— Paul Otchakovsky-Laurens

La Fille parfaite

Nathalie Azoulai

Quand, un beau matin de juin, Rachel apprend qu’Adèle, son amie de toujours, s’est pendue chez elle, elle se sent à la fois assommée et allégée. Une réaction à l’image de cette amitié tumultueuse qui a toujours provoqué en elle un mélange de fusion et de malaise profond. À partir de cette ambivalence, Rachel mène l’enquête et s’interroge sur ce qui a pu mener une fille aussi parfaite qu’Adèle, brillante mathématicienne et mère d’un jeune garçon, à se supprimer aussi violemment à 46 ans.

Elle revient sur la naissance, les étapes et les péripéties de leur histoire en butant sans cesse sur...

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Allemagne : Secession Verlag | Espagne : Empuries | Italie : Solferino

La presse


La Fille Parfaite


Adèle Prinker et Rachel Deville sont amies pour la vie, presque soeurs, blondes comme les blés, pétries d’intelligence.
Mais, chez les Prinker, les mathématiques dominent tout, tandis que les Deville s’extasient devant Turner, Shakespeare ou Proust. Qu’à cela ne tienne, rétorque Adèle à Rachel, «considère qu’on est deux filles d’une seule et mêmefamille : l’une sera mathématicienne et l’autre grammairienne. Nos parents auront le sentiment d’avoir accompli une sorte de progéniture parfaite... ». Mais la perfection n’existe ni du côté des sciences ni de celui des lettres, et quand Adèle se pend dans son appartement, à 46 ans, Rachel perd la moitié d’elle-même puisqu’elle n’a plus à «conquérir le territoire d’en face».


La Fille parfaite est une histoire d’amitié, de complicité, de chamailleries et de contaminations infinies entre deux filles qui n’habitent pas le même monde. Sans vraiment chercher à gagner la postérité, mais toujours en compétition, les deux jeunes prodiges jouent des coudes, se quittent mais se retrouvent toujours. Nathalie Azoulai réussit un livre brillant sur un sentiment en mouvement perpétuel. Elle compose une oeuvre précise comme la science et rêveuse comme la fiction. Sa confrontation des mondes est aussi une affaire d’apprentissage, d’ambition à deux têtes. Qui est vraiment cette fille parfaite qui donne son titre au roman? Celle qui choisit «la voie des hommes», le chemin royal des mathématiques, et qui va se couper les cheveux un matin de juin, monter sur la table et se jeter dansle vide?


Après Mère agitée et Titus n’aimait pas Bérénice, Nathalie Azoulai teinte ce nouveau livre d’une mélancolie furtive et regarde le temps passer en restant médusée devant cette obligation éternelle de choisir son camp. Elle, l’agrégée de lettres, en a pris son parti. Face à la science implacable, la romancière est celle qui fait revivre son amie
disparue à travers les mots. Toute puissante, elle en fait une héroïne pour l’offrir au monde des lecteurs.


Christine Ferniot, Télérama, le 8 janvier 2022



Adèle et Rachel amies et rivales


NATHALIE AZOULAI Tragédie contemporaine dans un milieu où l’intelligence est la valeur ultime.


Adèle, 46 ans, mathématicienne d’envergure internationale, a coupé ses longs cheveux et s’est pendue, pendant que son mari et leur fils de 10 ans étaient partis en voyage, entre hommes. La gardienne de l’immeuble découvre son corps et prévient la police qui appelle son amie d’enfance, Rachel, la narratrice. Celle-ci se rend sur les lieux puis chez le père d’Adèle à qui elle annonce la mort de sa fille unique, sa fille adorée, qui avait accompli toutes ses espérances, ou presque.


Dès les premières pages, le lecteur est pris à la gorge par l’extrême placidité du ton de la narratrice. Au cimetière, elle pense: «J’étais triste mais j’étais délestée, je l’aimais mais j’étais débarrassée.» Cette scène de cimetière structure en arrière-plan le récit qui, de là, retourne dans le passé et remonte le temps pour tenter d’élucider deux énigmes.
Pourquoi la brillante Adèle, couverte de médailles, époux protecteur, fils plein de promesses, s’est-elle tuée à 46 ans? Et pourquoi la narratrice est-elle soulagée de la mort de son amie? Ces deux enquêtes convergent dans une même exploration fascinée, comme une autopsie rétrospective, avec des moyens littéraires, de l’étrange Adèle, et surtout de son cerveau d’une vélocité exceptionnelle, dressé à l’excellence par son père.


