— Paul Otchakovsky-Laurens

La Fille du père

Laure Gouraige

« J’avais donc dit, un jour mon père et moi nous nous fâcherons. »



« Ce que tu fais, c’est toujours comme cela avec toi, tu le fais pour mon bien. Comment, pourtant, me fais-tu aussi mal ? » La narratrice s’adresse durement à son père. Elle vient d’avoir trente ans et son anniversaire devient le prétexte pour interpeller le père. Elle voudrait pouvoir lui dire qu’elle entend enfin vivre sa vie librement. Mais cette perspective demeure confuse quand l’existence nous a été dérobée.


« Papa, je pense que nous allons nous fâcher. J’ai soutenu ton regard jusqu’au dernier mot, je venais...

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La presse

Fille à papa


Pour certains, le virage de la trentaine peut s’avérer cruellement destructeur. Un jour ou l’autre, les fantômes du passé ressurgissent et réveillent de vieilles blessures familiales. Dans un premier roman aussi saisissant que déstabilisant, Laure Gouraige se sert de l’écriture pour surmonter l’obstacle. Pour elle, c’est l’étrange sensation de ne jamais avoir été maître de ses choix qui a progressivement créé le malaise : « Je me suis rendu compte que j’avais passé mes trente premières années à essayer de répondre à une seule question : Qu’est-ce que ton père penserait de ça ? Il était temps de prendre mon envol et de me confronter à lui. Et comme je ne me voyais pas m’asseoir face à lui et lui dire que je voulais vivre ma vie, j’ai décidé de lui écrire. »


La jeune romancière fait voler en éclat toutes les barrières de la pudeur pour laver son linge sale en famille avec panache et style. Elle nous offre un voyage dans le temps aux sources de cette exigence permanente qui a peu à peu empoisonné leur relation. Le résultat est déroutant mais fascine. Le texte oscille entre le règlement de compte, le cri de colère et la déclaration d’amour, sans que jamais on ne parvienne clairement à avoir un avis arrêté. Et c’est là tout l’intérêt. Laure Gouraige bâtit son premier roman sur l’émouvante confusion des sentiments et livre un récit sublime sur la relation unique qui unit un père et sa fille.


L.D., Technikart, été 2020



Prendre l’ascendant


Une jeune femme se libère par l’écriture de l’emprise de son père. Un premier roman en forme de règlement de compte résolu, mais sans esprit de revanche.


« C’est pour ton bien », « si j’étais à ta place », ces phrases-là, enrobant insidieusement jugements et conseils, la Fille du père les a entendues sur tous les tons pendant trente ans, avant de trouver le courage d’affirmer ses propres aspirations. Car depuis l’enfance puis le divorce des parents, la narratrice vit sous la domination d’un père qui abuse de sa stature intellectuelle, de sa position d’autorité. C’est un tyran lettré qui porte aux nues la rationalité, l’exception, l’exigence, fixe le choix et la hauteur des barres à sauter. Un père qui raconte Socrate à sa fille de dix ans, en guise d’histoires du soir. Impose le latin dès le collège. Les études de philosophie comme seule voie possible. Qui sait où est le Vrai, le Bien, le Beau. Sa conception de l’éducation condamne sa fille à n’être qu’une projection, un prolongement narcissique, et nie son altérité. « Tu convoquais en moi les traits de tes désirs. » Sous couvert d’amour protecteur : « ne pas commettre d’erreurs, ce fut le projet de ta paternité ». Dans cet attachement asphyxiant qui exigeait au mieux l’obéissance, au pire la soumission, où les moindres élans d’indépendance étaient récusés, tout était rapport de force. Et le père gagnait toujours à la fin. Le premier roman de Laure Gouraige décortique cette relation fille/père en huis-clos, cette emprise psychique fondée sur un ascendant moral toxique, et décrypte le double processus d’écrasement et d’affranchissement en dénouant patiemment les liens qui ligotent. Mais la prise de conscience « Tu as bien été avec moi le pire des pédagogues » n’est pas seulement la dénonciation d’un chantage affectif pervers et le portrait à charge d’un maître qui refuse toute émancipation à son disciple. Pas plus qu’un agressif règlement de compte à sens unique. La fille regarde aussi en face sa servitude volontaire, ses approbations, et analyse comment, par peur de perdre et de décevoir, elle s’est longtemps rendue complice de l’oppression et a intériorisé sans contestation les injonctions paternelles. La fin des compromis, la sortie de l’enfermement arrivent lorsqu’elle poste, le jour de ses trente ans, son premier manuscrit à un éditeur sans en avoir informé son père. Qu’elle prend le risque de la rupture. « Avoir trente ans, c’est cela aussi, te regarder enfin et soutenir mon individualité. » Mais le chemin sera encore long. À chaque étape, ce sera un défi et une lutte. Néanmoins à l’arrivée, il y a ce livre, cette adresse au père, résolue, réfléchie, sans animosité revancharde , mais qui ose énoncer fermement un libérateur « c’est mon choix ».


Véronique Rossignol, Livres Hebdo, 19 juin 2020



Cette lettre au père commence fort : "Sur toi je ne peux pas dire que le beau." Que va-t-elle déballer d’abominable ? Juste la souffrance, jusqu’à l’asphyxie, d’avoir été élevée par un philosophe trop rationnel qui a "une curieuse manière de bien faire les choses" (même "les choses mal", il "les fait bien"). Comment devenir soi quand on vous condamne à la perfection ? "Peut-être aurais-je souhaité suivre des études minables, côtoyer des gens minables, avoir pour seule aspiration d’être minablement libre", résume "la fille du père", qui cherche à se sauver par l’écriture. Son premier livre, électrisé par l’urgence comme certains textes de Duras, est loin d’être minable.


Grégoire Leménager, L’Obs, novembre 2020



Retrouver l’article de Johan Faerber à propos de La Fille du père sur le site Diacritik

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