux lunettes d’enregistrement de Taylor, ils voient ce qui s’est passé et comprennent que des forces inhabituelles sont entrées en jeu.


En effet, les Particules Baryoniques sont à l’origine de l’hébétude de Taylor, qui n’est que l’un des premiers d’une très longue liste d’hébétés, ces Particules, atomes conscients et moralisateurs, ayant décidé d’assainir l’humanité. En un instant, le 4 avril 2016, elles envoient les assassins, violeurs, corrupteurs et autres profiteurs sucrer les fraises. Plus un génie du Mal ne sait comment il s’appelle. Bon, on ne va pas les plaindre.


Mais quand même...

Oui, mais quand même. Et tout le génie de Christophe Carpentier est dans cette petite réflexion, qui en entraine une autre, puis une autre. Se débarrasser du Mal sur Terre, dans l’absolu, qui pourrait y redire ? Mais y être contraint par une force extérieure ? Qui frappe même celle qui se venge d’une vie de sévices ? Puis ceux qui pensent à mal ? Oui, ça se complique nettement, d’autant plus que personne n’y peut rien : sitôt que vous levez la main dans l’intention de frapper, vous voilà réduit à l’état de légume...


D’ailleurs, des légumes, il y en a plein les rues, qui déambulent. Certaines familles, très peu, choisissent de garder leurs hébétés à demeure, mais d’autres les jettent à la rue ces salauds, bon débarras ! Qui irait recueillir un Poutine, un Bachar el-Assad ou encore un Jeff Bezos ? Pour lui, c’est moins évident, mais Tilda et Travis, désoeuvrés en tant qu’agents du FBI depuis qu’il n’y a plus de crimes, enquêtent sur les conditions de travail chez Amazon et ne tardent par à comprendre le sort tout à fait justifié de son PDG qui « pratique un ultralibéralisme cupide, cruel et aliénant« . Bien fait pour lui...


Mais ces soudaines transformations bouleversent la société au sein même des familles : un beau jour, le père, le mari, la grand-mère qu’on croyait exemplaires sont frappés d’hébétude : ils ont donc commis un ou des actes répréhensibles jusqu’alors restés cachés. La suspicion rôde : couple, famille, associations volent en éclats.



Le Mur de Planck, par les situations qu’il explore, se révèle passionnant de bout en bout. Christophe Carpentier explore des registres romanesques variés (thriller, science-fiction, conte, romance...) qui dynamisent la narration et use d’une ironie intelligente. Sous couvert d’une intrigue qui en elle-même tient la route, le lecteur s’interroge sur ce qu’il lit et sur ce qu’il va lire à la page suivante : quelles sont les implications de la situation de départ, les conséquences impensées du Bien pour tous. L’ennui d’abord, pour le moins, puis la cauchemardesque nécessité de faire le Bien, d’être un chic type, d’aimer et d’aider son prochain sous peine d’être frappé d’hébétude : la dictature des Bisounours au moins aussi effrayante que n’importe quel totalitarisme du XXe siècle. Et de conclure (pour faire court) que le Mal est nécessaire à l’épanouissement de l’être humain.



Plongez donc dans la diversité, l’originalité et la profondeur de ce roman passionnant. Le Mur de Planck se révèle être bien plus philosophique que scientifique et surtout parfois d’un grotesque salutaire pour désamorcer le tragique de notre condition. Il embrasse le destin de l’humanité dans une optique non pas résolument sombre (il existe quelques Coeurs Purs) mais bien paranoïaque, cauchemardesque et cosmique.



Sandrine Brugot Maillard, Mes Imaginaires, Janvier 2017