Adèle et Rachel, filles de deux tribus rivales, comme les Guermantes et les Verdurin de la Recherche: la famille des littéraires, grande bourgeoisie lettrée, qui ne prise que le style et la conversation, où il faut tenir son rang ; la famille des matheux, d’origine modeste, arc-boutée sur une volonté de fer pour aller toujours plus haut. Adèle et Rachel, deux filles en miroir qui voulaient tout, un cerveau d’homme, un corps de femme, le pouvoir et la connaissance, dominer les chiffres aussi bien que les lettres.


Une extrême fragilité


Adèle et Rachel, c’est aussi une amitié asymétrique. D’un côté, une matheuse surdouée, un peu inaccessible ; de l’autre, une littéraire éperdue d’admiration, d’envie, d’amour et de haine pour son amie. Rachel, prisonnière de son désir mimétique et de la rivalité qui en découle : quand elle se compare, elle sombre. Mais elle est exaltée par la lumière dont elle auréole Adèle - lumière qui l’aveugle puisqu’elle l’empêchera de déceler son extrême fragilité. Quand Adèle faisait des exercices de logique avec son père, Rachel rêvait d’être initiée à ces «mystères», de toucher avec eux «le ciel pur desidées», comme s’il s’agissait d’une connaissance ésotérique réservée à des élus dont elle était exclue.


Nathalie Azoulai, lauréate du prix Médicis en 2015 pour Titus n’aimait pas Bérénice, aime la littérature d’analyse et y excelle. La tension in terne du personnage de la narratrice est remarquablement rendue, sa voix sobre se veut adulte mais elle est posée sur tm noeud d’émotions archaïques que sa raison ne démêle qu’en partie et ne dénoue pas. II lui manque une sorte de clé, qui ouvrirait l’âme de ce petit monde en deux dimensions.


Au terme de son récit, Rachel, bien qu’agrégée de lettres et romancière entourée d’honneurs, est encore torturée par la vision des neurones infiniment agiles d’Adèle. Un idéal, explique-t-elle, «une façon de placer l’intelligence au centre ou au sommet, comme d’autres y placent l’art ou l’argent». Idéal ou idolâtrie? C’est l’un des sujets passionnants de ce roman.
Adèle ne serait-elle pas morte en effet d’avoir été adulée plutôt qu’aimée- sauf par sa mère, qu’elle négligeait, femme simple morte elle aussi à 46 ans pendant que sa fille était en voyage?


Astrid De Larminat, Le Figaro Littéraire, le 13 janvier 2022




LE STYLE de Nathalie Azoulai


Quand Rachel découvre qu’Adèle, sameilleure amie depuis l’adolescence, s’est inexplicablement pendue, elle se replonge dans leur histoire. Toutes les deux blondes etdouées, issues d’une famille de littéraires pour l’une, de scientifiques pour l’autre, elles ont entretenu un lien tissé d’affection et de rivalité, de ruptures et de retrouvailles, avant de devenir une écrivaine célébrée et une mathématicienne listée pour la médaille Fields... Ce remake de L’Amie prodigieuse se double d’une méditation d’un allant etd’une intelligence éblouissants sur les mots et les maths, la beauté et la vérité, et la solitude du génie. Le plus :l’élégance du style, et la fine analyse de la féminité et de l’ambition.


Minh Tran Huy, Figaro Madame, le 14 janvier 2022



Les filles savantes


Nathalie Azoulai réinvente le roman d’amitié et de formation à travers deux destins féminins contraires et complémentaires : fascinant.


