En 1976 Marc Cholodenko obtenait avec Les États du désert le prix Médicis. C’était son deuxième roman après Le Roi des fées qui avait en 1974 défrayé la chronique en subissant les foudres du ministre de l’intérieur de l’époque. En 1979 il publiait, chez Hachette P.O.L son troisième roman, Les Pleurs ou le Grand Œuvre d’Andréa Bajarsky. Ambitieux, profus, luxuriant ce texte n’obtint pas un succès comparable à celui des États du désert. Mais certains critiques, dont Chantal Labre, dans la revue Esprit, ne s’y trompèrent pas :
« Cela...
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En 1976 Marc Cholodenko obtenait avec Les États du désert le prix Médicis. C’était son deuxième roman après Le Roi des fées qui avait en 1974 défrayé la chronique en subissant les foudres du ministre de l’intérieur de l’époque. En 1979 il publiait, chez Hachette P.O.L son troisième roman, Les Pleurs ou le Grand Œuvre d’Andréa Bajarsky. Ambitieux, profus, luxuriant ce texte n’obtint pas un succès comparable à celui des États du désert. Mais certains critiques, dont Chantal Labre, dans la revue Esprit, ne s’y trompèrent pas :
« Cela démarre comme une parodie de roman proustien, gidien aussi bien : un mélange des Faux-Monnayeurs et de La Recherche, à mi-chemin du Luxembourg et du Faubourg Saint-Germain ; comme chez les susdits, une double narration : nous sont donnés à lire : 1) le journal d’Andréa Bajarsky, adolescente sur le berceau de qui les fées se sont penchées (beauté, richesse, singularité elle a tout) ; 2) les monologues des divers personnages qui gravitent autour d’elle ; parents, amis, relations. En fait, on le voit, narration non pas double mais multiple […]. Trop profondément intellectuelle, autonome et consciente de la médiocrité de son entourage pour « aimer », Andréa cherche à écrire et s’amuse à penser ; à la veille des vacances, la rencontre de Vanessa, belle, artiste et homosexuelle va la faire entrer dans le monde de l’abandon et du désir. Pas tout de suite : une sorte de répit lui est accordé, temps qui lui permettra de goûter pleinement, pour le quitter à jamais, le bonheur de la liberté et de la sensualité légère. Le destin s’accélère, en deux mois elle va vivre jusqu’au bout – jusqu’à la mort – une expérience absolue d’amour, de communication avec la nature et le monde, au sein de la solitude et de la déchéance matérielle. Avec, pour bruit de fond, l’étonnement mesquin de ses familiers, elle alternera une écriture maniaque, proche de la folie, avec des poèmes étranges et beaux, aux thèmes tantôt hautement lyriques – la Nuit, la Nature, le Temps – tantôt dérisoirement précieux, signe qu’elle habite désormais un lieu où nuit et jour sont deux faces de la même réalité. Puis au poèmes succèdent quelques lignes, des cris, la mort. »
Étrangement, paradoxalement, ce grand roman parvient à nous émouvoir profondément en usant de la parodie, une parodie qui s’affirme sur tous les tons, du plus fin au plus direct. Mais l’ironie et l’humour qui imprègnent le texte ne jouent pas seulement de la parodie, de la citation ou de l’imitation des grands aînés, ils s’expriment à travers une construction en miroirs où tout ne cesse de se refléter, personnages, situations, pensées et sentiment, références : au-delà même de la jubilation extrême qu’entraîne chez le lecteur l’étonnante virtuosité de l’auteur, il y a là un progressif effet de relativisation d’une efficacité et d’une gravité impressionnantes.
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Traducteur de Gaddis et dialoguiste de Garrel, étiqueté par certains « écrivains érotique », inconnu de beaucoup d’autres, Marc Cholodenko est aussi poète et romancier d’un grand oeuvre étrange. Singulier, ses Pleurs disent des corps et des voix, quelque chose qui se dérobe aux adolescences - et l’instant de leur vertige. Ce livre est un mystère : on se souvient de ses discours et délires presque proustiens, de son trouble qui dérive encore alors qu’on pensait son histoire sortie de nos mémoires.
Les Inrockuptibles, 26 mai 1999