— Paul Otchakovsky-Laurens

Chino fait poète

Christian Prigent

Chino fait poète s’inscrit à la suite de quatre livres publiés chez P.O.L. Leur personnage central est l’alter ego de l’auteur. Les Enfances Chino (2013) a évoqué ses commencements ; Les Amours Chino (2016) sa vie érotique ; Chino aime le sport (2017) ses engouements sportifs ; Chino au jardin (2021) quelques lieux émouvants de sa vie. Devenu un vieil homme, Chino fait du rangement dans sa tête : où fut, pour lui, l’essentiel ? quelle était au fond sa question ? Seul le mot « poésie » lui fournit une réponse : sans doute n’a-t-il jamais écrit que pour savoir ce qu’est le langage...

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La presse


Avec Chino fait poète, Christian Prigent place le travail sur la langue à un haut niveau d’intensité, toujours marquée par l’ironie et aux fortes implications politiques.

Christian Prigent, l’un des écrivains majeurs que compte aujourd’hui la langue française, publie Chino fait poète. Ce livre clôt un cycle de cinq volumes entamé en 2013 avec Les Enfances Chino (tous aux éditions POL), alternant roman, roman en vers et recueil de poèmes. Sans être platement centré sur la personne de l’auteur, ce cycle est très empreint de son parcours (biographique, intellectuel, fantasmatique...). Au sein de ce nouveau recueil figurent des poèmes sur ses années de formation et de jeunesse poétique ou sur ses amis écrivains, ainsi que des ensembles intitulés « Chino à la falaise » ou « Chino au bocage », parce que le rapport aux paysages ou à la nature est intrinsèquement lié à l’élan poétique. Mais, chez Prigent, cet élan-là est toujours dénué de naïveté. L’ironie et l’entreprise de dé-romantisation caractérisent sa manière. Ainsi, ses poèmes incluent les algues vertes (« Gare aux/colibacilles c’est le flot/son ourlet (purin d’ulve & fuel?)/ savoir quoi ou qui il roule »), les formules chimiques des atomes constituant les matières (« CH4 ») ou les excrétions naturelles (« Que sur les graminées ne bave/nul jus céleste ou de betterave/mais l’amoureux coulis/de ton pipi »).

Savante et prosaïque, drôle et angoissée, musicale et dissonante, l’écriture poétique de Christian Prigent cristallise tout ce que la langue recèle pour en faire une substance inflammable, explosive. Peu séductrice mais offrant matière à réjouissances (on rit de toutes les couleurs : noir, jaune...), elle fraie du côté de l’« immonde », du monstrueux, là où le danger se tient, au bord de la falaise où l’effroi du vertige peut mener au ridicule tragique d’une chute.

Il n’empêche que le grotesque n’exclut pas la gravité ou la mélancolie. Ainsi Chino fait poète s’achève sur un testament – farcesque mais tout de même. Et au détour d’une page on tombe sur ce court poème intitulé « Voilà les morts » : « Désormais nul ne s’écorche/aux rosiers sous le porche/zéro pluie sous la grille on n’attend/personne ils sont morts à présent/la maison la mort la mort ma maison/mmmm mercy ô maison/ô mort larmes montées de sol/à ciel via les socquettes ô bol/d’écœurement serre dessus le poing/et stop: motus - à demain ! » […]

Christophe Kantcheff, Politis, le 07 mars 2024. Retrouver la suite de l’entretien sur l’article de Politis.



L’écho de Villon

Quoi de plus beau qu’une falaise quand on veut « faire poète » ? C’est ainsi que Chino s’offre au lecteur dans le nouveau livre dont ce personnage, double de Christian Prigent, est au centre. Après les Enfances Chino (2013), les Amours Chino (2016), Chino aime le sport (2017) et Chino au jardin (2021), voici Chino fait poète. On devine ce que ce recueil porte de souvenirs. En attendant, voici Chino sur une falaise, à « 8 h, aux doigts de rose » comme le veut la formule. Le sentiment de la nature n’est-il pas le bagage obligé de qui veut « faire poète » ? Mais, plus qu’une enfilade d’images, c’est à une expérience à la fois sensorielle et scientifique, qu’il se livre. Formules chimiques – algues en décomposition – inventaire géologique, « zoom sur la botanique », aperçus météorologiques, perspectives sportives et rêveries zoologiques sur la « possibilité du calmar », le réel, y compris celui du casse-croûte de midi, sait imposer sa présence.

Ces quatrains en assonances, sensibles et ironisant un peu sur un imaginaire convenu – et qu’on retrouvera dans Chino au bocage – servent de mise en place, à un retour sur « un peu d’histoire », celle d’un Chino qui a voulu faire poète. Découvertes et rejets, luttes politiques, portraits d’amis, Christian Prigent donne ainsi quelques moments où s’élabore une langue poétique, qui, comme il le dit par ailleurs, cherche le « glissement de phrase à phrasé », qui se met à l’épreuve d’un « Testament Chino » où s’entend un lointain écho de Villon.