LES CHIFFRES OU LES LETTRES? Ce choix offert à deux amies d’adolescence, Adèle et Rachel, au moment de leur orientation scolaire en classe de seconde (à l’époque du roman, il fallait opter pour les filières A, B ou C) n’a rien d’anodin. Au contraire, il est existentiel. Les chiffres ou les lettres sonnent même comme la vie ou la mort, tant la réussite se niche dans les mathématiques ou la littérature pour les familles de ces filles savantes. Adèle et Rachel sont chacune prédestinées par leur milieu, « et c’est l’un des enjeux de ce roman suprêmement intelligent que de savoir si cette fatalité est une charge ou une bénédiction. Adèle a hérité de son père la bosse des maths et la certitude qu’elles mènent le monde, en même temps qu’un prénom fondateur : Adèle comme Ada Byron, cette fille poussée par sa mère «vers les sciences pour qu’elle échappe au destin maudit de son maudit poète de père !».Rachel, elle, est issue d’une tribu où l’on ne jure que par les mots et où l’on débat de Proust ou de Houellebecq lors de discussions interminables. D’ailleurs, elle doit son prénom à une arrière-grand-mère paternelle qui a déclaré «qu’on reconnaissait les familles d’intellectuels, au fait qu’à table elles s’attardent sur un phénomène de langue plutôt que sur les vins et les plats».


Nathalie Azoulai conte l’amitié au long cours de ces deux filles complémentaires qui décident, toutes jeunes, qu’à elles deux, elles couvriraient tout le spectre de l’existence. « La Fille parfaite »,ce sont elles deux réunies, les deux faces d’une même médaille. Leur relation n’est pas faite d’étreintes ni de déclarations, mais d’une émulation tournée vers l’excellence, d’une dangereuse rivalité, de longues ellipses et de moments de fusion jusqu’à la tragédie ouvrant le roman, le suicide d’Adèle à
46ans. Rachel cherche à en percer le mystère, et c’est l’une des questions passionnantes posées par l’auteure à grand renfort de métaphores - un Mr. Freeze, une bonde... –dont elle interroge également la pertinence. Quel est le pouvoir du roman dans notre société ? Qu’est-ce que cela signifie de travailler dans un monde d’hommes, les sciences, quand on est une femme? Comment les mères arbitrent elles entre leur métier et leur amour pour leurs enfants ? Un petit garçon orphelin éclaire de sa tête blonde cette amitié cérébrale. Portera-t-il, lui aussi, le poids de la tradition ?
« LA FILLE PARFAITE», de Nathalie Azoulai


Olivia de Lamberterie, Elle, le 20 janvier 2022.



La boîte noire de l’amitié


DRAME Nathalie Azoulai creuse la complicité de deux femmes unies par la passion de rintelligence.

L’une scientifique, l’autre littéraire

C’est une histoire d’amour et de désir. D’amour de l’intelligence, de désir d’être la meilleure. Renversantes de blondeur et de penchant à fouiller leurs cerveaux, deux amies de lycée se partagent le monde : à l’une, Rachel Deville, la narratrice, la littérature - à l’instar de tous les membres de sa famille - ; à l’autre, Adèle Prinker, les mathématiques - fondamentales s’il vous plaît, car il s’agit d’être à la hauteur des injonctions paternelles.

