— Paul Otchakovsky-Laurens

Touché

Pascalle Monnier

« Se donner des ordres à soi-même, comme Léonard de Vinci. Désobéir aux ordres que l’on se donne à soi-même, contrairement à Léonard de Vinci. Être exemplaire. Être ordinaire. Ne plus être soi-même, devenir ce que l’on rêve d’être. Abandonner toutes ses manies. »


Quelqu’un est réduit, après plusieurs fractures, durant plusieurs mois, à une immobilité forcée. Commence alors la « rééducation » aussi bien physique que morale : comment changer, s’amender, se débarrasser des regrets et des deuils, tenter de retenir ce qui doit l’être et...

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La presse


C’est une liste de confidences, de désirs et de recours qui se répand sans rien perdre de sa cohérence, serpente entre les écueils et les ressources d’une vie, se préserve des formes de surplomb pour être au plus près d’une conscience accrue de la fragilité de la condition humaine. C’est une double règle, d’abord celle du verbe à l’infinitif qui enclenche chaque phrase et convoque une action, la tension d’un ressort, une énergie compacte, mais aussi celle du neutre, de cette avancée dans la direction de l’inconnu et de la profondeur de l’indétermination. C’est une musique insistante, enveloppante, à l’issue imprévue qui enchaîne les variations et les récurrences sans céder sur la fermeté et la netteté de son fil conducteur tout en suscitant une constante évolution au fur et à mesure de sa progression. C’est un livre qui frappe sans faiblir pour « Ne plus chercher ni à plaire ni à déplaire ». Sans tomber dans les travers du biographique, Pascalle Monnier a touché juste, laisse poindre sans révéler, sans trahir, avec cet art de l’escrime caractérisé par la souplesse d’une écriture affûtée, la promptitude dans l’exécution, la précision aux parades, aux ripostes et à la retraite. Elle évoque la difficulté d’occuper une place, d’en définir les contours, d’en soigner les « blessures » et les « chutes » et d’en accompagner les relances. Elle suggère des constantes pour mieux les subvertir, rappelle la vicissitude de tout et incite à la persévérance « Ne pas espérer un autre monde, mais un monde autre. » Depuis le milieu des années 1990, Monnier publie peu, deux livres chez P.O.L, Bayart et Aviso ainsi que quelques collaborations avec l’artiste Laurent Saksik, la photographe Isabelle Waternaux et le musicien Arnaud Petit. Touché apporte sa pierre à cet ensemble, certes resserré, mais qui ne cesse de surprendre pas la finesse de sa résonnance.


Didier Arnaudet, artpress, mars 2023



Se donner des ordres à soi-même, comme Léonard de Vinci. Désobéir aux ordres que l’on se donne à soi-même, contrairement à Léonard de Vinci. Être exemplaire. Être ordinaire. S’inspirer de tous et de personne.


« Touché », le nouveau texte de l’écrivaine Pascalle Monnier, tient sur une soixantaine de pages. Il est faussement bref et vraiment dense. Chaque phrase contient beaucoup.


Sa forme est inhabituelle. Ni roman ni récit, « Touché » raconte pourtant bien une histoire. La lutte contre elle-même d’une personne qui se promet, en y croyant plus ou moins selon les humeurs qui la traversent, de se transformer, de s’améliorer.


Changer du tout au tout, ne plus être soi-même, devenir ce que l’on rêve d’être. Cette personne, c’est sans doute l’auteure, et dans ses aspirations, dans sa vaillance contrariée, nous tous. Elle consigne ses résolutions, ses envies, ses tâtonnements en enchaînant les phrases à l’infinitif, comme autant de caps à atteindre.


Lucidité, fil rouge


parfois drôles, souvent émouvantes, ces injonctions vont à l’essentiel. « Se libérer du deuil et oublier son enfance », « taire ce qui vous affecte mais qui n’affecte ni le monde ni les autres ». La lucidité est le fil rouge. «Comprendre que derrière le rideau, il n’y a rien à voir.  »


Avec l’infinitif, Pascalle Monnier, dont c’est le quatrième livre, choisit une forme assez douce. Il n’y a ni de « je » ni de « tu », et aucune obligation, juste un souhait fragile. L’infinitif pose un projet mais laisse la possibilité de ne pas aller jusqu’au bout. Il se situe plus du côté des « peut-être » que des « sans-doute ».


