— Paul Otchakovsky-Laurens

Silésie

1970

Jean-François Stévenin

Jean-François Stévenin, mort l’année dernière, avait tâté de tous les métiers du cinéma. Il est connu pour avoir joué dans plus d’une centaine de films, et réalisé trois films : Passe Montagne, Double Messieurs et Mischka. En 1970, il avait accompagné le réalisateur allemand Peter Fleischmann sur le tournage de son deuxième film Les Cloches de Silésie, l’un des premiers films de fiction traitant d’ökologie – comme l’écrit Stévenin.
Il tiendra le journal de cette expérience et de cette aventure, qu’il enverra 46 ans plus tard à Yann Dedet, le qualifiant...

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La presse


Le Principe du clap, Silésie. 1970 (Positif)


Pourquoi rendre compte de manière conjointe d’ouvrages de Yann Dedet et de Jean-François Stévenin ? Sans doute parce que le premier fut non seulement le monteur de Passe montagne et de Double messieurs mais surtout l’ami du second, rédigeant la préface du curieux objet qu’est Silésie 1970. Ce journal du tournage des Cloches de Silésie (Das Unheil), de Peter Fleischmann, a été enregistré au magnétophone dans la chambre d’hôtel de Stévenin, souvent après minuit, entre la mi-août et la fin septembre 1970. La forme orale permet de plonger sans médiation dans le Zeitgeist des années 1970 commençantes (les joints circulent, Hendrix meurt, le marxisme n’agonise pas encore...), où les mots de rigueur, d’anticipation et d’organisation avaient des connotations fascistes... Le chaos journalier n’était pas pour désemparer un assistant réalisateur qui avait auparavant travaillé avec Rivette et Rozier, mais l’atmosphère épique dépeinte avec force effets de réel tient tout autant du happening que du « monôme anar ». Écriture du scénario au jour le jour, choix des comédiens à la dernière seconde, départs d’acteurs sans rôle pendant un mois, psychodrames divers... Le pandémonium initial, que l’on croirait écrit par Strindberg et retranscrit par Zulawski, ne laisse place à un minimum de pragmatisme qu’à la suite des démissions successives des incompétents, de sorte que Stévenin se voit occuper les fonctions de script, régisseur, premier assistant et, finalement, de coréalisateur. Le livre refermé, demeurent en tête les portraits pittoresques des notables de Wetzlar, dans le prospère Land de la Hesse, une bourgeoisie pas tout à fait dénazifiée et tout à la griserie du miracle économique. Les éboueurs sympathisent avec les gérants et clients grecs de l’Akropolis, où coule à flots le retsina, pendant que des quintaux de déchets sont déversés sur les gazons proprets des villas, sans l’assentiment de leurs propriétaires, et que les producteurs de la United Artists s’aventurent à passer une tête sur le tournage. La forme brute (imitations de Johnny Hallyday et de Jean-Paul Belmondo) conservée dans la dactylographie donne l’impression d’être partie prenante de cette odyssée délirante en milieu corseté. Rien de tel dans l’ouvrage de Yann Dedet, dont l’écriture d’orfèvre marie introspection, anamnèse et encyclopédie. Le plus célèbre monteur français revient sur son apprentissage de jeunesse en documentant avec la passion intacte du novice qu’il fut des laboratoires LTC des années 1960 et leurs multiples corps de métiers : le service sensitométrie, le tirage des positifs, le service synchronisation, le service Truca, etc. On apprend au passage ce qu’est une « Lily », à savoir la charte des couleurs filmée juste à côté d’un visage, pour étalonner le plan. Cette initiation à l’« aval » d’un film, à partir duquel allait se décider la vocation de monteur, s’entrelace de rêveries autour des égéries féminines guidant le très jeune homme dans les arcanes de l’incontournable laboratoire de développement, acquis au communisme et à la CGT, qui font de cette introduction aux Moritone et à l’acétone une sorte d’éducation sentimentale aussi poétique qu’envoûtante. Cette manière d’hybrider technique et émotions se retrouve dans la seconde section du livre, où la nosographie (le journal de bord d’une intervention chirurgicale) se mâtine de réminiscences amicales et amoureuses, où le cinéma que l’on fait ou que l’on admire n’est jamais très loin, comme s’il se confondait avec la vie organique. Mais n’est-ce pas, pour tout cinéphile, la définition qui s’impose ?


Baptiste Roux, Positif , juillet-août 2023

Agenda

Samedi 27 avril à partir de 11 heures
Rencontre autour de Jean-François Stévenin au cinéma du Panthéon (Paris)

Librairie du cinéma du Panthéon

15, rue Victor Cousin
75005 Paris

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