Ce serait une banale affaire de déterminisme social si ça finissait bien. Or Adèle, devenue une mathématicienne bardée de médailles internationales, mère d’un prodigieux petit Nicolas de 10 ans, se pend chez elle un beau matin de juin à l’âge de 46 ans. C’est le début du livre.
Ou plutôt de Y« enquête», selon le mot de la narratrice, qui va sans le dire s’employer à ouvrir la « boîte noire» de l’amitié qui la lie à Adèle. De boîte, il n’est question qu’une seule fois, et de manière générique, dans la dernière partie du roman : « Les amitiés, c’est comme les crashs aériens, on n’en retrouve pas toujours les boîtes noires, sauf peut-être quand elles s’ouvrent d’elles-mêmes au chevet de l’un des deux amis quand il meurt.». Mais ici, le moins que l’on puisse dire est que rien de tel n’advient. A la mort d’Adèle, la boîte serait restée désespérément fermée si Rachel ne l’avait pas forcée pour comprendre le suicide de son amie. « Je vais chercher, Adèle, je te promets que je vais chercher.» Elle commence par chercher en elle(s). Dans leur boîte noire s’enchevêtrent l’admiration, l’aiguillon de la rivalité, les instants de «fusion » (c’était leur mot) notamment quand elles tombent d’accord sur la définition de la beauté, le mépris des intelligences moindres, la complicité de deux filles qui n’aiment pas les filles. Sachant que si les deux «plane[nt] au-dessus de la mêlée», Adèle plane plus haut encore. « Le problème, c’est que si elle pouvait discuter de mes sujets, moi, je ne pouvais pas discuter des siens. [...] Cette asymétrie, c’était ma croix. » Le roman est irrigué par le complexe de Rachel, qui se sentait comme « un ver de terre à côté d’une étoile ». Et qui l’aime, cette étoile (« La vraie vérité, c’est que je ne pouvais pas lui résister »). Tout en la fuyant parfois pour exister, jusqu’aux inévitables retrouvailles... Et ainsi de suite. En découle « une amitié cyclique où trop de proximité occasionnait une surchauffe ». La première éclipse, qui durera deux ans, a lieu après le bac, scientifique pour toutes les deux, parce que Rachel a suivi Adèle, en rompant avec les atavismes littéraires des siens, ce qu’elle a regretté. Quand elles se revoient, l’amitié repart au galop. Avec son chariot d’ambivalences. « En quelques minutes j’ai reconnu cette sensation mitigée, ce courant glacé et cette question simple : m’était-il ou non agréable de passer un moment avec Adèle ? Autrement dit, mon déplaisir entamait-il le charme ou l’amitié ? Je n’ai que des réponses compliquées parmi lesquelles ce choix qu’on fait parfois dans la vie d’avoir des compagnons, des partenaires même, qui nous élèvent quoi qu’il arrive, dont on accepte qu’ils nous malmènent pourvu qu’ils nous surclassent, qui nous surclassent parce qu’ils nous malmènent. »

Nathalie Azoulai se garde bien de la propension de ces littéraires qu’elle dépeint de bout en bout du roman: faire des mots pour faire des mots ; ciseler des métaphores qui « rendent un son trop coquet ». Jamais son écriture à elle ne minaude. Sa Rachel, qui a finalement entamé après le bac les études de lettres couronnées de succès auxquelles elle était prédestinée jusqu’à devenir une romancière célèbre, qui est« depuis toujours une littéraire qui refusait qu’on la cantonne à son groupe », « ni là ni là », le dit sans ambages : « J’avais besoin d’un rapport plus corsé, moins dupe, j’aspirais à une littérature qui, comme la science, montre ses muscles. » En fait c’est cela: Nathalie Azoulai écrit comme on montre les muscles. Des muscles qu’elle étire bellement. « Se pendre, ce n’était pas seulement mourir, c’était chuter et entraîner les autres dans sa chute, c’était pendre aussi à jamais dans leur mémoire, créer une scène quasi religieuse qui forçait à douter de tout, à se dégoûter de tout. » La deuxième éclipse d’amitié durera quinze ans. Puis Adèle revient, avec un bébé dans le ventre. Mention spéciale pour l’extrême pureté des passages où Rachel-qui-ne-veut-surtout-pas d’enfant découvre de l’amour pour le fils de sa « jumelle ».Là encore, pas de pathos, juste l’épure.
Comme lorsqu’elle restitue son échange avec le petit garçon qui se cache tout le temps sous le piano parce qu’il a « honte d’aller plus vite que les autres ». Comme lorsqu’elle le décrit, à 10 ans, avec « sa voix rauque d’avoir trop frotté contre l’archet de ses pourquoi ? ».
Ce contre quoi la plume de Nathalie Azoulai frotte un peu trop, c’est la césure entre les scientifiques et les littéraires, qu’elle érige en question politique essentielle. Il faut voir le plaidoyer à qu’elle met dans la bouche d’Adèle l’occasion des 70 ans du père de Rachel : « Aujourd’hui, les filles, c’est la science qu’il faut maîtriser. On a voué les femmes à scruter les mots et, sous les mots, l’intimité, même quand on les a poussées à faire des études, mais tant qu’elles privilégieront les carrières littéraires, le pouvoir ne changera pas de mains. [...] Arrêtez de penser qu’il y a d’un côté les maths et de l’autre le monde, c’est le contraire. Si vous choisissez de ne plus faire de maths, vous parlerez la langue des humains, mais vous ne parlerez plus jamais la langue du monde. » Que Nathalie Azoulai se rassure : elle parle la « langue du monde ». Mais Adèle dirait sans doute que c’est parce qu’à l’instar de cette Rachel qui lui ressemble tant, elle a fait beaucoup de maths et de physique quand elle était jeune...


