— Paul Otchakovsky-Laurens

Les Événements

Jean Rolin

Les Événements est le récit d’une traversée de la France dans le contexte d’une guerre civile dont les enjeux, pas plus que les causes, ne seront précisés. Il ne s’agit aucunement, en effet, d’un ouvrage de prospective ou de politique-fiction, mais d’une tentative de description d’un pays « normal » (comme son actuel président), soudainement confronté à la violence, à la destruction, à la pénurie, et plus généralement à une perturbation massive de ses habitudes et de son mode de vie. De telles choses arrivent, y compris dans le contexte de pays européens et relativement...

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Les Evènements



La France se déchire et le narrateur tient son journal de guerre. On ne saura pas ce qui l’a conduit là. Mais on le suit dans sa dérive, rêveuse et inspirée.



Le décor est familier, mais, comment dire... Le voici dans un drôle d’état. En grand désordre. D’emblée la raison de ce chambardement nous est révélée par le narrateur « c’était un des petits plaisirs ménagés par la guerre, à sa périphérie, que de pouvoir emprunter le boulevard Sébastopol pied au plancher, à contresens, et sur toute la longueur. » Ainsi donc, c’est à Pairs, et c’est la guerre, apprend-on dès la phrase inaugurale des Evénements. Des combats ont lieu, et en dépit d’un cessez-le-feu fragile, ce n’est pas terminé, la traversée de la France qui va suivre le confirmera. Car il n’y a pas que la capitale qui soit en état de siège : c’est tout le territoire que continuent de se disputer l’armée régulière, les milices diverses et variées (les unes d’extrême droite ou d’extrême gauche, d’autres confessionnelles, chrétiennes et musulmanes) qui ont pris les armes, les snipers dont on ne saurait trop dire de quel camps ils sont et pour quelle cause ils tirent... tout cela sous le regard des casques bleus (notamment ghanéens et finlandais) dépêchés par les Nations unies, des organisations humanitaires et des reporters de guerre.

Mieux vaut préciser dès maintenant, avant que surgissent les interprétations hâtives : Jean Rolin n’est pas un oracle, un romancier plus ou moins revendiqué prophète ou visionnaire, dont l’anxiété face à un avenir incertain et ressenti comme lourd de menaces sécréterait des fables anticipatrices. Non, Jean Rolin est plutôt du côté des rêveurs. Résolument, depuis longtemps, par nature. De livre en livre, de façon tout ensemble cocasse et hautement mélancolique, c’est toujours sur l’Histoire, le destin individuel et collectif des hommes qu’il médite sur la Chute, sur les ruines, sur un présent désenchanté, comme effondré et essoré de toute utopie. Ce désenchantement trouvant à se cristalliser autour d’un certain nombre de motif récurrents : la guerre et ses paysages dévastés donc, aujourd’hui dans Les Evénements comme déjà, il y a quinze ans, dans Campagnes (2000), ailleurs les friches urbaines et les terrains vagues (Zones, La Clôture), les installations industrielles minées par le déclin (Terminal Frigo), ou encore les chiens naguères domestiques et retournés à l’état sauvage après la fuite ou la disparition des humains (Un chien mort après lui) Répertoire non exhaustif de thèmes et d’images avec lesquels Jean Rolin compose ses tableaux, en quelque sorte à la façon dont jadis les peintres de vanités disposaient crânes, pétales fanés et bougies consumées à la surface de leurs toiles.

Les allégories rêveuses de Jean Rolin ont cette singularité d’êtres tracées d’un trait minutieux, pour ne pas dire hyperréaliste. S’il demeure volontairement imprécis sur le déclenchement et les arrière-plans idéologiques de cette guerre civile franco-française, c’est avec exactitude qu’il en décrit les opérations et les effets (villes détruites et plus ou moins brutalement désertées, exode de la population, ouverture de camps de réfugiés...), évoquant et convoquant nombre de conflits contemporains notamment ceux du Liban et de l’ex-Yougoslavie, que l’écrivain a couverts en tant que reporter de guerre. Par ailleurs, on pourrait sans peine suivre du doigt sur la carte de France l’itinéraire emprunté par le narrateur des Evénements, quittant Paris pour emprunter la Nationales 20 à Chilly-Mazarin, direction Châteauneuf-sur-Loire où l’attend un ami de jeunesse devenu chef de guerre, passant par Etampes, Bonzonville-en-Beauce, Pithiviers...
Il est tout naïf, ce narrateur sans grandes convictions politiques et aux motivations énigmatiques. Il avance avec circonscription, se souciant d’éviter barrages et embuscades, assez aguerri à ce jeu pour trouver toujours le temps de regarder autour de lui, de scruter les topographies et les paysages, relever l’existence du moindre ruisseau, la couleur des champs et celle des fleurs, observer partout les oiseaux, grues cendrées merles et bergeronnettes. Il ira finalement jusqu’à Marseille, pour des raisons qu’on ne dira pas ici car on n’a plus de place, et que de toute façon elles ne sont pas si cruciales. Et parce qu’en ces circonstances, autant qu’en temps de paix, le voyage en lui-même importe davantage, on le sait bien, que la destination.



