— Paul Otchakovsky-Laurens

Il y a quand même dans la rue des gens qui passent

Robert Bober

Le titre est une citation crépusculaire de Pierre Reverdy : « Quand la lampe n’est pas encore éteinte, quand le feu commence à pâlir et que le soleil se cache, il y a quand même dans la rue des gens qui passent ». Beaucoup de gens, morts et vivants, passent dans ces pages qui allient mélancolie et humour : des enfants, des amis, des artistes, des écrivains, notamment l’historienne Mona Ozouf, le romancier Éric Vuillard ou le street artiste Seth, alors que la vieillesse, la mort de la femme aimée, et la perspective de sa propre mort, ravivent en quelque sorte la mémoire et le désir de transmettre. Robert Bober poursuit ainsi sa lettre adressée à son ami...

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La presse

Ecrire c’est vivre


Robert Bober convoque les êtres qui l’ont marqué, et poursuit la conversation avec son feu complice Dumayet

La mort de Pierre Dumayet (1923-2011) n’avait pas mis un terme à la conversation entre l’écrivain, homme de télévision, et son complice Robert Bober. Neuf ans après celle-ci, l’auteur de Quoi de neuf sur la guerre ? (P.O.L, 1993) avait écrit à son ami une longue lettre devenue un livre merveilleux de délicatesse, de scrupule et d’intelligence, Par instants, la vie n’est pas sûre (P.O.L, 2020), dans lequel il célébrait les rencontres qui avaient façonné son existence. Dont celle avec Dumayet : ensemble, ils créèrent, entre autres, l’émission « Lire c’est vivre ».
Pourquoi leur échange se serait-il clos avec cet ouvrage? Peu après sa publication, Robert Bober a eu envie de reprendre la plume, de continuer à s’adresser à Dumayet, et de poursuivre cette promenade à travers ses souvenirs. De nouveau, II y a quand même dans la rue des gens qui passent parle beaucoup moins de son auteur que des êtres qui l’ont marqué et des écrivains qui l’ont nourri. De nouveau s’y côtoient texte et images - photos, dessins, montages, affiches -, articulation à laquelle il a dédié une partie non négligeable de sa vie.


Le motif de l’enfance

Occupé à ranger sa bibliothèque, où les livres voisinent avec les portraits de proches ou de personnes admirées, et à classer ses dossiers, cahiers de notes et agendas, il donne humblement à lire la fabrique de son livre, les hésitations, les temps de procrastination, la manière dont il perçoit les « concordances » qui lui permettent de passer d’une histoire à l’autre. II le fait avec une liberté dont témoigne aussi sa manière de glisser dans la lettre à Dumayet d’autres missives, telle celle qu’il adresse à Henri Beck, l’ami d’école déporté et exterminé, qui a inspiré Berg et Beck (P.O.L, 1999) à l’ancien enfant caché Robert Bober, ou un mot, avec une photo bouleversante, que lui a envoyé l’écrivain Marcel Cohen après la lecture de Par instants... D’autres auteurs vivants sont aussi invités dans les pages, et y commentent des photos : Mona Ozouf et Eric Vuillard.
Ce dernier écrit, dans le texte qu’il consacre à un cliché de Jean Moulin jeune : « Essayons de nous en tenir à l’enfance. » Si dans le « désordre » revendiqué du livre se distingue un motif auquel le texte revient toujours, c’est celui de l’enfance. De ce que l’histoire fait subir à celle-ci - qu’il s’agisse d’Henri Beck, du jeune Zozo, rescapé de la rafle du Vél’ d’Hiv, ou des petits Ukrainiens d’aujourd’hui dont Bober montre les dessins -, mais aussi de sa part d’« insubordination », de malice, qui peut demeurer chez un individu toute la vie.
Cette place accordée à l’enfance tire vers la lumière ce livre qui se range sous le signe du crépuscule dès son titre (issu d’un vers de Pierre Reverdy : « Quand la lampe n’est pas encore éteinte, quand le feu commence à pâlir, et que le soleil se cache, il y a quand même dans la rue des gens qui passent »). A cela concourt aussi la façon dont Bober considère la lecture et l’écriture comme des moyens d’abolir les distances entre les êtres, vivants et morts, d’entrer en relation. Tout le mouvement du livre est, ainsi, celui du rapprochement : commencé dans le contexte de la « distanciation sociale » obligatoire, il s’achève sur une scène fictive étonnante, où Bober, 92 ans, se figure son enterrement et imagine qu’il sera l’occasion d’une rencontre amoureuse entre des lecteurs.