A. N.,L’Humanité, le 07 mars 2024



Matière et mémoire

Après Les Enfances Chino, Les Amours Chino, Chino aime le sport et Chino au jardin (P.O.L, 2013, 2016, 2017 et 2021), voici que Chino fait poète. Chino -François en gallo (une des langues de Haute-Bretagne), nous apprenait un précédent livre – est l’alter ego de Christian Prigent, une sorte d’auto-personnage à travers lequel il revient de façon excentrique sur sa vie; excentrique, car bien éloignée des formes classiques du récit de soi, autobiographie ou mémoires. Les Enfances Chino évoquait l’enfance et l’adolescence de l’auteur à Robien, un quartier populaire de Saint-Brieuc, et contenait nombre de souvenirs et d’anecdotes, faisant exploser la narration dans tous les sens, désarticulant la syntaxe pour se mettre au rythme de la pensée, de l’imaginaire et des fantasmes de cet âge, bousculant les légendes et l’ordre du discours. Si les volumes du cycle des Chino sont souvent sous-ti- trés « roman », ils peuvent être en prose ou en vers ou mélanger les deux. Ici, Chino « fait poète », donc les pièces sont en vers, et rimés s’il vous plaît.

La matière de Chino fait poète reste autobiographique: à 15 ans, les premiers poèmes sont montrés à maman, deux ans plus tard il faut aller chez le psy, en 1968, la poésie est sur les murs, Chino devient maoïste en s’opposant au communisme de papa, il feuillette des revues, « ça rythme il paraît l’action ». Un an plus tard, il publie son premier recueil. Christian Prigent crée avec Jean-Luc Steinmetz TXT la même année, à Rennes – Chino aussi semble-t-il, dans un éclat de rire « carnavalesque », selon l’éditorial du premier numéro de la revue, lancé à la face du vieux monde que tous, à ce moment-là, veulent laisser derrière eux.

Pendant plus de vingt ans jusqu’en 1993 –, les questions théoriques les plus stimulantes posées par la poésie, les expérimentations les plus extrêmes et les plus antilyriques y sont accueillies. En 2019, trois poètes, Bruno Fern, Typhaine Garnier et Yoann Thommerel, ont décidé de redonner vie à TXT pour ouvrir une place, aujourd’hui encore, à des écritures excentriques, à des auteurs et autrices qui sortent des normes habituelles de l’édition. On ne parle plus aussi facilement d’avant-garde que dans les années 1970, mais on continue à avoir des postures critiques et à s’opposer aux écritures tranquilles, dépourvues de toute audace formelle. Christian Prigent, comme plusieurs de ses compagnons de route de l’ancien TXT – Jean-Pierre Verheggen, Eric Clémens, Jacques Demarcq, Alain Frontier, Pierre Le Pillouër, Liliane Giraudon- en sont désormais les figures historiques, mais pas dépassées.

La poésie est d’abord un travail sur la langue, dans toutes ses dimensions sensibles, signifiantes, mais aussi historiques et sociales. « On peut peu mais au moins ça. » La typographie, le dessin, le gribouillage, la disposition des poèmes sur la page, les cadences, tous les moyens sont bons pour trouver un espace d’expression, même après que beaucoup de ses prédécesseurs ont donné congé à la poésie. « La poésie-merde pour ce mot », avait écrit Francis Ponge (1899-1988), sur lequel Prigent a autrefois fait une thèse. Il n’est pas dit que Chino fait une thèse, mais celui-ci découvre à son tour la haine de la poésie presque en même temps que la poésie elle-même: «En ces années fin des soixante/ le robinet poétique goutte /après mai un jus de déroute/ d’où du moisi dans les soupentes (...) on s’asphyxierait pour des plombes/ à pomper ce zéphir de tombe/ les cadavres sont dans leurs bouches/ faudra des muses plus farouches.» La récusation ne rend que plus vif le souci poétique, qui a à voir avec le rapport symbolique que les humains entretiennent avec le monde dans lequel ils vivent.

« Faire poète », c’est donc s’insurger contre les normes de la représentation et du discours qui ne disent rien de l’expérience particulière que chacun fait de sa propre vie. Les moyens trouvés par Chino-Prigent sont l’humour, la trivialité, la traversée des langues « basses », de tous les lieux et temps de la langue, le carnaval. Ils sollicitent un véritable engagement corporel de la lectrice et du lecteur. En se laissant faire, on comprend presque physiquement que le langage pour l’écrivain est une matière aussi chimique, solide et liquide, que la peinture pour le peintre. La matière, la nature des choses, est d’ailleurs la grande affaire de cette poésie: le monde avec rien derrière ni devant. Il faut lire par exemple cette « méditation ras le sentier », où l’on perçoit, « entre la crotte et la vipère/un détail d’orchidée : qu’on n’aille/ pas crabouiller ça disait mon père ».

Mais la proximité avec les choses qui s’inscrit dans la phrase drôle ou en déséquilibre laisse place aussi à la coupure et à la séparation : celle-ci s’exprime particulièrement dans le livre par les « saluts » aux amis morts ou encore vivants. Chino fait poète est aussi un livre pour dire salut ou, comme le dit le petit texte de la quatrième de couverture : « Les temps étant venus, legs des rogatons. Rideau. » Chino tire sa révérence. Vive Christian Prigent.

Tiphaine Samoyault, Le Monde des Livres, le 23 mars 2024


Agenda

Samedi 8 juin
Frédéric Boyer, Suzanne Doppelt et Christian Prigent à l'auditorium du Pavillon carré de Baudouin

Auditorium du Pavillon carré de Baudouin
121, rue de Menilmontant 
Paris 75020

 

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Et aussi

Christian Prigent, Grand Prix de Poésie 2018 de l'Académie française

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