Nathalie Crom, Télérama, Janvier 2015.



Jean Rolin sur les sentiers de la France en guerre

L’ancien grand reporter, qui a arpenté tous les conflits de la planète, imagine l’Hexagone a feu et à sang dans « Les Evénements », un roman burlesque et inquiet.



Ceci n’est pas une fable politique ou un roman d’anticipation à vocation ou prétention prophétique. Le lecteur ne saura rien des raisons pour lesquelles la France du proche futur où se situe Les Evénements, de Jean Rolin, a sombré dans la guerre -civile, opposant nombre de milices et poussant le gouvernement à s’établir sur l’île de Noirmoutier. La Finuf (Force d’interposition des Nations unies en France) est supposée faire respecter le fragile cessez-le-feu ; elle est composée essentiellement de militaires ghanéens et finlandais peu intéressés par « nos discordes civiles ». Le narrateur lui-même ne se passionne pas pour elles, les jeux -d’alliance entre les Unitaires (dits « Zuzus »), à la « coloration nationaliste voire fascisante, du point de vue de [leurs] détracteurs » et les islamistes du « Hezb » ne lui font même pas lever un sourcil. Il n’est d’aucun camp, il veut juste sauver sa peau et quitter un Paris à ce point métamorphosé qu’il est possible d’emprunter le boulevard de Sébastopol « pied au plancher, à contresens, et sur toute sa longueur » : « Un des petits plaisirs ménagés par la guerre, à sa périphérie », comme le disent les premiers mots du livre.

A la périphérie de la guerre, c’est là que l’on va rester tout au long des Evénements, tandis que le narrateur, chargé par une mystérieuse et ancienne maîtresse de retrouver leur fils, va traverser le pays en voiture (une vieille Toyota qui est une grande nouveauté chez Jean Rolin, spécialiste des aventures pédestres), puis à pied, de la capitale jusqu’à Port-de-Bouc (Bouches-du-Rhône), en passant par la Sologne, l’Auvergne. Une très vague mission que lui a confiée Brennecke, le chef des « Zuzus », un ami d’autrefois, lui permet de progresser à travers le pays. Autant Jean Rolin s’astreint au flou le plus complet sur les raisons de la guerre toujours à deux doigts de reprendre comme sur les motivations de son narrateur (qui cède la voix, à l’occasion, à un observateur non identifié au regard un brin plus goguenard), autant il déploie une extrême minutie dans la description des lieux traversés. Zones périurbaines dévastées par les combats, camps de réfugiés administrés par la Croix-Rouge, villes transformées par la pénurie, bois devenus des dépôts de munitions ou rendus à la nature.



Amère ironie


Ancien grand reporter (nombre de ses articles sont réunis dans L’Homme qui a vu l’ours, POL, 2008), qui arpenta tous les conflits de la planète pendant vingt ans et fut très marqué par celui survenu en ex-Yougoslavie, dans un pays si proche, à tous points de vue, de la France, Jean Rolin avait déjà imaginé cette situation de guerre dans la France contemporaine et en avait fait un court texte, « Cherbourg-est/Cherbourg ouest » (Dingos, Patrimoine, 2002). Plus abouti, Les Evénements transpose de la même manière des situations vécues ailleurs dans des endroits qui semblent aussi peu destinés aujourd’hui à abriter des batailles que Chilly-Mazarin, « le confluent de la Chalouette et de la Juine », le Livradois-Forez, la nationale 580. Sa phrase limpide et longue peut en même temps dire la désolation et pointer la burlesque bizarrerie du monde ; elle mélange la mélancolie et l’amère ironie. Au fil de ce livre de reportage-fiction, on pense à nombre de textes de Jean Rolin (La Clôture, Terminal frigo, Un chien mort après lui, POL, 2002, 2005, 2009), ainsi que, pour sa manière de décrire faune et flore, à La Traversée de la France à la nage, de Pierre Patrolin (POL, 2012). Mais si Les Evénements offre un épatant exemple de reportage-fiction, il est, aussi, une méditation inquiète sur l’impermanence des choses.