Anna Cabana, Le Journal du Dimanche, le 16 janvier 2022



Deux amies de trente ans


La fille parfaite n’existe pas. C’est un mythe, ou une chimère, comnie l’impossible créature bicéphale née de l’amitié fusionnelle entre Adèle et Rachel. D’un côté, Adèle, la virtuose des équations différentielles, programmée depuis son plus jeune âge par son père, l’austère M. Prinker, pour briller au firmament des mathématiques; de l’autre, Rachel, issue d’une famille bien établie où l’on est littéraire « de père en fils, de mère en fille, de tous les côtés, alignés, croisés », destinée à reprendre le flambeau de cette lignée où l’on se paie de mots.


Amies depuis le collège, ces deux têtes bien pleines partagent la même blondeur dia phane, le même amour pour Freddie Mercury et Kathryn Bigelow, et la même volonté d’embrasser le monde dans sa totalité, au point d’unir leurs forces intellectuelles, envers et contre une société qui impose encore trop souvent aux femmes de choisir entre maternité, création et ambition. Elles sont comme deux hémisphères d’un même cerveau, les deux moitiés de l’androgyne de Platon.


Si Rachel, future romancière, évolue dans un univers propre à son genre, Adèle navigue dans un milieu réservé aux hommes, celui des écoles d’ingénieurs où elle se retrouve seule fille de l’amphi. Grande nageuse, elle fait une unique concession à la féminité stéréotypée quand elle se rêve en sirène. Mais, n’est-ce pas, là encore, désirer une queue, suggère Rachel. C’est elle la narratrice. Parce qu’elle est écrivaine. Mais surtout parce qu’elle est la survivante. Le livre s’ouvre sur le suicide d’Adèle, à 46 ans. Pendue. Avec pragmatisme, sans affects, Rachel retrace les trente ans d’une relation oscillant entre symbiose, rivalité et ruptures. Des intermittences du cœur au féminin comme la littérature en propose beaucoup depuis « l’Amie prodigieuse » d’Elena Ferrante, mais qui chez Nathalie Azoulai (photo), prix Médicis pour « Titus n’aimait pas Bérénice» (P.O.L) et traductrice de « Mrs Dalloway », se métamorphosent en une puissante aventure cérébrale, une plongée au coeur de deux consciences à laquelle l’écriture, fluide, tourbillonnante, donne tout son souffle. Du Woolf à très grande vitesse.


Elisabeth Philippe, L’Obs, février



Nathalie Azoulai, le vide d’Adèle


L’amitié de deux filles mues par le désir d’excellence, interrompue par le suicide.


I1faut un peu de dérision pour appeler son livre la Fille parfaite et risquer de s’exposer à la question-boomerang («C’est vous, la fille parfaite ?»)Si le dernier roman de Nathalie Azoulai n’est pas exactement poilant (dans la première page, la narratrice nous apprend la mort de son amie Adèle, 46 ans, retrouvée pendue chez elle), il a son humour à lui. Par exemple : «On l’invitait souvent dans notre maison du Perche, tout près d’Illiers-Combray. Nous lui parlions de Proust,elle se prenait pour Bloch, on riait.» Plus loin, c’est encore Proust qui offre la blague : souvenir du père d’Adèle s’étonnant qu’on lise la Recherche chez les Deville. «Régulièrement ?»Régulièrement. «Quoi, mais vous êtes abonnés ?» L’homme confondait l’oeuvre de Marcel et la revue scientifique du même nom. «Papa, corrigeait Adèle, Rachel parle du livre de Proust, A la recherche du temps perdu pas de ton magazine ! Chez les littéraires, on dit la Recherche, c’est comme ça.»