Raphaëlle Leyris, Le Monde des Livres, 15 décembre 2023



ÉCLAIRER L’OBSCUR.


Ces réminiscences d’enfance, ces fragments de douleur et de douceur de Robert Bober illuminent hier et aujourd’hui.

« Il y a quand même dans la rue des gens qui passent » - magnifique titre emprunté au poète Pierre Reverdy – se présente comme une lettre écrite par Robert Bober à son ami disparu Pierre Dumayet. Ensemble ils ont réalisé des films, rencontré des écrivains, lu, souri; ensemble ils se sont réchauffés. Continuer de lui écrire, tout en rangeant sa bibliothèque, tomber sur une phrase soulignée ou une lettre oubliée, c’est se rappeler la voix de son cher ami. Par un étrange écho, c’est aussi nous donner à entendre la sienne qui s’adresse à ce que chaque lecteur a de plus intime, l’enfance ensevelie. Bober se souvient, se raconte : les années dans un atelier de tailleur, sujet de son premier livre, « Quoi de neuf sur la guerre ? »; Berg, son ami d’enfance éternel, petit voisin juif de la Butte-aux-Cailles découvert dans « Berg et Beck », dont on contemple la photo avec émotion. II y a aussi son copain Zozo qui, le 16 juillet 1942, avait couru le plus vite possible pour fuir le Vél’d’Hiv. « Ça court vite, un garçon de 14ans. Ça court vite surtout quand il ne se retourne pas pour voir ses parents une dernière fois parce que ça l’empêcherait de continuer de se sauver. Et, j’en suis sûr aujourd’hui, mes parents non plus ne m’ont pas regardé courir, pour ne pas attirer les regards vers moi. [...] Le vrai courage, c’est ça : ne pas regarder son enfant s’enfuir pour lui donner une chance de sur vivre. » La suite du destin de Zozo est aussi follement triste que notre époque parfois sans mémoire. La mémoire de Bober, elle, est si vive qu’elle rend tout vivant, George Perec, les enfants ukrainiens sur des photos, Elen son amour disparu, sa mère chantant la « Sérénade » de Schubert, Harpo Marx pour nous faire rire. Lire Robert Bober, c’est le rencontrer et, selon ces beaux mots d’Appelfeld, c’est « recevoir de lui quelque chose qui nous manquait ».


Olivia de Lamberterie, ELLE, 23 novembre 2023



À mesure que le temps s’amenuise, Robert Bober se souvient, offrant une flânerie fascinante.


Salut et fraternité selon Bober

Bien que ce ne fût pas sa profession que d’écrire, signale Robert Bober à la fin de son livre, il s’y attela comme pour ses précédents métiers - tailleur, assistant sur les films de Truffaut, réalisateur : « En les faisant. » C’est exactement ce qui était arrivé à son maître et ami Pierre Dumayet (1923-2011), qui avait appris la radio en la pratiquant au Club d’essai animé, après la Libération, par le poète Jean Tardieu.
Robert Bober a hérité de cette fantaisie studieuse, tout en la tempérant d’un voile longtemps indéfinissable mais que Dumayet avait su saisir : l’ombre portée de ce que la France n’appelait pas encore la Shoah. À bientôt 92 ans - il est né le 17 novembre 1931 et le jour même de ses 80 ans, Pierre Dumayet s’éteignit -, Robert Bober reprend le fil de sa conversation menée avec l’ami disparu, entamée avec Par instant, la vie n’est pas sûre (lire La Croix du 16 décembre 2020).
Dans cette nouvelle lettre au titre à nouveau délicieux et cette fois distrait d’un poème de Pierre Reverdy, II y a quand même dans la rue des gens qui passent, Bober décrit le monde tel qu’il va, au miroir de ce qu’il fut. Et ce, avec la bénédiction d’Aragon dûment cité : « Ce livre ne ressemble à rien qu’à son propre désordre. » Le tout est néanmoins agencé, à sauts et à gambades; au fil de la mémoire surgissant ou convoquée, des aléas du temps qui passe, des sanglots retenus.
La forme d’une ville s’avère l’un des leitmotivs : de la Butte-aux Cailles de son enfance à feu la rue Vilin qui abrita le petit Georges Perec et que Robert Bober ressuscita, au moyen de centaines de photographie, dans un documentaire magistral d’humilité empathique et de ténacité prométhéenne : En remontant la rue Vilin (1992).
Faire résonner l’absence, reverdir les béances, enchanter les éclipses d’une prose buissonnière, telle est l’approche douce, en tapinois, funambulesque, parfois souriante et souvent au bord des larmes, d’un écrivain soucieux de payer son éco.
Tissant un texte en regard d’images qu’il a choisies et qui ponctuent notre lecture, Robert Bober rend grâce à Delphine Horvilleur ou à Marcel Cohen, confère tout en finesse avec Mona Ozouf ou Éric Vuillard. II évoque par petites touches l’invasion de l’Ukraine. II plonge dans le « sentiment inapaisable » de la nostalgie à propos de Fréhel dans Pépé le Moko, ou de la voix maternelle. Sa femme Ellen est morte, apprend-il à Pierre. Et il nous quitte sur son propre enterrement, imaginé avec une justesse de ton qui serre le cœur.


