— Paul Otchakovsky-Laurens

Puis gris que dilue du rose que brûle le bleu

Marc Cholodenko

À l’image de l’œuvre abstraite qui se réduit ou se déploie jusqu’au simple visible, ainsi devenue toute concrète, un texte a été abstrait de toute intention, réduit au simple lisible, à un lisible comme quasi visible, rendu concret comme un mur de pierres sèches posé nulle part, pour rien, séparant rien de rien, le pourquoi du pourquoi pas, entre les deux, un simple là.

Puis gris que dilue du rose que brûle le bleu poursuit cette recherche à laquelle se voue Marc Cholodenko, obstinée et méthodique, radicale, désespérée mais lumineuse, d’une écriture qui ne serait que pensée, une pensée pure,...

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La presse

Marc Cholodenko : un poète parmi les hommes


Article consultable sur le site de Diacritik

Johan Faeber, Diacritik, octobre 2015



Portrait de l’écrivain en espion


Le texte de Marc Cholodenko est une perpétuelle mise en abyme où « l’absence établit la souveraine adorable évidence.  Mais l’inverse est tout aussi vrai. Le livre devient une œuvre où se mêlent le concret et l’abstrait, le dehors et le dedans, les formes et les couleurs. Le lisible se veut le visible et le visible lisible en une quête désespérée où la pensée se construit par la création d’une poésie forgée de courants et d’une pluie de détails. Ils prouvent que toute formule ou genre est impossible et qu’il n’y a pas de règle. Sinon qu’à chercher trop de précision, la vérité s’éloigne.
Puis gris que dilue du rose que brûle le bleu devient le relevé d’une « aventure » existentielle à la figuration infigurable. L’écriture s’efface dans le temps même où elle s’engendre ; en surgissent des densités déviantes de formes. Elles prennent de la hauteur en se chevillant, en se noyant dans la matrice de la page où elles se cristallisent. Chaque segment grouille, agité d’un mouvement particulaire qui le relie aux autres. Le texte représente donc le lieu d’enfermement et d’ouverture où quelque chose « ne colle pas ». L’écriture en effet n’adhère plus aux apparences du monde puisqu’elle propose un décalage du motif au sein d’un décrochement visuel. La « réflection » se brise. Cholodenko la détruit, la reprend, la retape, la détruit. Le lecteur n’est jamais confortablement installé car le texte produit un vertige, une fascination. Il atteint aussi une sincérité totale et une forme de perfection dans des zones de paradoxales précisions éloignées de toute « vérité », globale. Dans son abstraction programmée voici le livre clandestin qui espionne le monde.


Jean-Paul Gavard-Perret, Lelittéraire.com, février 2014



Quelque chose bleu


On lit les phrases inimaginables d’un livre qu’on n’imaginait pas lire, dont même le titre menace de s’effacer. Qu’est-ce qu’on lit ?


