— Paul Otchakovsky-Laurens

Ceux qui tiennent debout

Mathieu Lindon

« J’étais égaré dans tant de métamorphoses, un vivant qui tournait mort, un appartement qui s’accroissait, des vêtements qui ne m’allaient plus. Que ces vains ornements, que ces voiles me pesaient. Un événement neuf, puisque je n’avais assassiné personne de mes mains auparavant, et c’en était une cascade. Je naviguais en pleine originalité, y naufrageais. L’imprévisibilité contaminait tout, jusqu’à l’espace. La magie du direct, comme on aurait dit à la télévision, l’agressive, la haineuse prestidigitation du réel. »

 

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La presse

Mathieu Lindon, crime et survêtement


Ceux qui tiennent debout est un roman érotico-policier à connotation – résonance ? – naboko-borgésienne. Il y a aussi du Perec, car il y a un puzzle. Et puis, c’est le même éditeur. Du moins pour La Vie mode d’emploi : P.O.L. Il y a aussi un récit de résistance et une rêverie sur l’architecture. Proust est dans les habits retrouvés du temps. Mathieu Lindon a mis beaucoup de culture dans Ceux qui tiennent debout sans en faire pour autant un roman culturel : ouf. L’intensité dramatique est présente de la première à la dernière page, soutenue par un style sérieux, presque sévère, mais aussi souple, coloré, chaud et intelligent. L’auteur, dès qu’on a résolu une énigme nous en propose une autre. Ce qui s’appelle prendre soin du lecteur. Au début, il y a un meurtre. Réel ou fantasmé, c’est toute la question. Qui laisse planer sur le livre un doute énorme. Le narrateur a-t-il tué ou imagine-t-il qu’il la fait ? Ce qui est certain, c’est que l’auteur, sans doute dans les mêmes circonstances – fornication homosexuelle –, a imaginé, dans tous les détails, qu’il supprimait son partenaire. La scène est si bien racontée qu’elle semble avoir été vécue. Par Alain Pacadis, par exemple, dans le rôle de la victime. Après le crime, le narrateur découvre une pièce nouvelle dans son appartement, où il trouve tous les habits de son enfance : vieux slips, chaussettes trouées, duffel-coat, survêt. C’est la plus belle invention poétique du livre. Le pull-over que le narrateur portait le jour de son dépucelage raté par un quadragénaire dans le théâtre, la chemise qu’il a enlevée le jour de son dépucelage réussi par deux jeunes hommes dans un hôtel de la côte normande.

En arrière-plan, l’histoire de deux architectes tchèques ayant traversé cahin-caha, plutôt caha, le XXe siècle : Vaclav Vös et Jaroslav Bineck. Constructeurs fous d’immeubles pragois impossibles dans lesquels même la Gestapo, à leur recherche depuis l’assassinat d’Heydrich auquel ils ont participé, se perdra. Les nazis n’avaient pas le sens de l’orientation, sinon ils n’auraient pas été nazis. Mathieu Lindon s’amuse beaucoup à construire ces deux biographie farfelues. Elle se situe là, sa crise de nabokovisme néphrétique doublée d’une fièvre borgésienne carabinée. Il a un sérieux imperturbable dans lequel boutonnent en permanence les gros éclats de rire gras des Marx Brothers. Montre la délicatesse rare de ne jamais rien expliquer, mais ça ne l’empêche pas de conclure. Le livre se termine par une parabole mi-Joyce mi-gay : le cerf auquel on dit oui, oui, oui, oui, oui.

Qu’est-ce que le sexe ? Et la mort ? Et l’enfance ? Questions simples et ensoleillées autour desquelles la littérature tourne sans fin, sauvant à la foi les auteurs et les lecteurs par ses réponses cocasses, juteuses, insolites. Pas encore compris pourquoi le roman s’appelait Ceux qui tiennent debout, j’aurais plutôt mis Ceux qui tiennent couchés. L’auteur se distingue également pour avoir voulu jouer au mikado en ayant pris du LSD et rester, comme toute la génération baby-boom qui a vu le film a la télé, encore traumatisé par la scène de torture sous les ongles des Trois Lanciers du Bengale (Henry Hathaway, 1935).


Patrick BessonMarianne, 4-10 février 2006