Mathématicienne réputée. Après la mort de son amie depuis plus de trente ans, Rachel se lance dans sa propre recherche, faisant mentalement chemin retour pour tenter de comprendre. Elles ont grandi en parallèle, relation fusionnelle. Adèle et Rachel, prénoms qui riment mais prédispositions différentes : l’une est littéraire, nourrie en famille à Shakespeare, Flaubert et aux débats sur la langue ; l’autre scientifique, logique, carrée, poussée par un père ingénieur aux mathématiques et aux parties d’échecs. «A quatorze ans, Adèle et moi, nous avons donc conclu une forme d’idéal: conquérir le territoire d’en face, l’autre moitié» et ainsi, à elles deux, couvrir «tout le spectre». Blondes et semblables comme des jumelles, leur amitié au long cours, intermittente, est cimentée par un même désir d’excellence. De fait, Adèle devient une mathématicienne réputée et Rachel, une écrivaine de premier plan. Les deux femmes sont plus que des personnages, ce sont des personnifications : à travers elles, Azoulai fait dialoguer lettres et sciences dites «dures» en bâtissant des ponts d’une rive à l’autre - métrique de la langue, poétique des mathématiques. Elle interroge aussi par leur truchement la question de l’orientation et du conditionnement, en particulier des jeunes filles: Adèle fait des maths comme Kathryn Bigelow fait des films, en étant la seule fille de l’amphi et pas mécontente de l’être. Bien plus tard, la même Adèle, invitée à fêter les 70 ans du père de Rachel, s’adresse aux petites cousines : les garçons, «sitôt qu’ils sont capables de tenir quelque chose, une petite voiture, une maison en Lego, n’importe quoi» on leur dit «vas-y, mon gars, fais-la marcher, démonte-la, construis-la, ta maison, et si ça ne marche pas, comprends pourquoi.» Adèle, elle, a construit sa maison, mais s’est semble-t-il enfermé à l’intérieur.


La rentrée d’hiver sied à la Fille parfaite, qui n’est pas un livre chaleureux et n’a, du reste, pas l’intention de l’être - «Nous sommes tous des morceaux plutôt durs aux arêtes coupantes», affirme Ludwig Wittgenstein en exergue, posant d’emblée l’ambiance maison. II s’agit d’un roman porté par une narratrice placide qui, à l’enterrement de son amie, pense à la «colonne lumineuse» qui la traverse face au cercueil, ce «Mister Freeze» que tout le monde ignore, sa nature secrète couleur vermillon. L’image est curieuse, elle reviendra : celle d’une friandise artificiellement colorée, témoin des années 1980et 1990 (leurs années de jeunesse) qui n’en reste pas moins un glaçon. On ne s’étonnera pas que les deux femmes aient choisi, avant le mariage de l’une des deux, les fjords de Norvège pour voyager, «devant les glaciers qui se découpaient sur des eaux bleu acier». La Scandinavie, pas loin du climat polaire, annonciatrice du polar à venir (Rachel mène l’enquête).


Fontaine d’or. Dans un tel ensemble, il y en a une qu’on n’attendait pas: c’est Virginie Efira. Quelques semaines avant son suicide, Adèle avait commenté la présence de l’actrice en couverture d’un magazine, la comparant à «une fontaine d’or, regarde comme elle jubile, elle est magnifique», remarque étonnante venant d’une femme telle que la scientifique réfrigérante. Quel sens donner au caméo? Pas Catherine Deneuve :Virginie Efira. Celle qui danse, rit, trinque, Efïra la nonne jouisseuse. On dirait qu’à quelques pages de la fin, le roman lui-même toise la star et paraît se dire, perplexe, fasciné, sans réussir à résoudre l’équation : qui est-elle ? Comment fait-elle ? Elle paraît si vivante. Parfait glacé, cœur fondant. ♦


Thomas stélandre, Libération, 12 février 2022


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Nathalie Azoulai, La Fille parfaite, La Fille parfaite Nathalie Azoulai

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Nathalie Azoulai, La Fille parfaite , Nathalie Azoulai invitée d'Olivia Gesbert France Culture 6/01/2022

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