On ouvre un livre dont nous surprend le titre. On a déjà croisé le nom de son auteur, sans plus s’y attarder. On repoussait à plus tard de le lire. On sentait bien qu’il y avait quelque chose de ce côté, on n’aurait pas su dire quoi, mais quelque chose aussi nous retenait, on ne saurait pas dire plus. Toujours est-il qu’on se retrouve avec ce livre entre les mains, on lit la première phrase et quelque chose se passe qu’on n’imaginait pas. Tiens, se dit-on. Tiens, tiens. C’est quoi ça ? On lit la première phrase et ça y est. C’est d’abord un très léger décalage, une sorte de soubresaut, on dirait le soulèvement du cœur au passage d’un dos-d’âne. Que se passe-t-il ? On va lire ce livre pour savoir ce qui se passe, pour tenter d’en savoir un peu plus sur ce qui s’est passé dès les premières phrases. On va lire phrase après phrase et avec un égal étonnement, on va lire toutes les phrases du livre pour tenter de comprendre comment il se fait qu’une phrase à ce point nous égare, dans un mouvement subreptice, un glissement de presque rien mais qui, de presque chaque phrase, fait comme une menue défaite de la conscience, une sorte de poème à elle toute seule ou une brèche, un écart ou un rapt, une expérience limite au cœur de l’ordinaire.
Imaginons un murmure, un murmure de phrases, il faudrait prêter l’oreille à ce qu’on ne perçoit pas très distinctement et qui cependant nous touche, dans le peu qu’on en perçoit distinctement, dans ce qu’on pressent de ce qu’on pourrait comprendre si on pouvait n’être plus soi-même le lecteur de ce livre ou un tout autre lecteur, qui se découvrirait autre, là ou il croyait se retrouver, s’y retrouver, dans un très léger changement de perspective qui suffit à tout bouleverser. Imaginons un murmure, disions-nous, nous lisons un murmure de phrases pas toujours très compréhensibles, comme dans certains rêves il nous arrive de lire les lignes d’un livre dont le sens s’efface à mesure de son apparition, ne dure que le temps de cette apparition et encore, pas toujours. Imaginez, vous assistez au surgissement de phrases dont il ne reste à peu près rien que leur éloignement, vous croyiez avoir saisi quelque chose mais c’est trop tard, ce ne fut qu’un mouvement vers quoi ? Vous assistez à la disparition de ce qui est advenu sans mesure ni modèle. Vous croyiez savoir lire des phrases et une phrase ne ressemblait à aucune phrase. Vous lisez en essayant de saisir le moment d’un basculement. Il y a dans chaque phrase un glissement vers une autre phrase que la phrase que vous lisez, comme un décentrement. On ne voit pas qui peut avoir écrit cela sinon personne, à un moment on a lâché prise, on n’avait pas le choix et puis on est quand même retombé sur ses pieds, plus ou moins, on devenait de plus en souple alors on continuait sa lecture, on s’arrêtait sur des phrases ou tout devenait plus clair, d’une clarté désarmante « Désorienté la nuit dans un quartier mal connu espérer prolonger cet état d’hypothétique déréliction jusqu’à franchir le seuil abstrait indifféremment originaire ou final au-delà duquel étranger à tous privé de tout recours être seul au monde avec son cœur. »
On lisait une suite de phrases qui parfois bifurquaient vers une abstraction rêveuse et sans figure, un pur mouvement et pour aller où ? On lisait des gestes dans l’air. On ne lisait pas rien. Cela faisait d’étranges mouvements de danse sans danseur, des événements comme fixer le ciel pour y voir quoi, ou penser ce que c’est que penser sans autre chose à penser que ce que c’est que penser, par exemple. Il y avait aussi des instants saisis pour ce qu’ils sont dès lors qu’on s’y attarde, des moments nus, radieux et nus. Il y avait le bruit de la pluie parfois, des lumières qui se font dans un rythme et puis à un moment la mer étale au loin, ce genre de choses. Il y avait des effleurements et des suspens, des épiphanies plutôt anodines et sans rémissions, des sortes de fulgurances saisies au ralenti comme dans une transe. On se retrouvait un peu au-dehors de ce qu’on lisait, dans un espace autre et pourtant le même.
On commençait de lire Puis gris que dilue du rose… de Marc Cholodenko, … que brûle le bleu, concluait le dos du livre. On relisait le titre plusieurs fois de peur que le sens nous échappe, on se demandait ce qui brûlait le livre sinon le bleu d’une phrase. On commençait de lire et savait-on aller jusqu’au bout de ce qui s’ouvrait là, sous nos pieds ? On lisait toutes les phrases du livre dans l’idée de n’en lire qu’une, de la lire jusqu’au bout, jusqu’à ce point ou tout se défaisait dans une sorte de clarté trop grande, quelque chose comme ça. On lisait toutes les phrases et n’en aurait-on lu qu’une seule, se disait-on. On lisait une phrase et à un moment plus rien ou presque.


Xavier Person, Le Matricule des anges, mars 2014

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Marc Cholodenko, Puis gris que dilue du rose que brûle le bleu, Puis gris que dilue du rose que brûle le bleu février 2014