Raphaëlle Leyris, Le Monde des Livres, janvier 2015




Le grand chambardement

Jean Rolin embarque son narrateur pour une traversée d’une France à feu et à sang



Peut-on lire le dernier livre de Jean Rolin en faisant abstraction des événements des semaines passées ? Assez facilement, somme toute. Et cela, même si les Evénements, titre lourd de référents et sous-entendus historiques, met en scène une France contemporaine tiraillée par la guerre civile, où deux des nombreuses factions s’affrontant, puis formant une alliance de circonstance, sont les «Zuzus» ou unitaires nationalistes («voire fascisants»), et le «Hezb», parti islamiste dit «modéré». Dans le XVe arrondissement de Marseille, flotte çà et là le drapeau noir des jihadistes d’Aqbri («Al Qaïda dans les Bouches-du-Rhône islamiques»), lesquels se battent avec une coalition de mouvements d’extrême gauche établie non loin. Et pourtant, il faudrait le tordre en tous sens, ce livre, et même aujourd’hui, pour le dire annonciateur de quoi que ce soit, tant la prose de Rolin y est, comme à son habitude, tout occupée à décrire les marges, avançant dans une sorte d’apesanteur la détachant de son contexte, alors même que ses phrases s’attachent à décrire, avec cette minutie exhaustive qu’on lui connaît, la géographie traversée par son narrateur. Pas un élément de faune ou de flore locale, pas un prunellier en fleurs, pas une note de mésange charbonnière de cette France en guerre ne lui échappe.




Milice

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La situation politique, en revanche, n’est jamais abordée de front, et l’on ne saura à aucun moment comment et pourquoi ce grand bordel est advenu, ni s’il y a des bons ou des méchants. Tout juste apprend-on que le gouvernement est désormais établi sur l’île de Noirmoutier, et que les forces de la Finuf («Force d’interposition des Nations unies en France») patrouillent le territoire depuis Chilly-Mazarin. C’est ce contraste entre grande précision visuelle et désengagement du narrateur, ce dernier cultivant une sorte de nonchalance blasée, qui crée l’étrangeté tour à tour séduisante et déroutante des Evénements.

L’histoire est un prétexte à déambulations. Le narrateur est chargé par un vieil ami, Brennecke, désormais chef d’une milice établie à Salbris près d’Orléans, de lui apporter des médicaments depuis Paris. Le voilà donc, bienheureux possesseur d’une rare voiture, lancé, dès la première page, sur le boulevard de Sébastopol, «pied au plancher, à contresens et sur toute sa longueur» : « un des petits plaisirs ménagés par la guerre, à sa périphérie». Nous le suivons alors qu’il traverse campagne, villes, villages et zones suburbaines, tous et toutes étrangement vides, ces dernières abritant toutefois des constructions «d’une laideur familière», ou alors « d’une laideur plus spécifique, résultant d’initiatives individuelles et locales». Ce ton pince-sans-rire, qui n’est pas sans rappeler le détachement d’un Orwell lors de ses reportages de guerre, vient régulièrement piquer le texte.
Chemin faisant, le narrateur est à peine ennuyé par une Finuf constituée de soldats venus du Ghana et de Finlande, dont on voit bien qu’ils se contrefichent pas mal de la situation en France - « les Ghanéens discutaient entre eux d’un tournoi de football, en Afrique de l’Ouest, qui devait opposer prochainement leur équipe à celle de la Côte-d’Ivoire, et les Finlandais des difficultés qu’ils éprouvaient pour faire venir de la vodka Finlandia - l’une des meilleures, il est vrai -, ou telle autre délicatesse dont ils semblaient ne pas pouvoir se passer». Voilà donc ce qu’il adviendrait de nous, pense-t-on, si la France était soudain transformée en Yougoslavie des années 90. L’effet miroir est grinçant, et Jean Rolin, qui avait couvert le conflit en tant que grand reporter, s’offre ce petit clin d’oeil : le chauffeur de Brennecke se nomme Slobo.


Effroi.



D’autres légères péripéties s’ensuivent, dont des retrouvailles avec une ancienne maîtresse, et la recherche d’un fils peut-être imaginaire, qui poussent le narrateur plus loin sur les routes de France. Il sillonne des paysages d’autant plus menaçants qu’il n’y croise personne, ou alors une population vaguement hostile et désincarnée. Lorsqu’un habitant surgit près de sa voiture, le visage «tordu par une grimace de douleur, ou peut-être d’effroi», avant d’être abandonné à son sort par un coup d’accélérateur, c’est à une scène de film d’anticipation que l’on songe, la succession de tableaux esquissés ici s’apparentant d’ailleurs davantage à des paysages dévastés de films de genre qu’à de bruyantes scènes de reportage télévisé. Tout est amorti dans les Evénements, y compris l’impact des balles. Le livre semble suspendu entre deux eaux, énonçant un mode d’existence, une manière d’être en guerre (et de s’en détacher) empreinte de mélancolie.

Elisabeth Franck-Dumas, Libération, janvier 2015


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