Aucune solennité non plus, n’allez pas imaginer qu’il s’agit d’un recueil d’aphorismes ou de maximes. Ces pensées défilent dans un même flux, vivant, changeant. Elles se percutent, se contredisent, car ainsi est le grand chaos humain.


 Touché », on l’est durablement par ce texte, et par ce qui affleure de la personnalité de l’auteure. L’humour, l’intransigeance (surtout avec elle-même), la rectitude.


Julien Rousset, Sud Ouest, mars 2023



« Touché » mais pas coulé


Un exercice spirituel à l’infinitif


D’abord, on craint d’écrire un article plus gros que le livre lui-même, lequel fait 64 pages, typographiées large. Puis on comprend que le texte est plus long qu’il n’en a l’air : on peut le relire dans un an ou la semaine prochaine, et chaque bout de page dure dans le cerveau, se prolonge, ramifie. Est-ce un manuel de bonnes résolutions pour ceux qui n’en ont pas ? Un traité de savoir-survivre (et puis mourir) façon Grand Siècle ? En voici un aperçu : « Ne céder ni à la résignation ni à l’exaltation./Ne rien comprendre à la métaphysique. Se replier sur les moralistes./Assister, dans la léthargie flottante provoquée par un séjour trop prolongé sur son ordinateur, à l’effondrement de l’ordre symbolique qui autrefois tenait le monde. » De brefs paragraphes (souvent une seule phrase) s’enchaînent comme des miscellanées, tous à l’infinitif. La plupart du temps, ces infinitifs ont valeur d’impératif, mais quelquefois, en douce et pour nous faire broncher, ils deviennent indicatifs (« Ne rien comprendre... ») traduisent la surprise ou bien vacillent entre les trois aspects.


Donc : ne rien savoir de Pascalle Monnier, sinon que Touché est seulement son quatrième livre en vingt huit ans. Mais c’est du concentré. Le titre évoque sur tout le mot « coulé » et ça tombe bien, il est beaucoup question de bataille, de désarroi et de lucidité là-dedans, avec ironie cependant. On soupçonne l’autrice d’avoir écrit pour des personnes un peu créatives et un peu honteuses d’avoir des affres existentielles : « Chercher son être non musical pour écrire et vivre, tuer le musicien en soi, selon Kafka. » Pour les personnes un peu culpabilisées aussi: « Ne pas penser que l’on tue à chaque fois que l’on ne s’efface pas soi-même. » Parfois, il y a des injonctions plus simples, mais pas forcément plus faciles à suivre : « Ne plus s’enticher de tout garçon ayant une mèche qui lui dissimule une partie du visage. » Ou alors, le faire de façon un peu réglée : « Passer sa vie dans le jardin anglais de Munich à regarder les jeunes gens surfer sur une seule vague. »


II y a quand même une sorte de structure, car des thèmes reviennent (parler avec les taxis, haïr le soir, écrire, observer les gens...) et que la fin du livre semble un précipité de tout ce qu’il y a dedans, comme une urgence à trouver l’exercice spirituel ultime. L’ensemble est mû par un moteur à deux temps, celui de la contradiction, énoncé dès le début : « Se donner des ordres à soi-même, comme Léonard de Vinci./Désobéir aux ordres qu’on se donne à soi-même, contrairement à Léonard de Vinci. » Et donc c’est drôle parce que toute accumulation provoque le rire et qu’il ne sert à rien de « retourner le scalpel contre soi. Constatant qu’il est émoussé et ne tranche plus rien ». D’ailleurs, « ne pas oublier quand on pleure un mort que Marie-Madeleine a pris le Christ pour un jardinier ». Le sérieux n’est pas la meilleure des consolations, il vaut mieux le liquider. Bref, « se déprendre d’un moi qui n’a pas de place entre le nous et le rien ».


Éric Loret, Libération, février 2023



« À la frontière », un article de Christian Rosset à propos de Touché de Pascalle Monnier, à retrouver sur la page de Diacritik.

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