Antoine Perraux, La Croix, 16 novembre 2023



Robert Bober, en vivant, en écrivant


L’écrivain et réalisateur rassemble des fragments épars dans une deuxième lettre adressée à son ami Pierre Dumayet, disparu en 2011. Un livre collage où les images sont aussi importantes que les mots.

Il y a trois ans, Robert Bober adressait une longue lettre à son ami Pierre Dumayet, disparu en 2011 à l’âge de 88 ans. Le livre, intitulé Par instants, la vie n’est pas sûre, s’achevait sur le projet de se rendre en Chine pour rencontrer sa petite-fllle, Anne, qui venait de naître, et l’espoir d’avoir encore une « parcelle de temps » pour lui raconter des histoires. À peine le texte publié, le virus du Covid est venu ériger un mur interdisant pour un temps les déplacements. Encouragé par le journaliste Vincent Josse, qui animait à l’époque sur France Inter le Grand Atelier, Robert Bober a décidé de poursuivre cette correspondance posthume. « Je vais donc faire comme si le Paradis existait après tout et continuer à écrire », promet-il à Dumayet, dont le portrait photographique apparaît à plusieurs reprises entre les pages, notamment à travers un montage où il semble comploter avec Harpo Marx.
Devenu écrivain à 63 ans après avoir appris le métier de tailleur et réalisé de nombreux films pour la télévision, lauréat du prix du Livre Inter avec Quoi de neuf sur la guerre ? Robert Bober est l’auteur de quatre romans. Avec Georges Perec, il a consacré un film et un album, Récits d’Ellis Island, à l’île new-yorkaise où transitèrent les émigrants venus d’Europe. « Comme le précédent, ce livre va sans doute ne ressembler à rien qu’à son propre désordre », prévient-il, citant Aragon. Livre collage dont le titre est emprunté à un poème de Pierre Reverdy, II y a quand même dans la rue des gens qui passent est un puzzle d’images jaillies de la bibliothèque de l’auteur ou de ses longues flâneries parisiennes.


RELIER ET METTRE AU JOUR

Traçant un chemin à travers sa vie, ses livres et ses films, Robert Bober confronte le passé et le présent, le réel et la fiction, dessine une constellation de récits et de visages, dialogue avec les morts. C’est, par exemple, l’histoire de Zozo, copain rencontré au château de Draveil où étaient regroupés les enfants juifs cachés pendant la Seconde Guerre mondiale. Le garçon qui, à 11 ans, avait couru pour échapper à la rafle du Vél’d’Hiv, est devenu Joseph dans Quoi de neuf sur la guerre ?, un adolescent qui jure aux fonctionnaires de police qui lui refusent la naturalisation qu’il deviendra écrivain pour raconter. C’est encore le destin tragique d’Henri Beck, un camarade d’école de la Butte-aux-Cailles, déporté et exterminé à Auschwitz avec sa famille, devenu le personnage de Berg et Beck (1999), son deuxième roman. Georges Perec, rencontré en 1975 chez des amis communs, est évidemment présent dans plusieurs fragments. Comme celui qui raconte l’histoire de la traduction en yiddish de Récits d’Ellis Island, ou l’image rare montrant la rue Vilin, où l’auteur des Choses vécut ses six premières années, recouverte par la neige.
Moins que les souvenirs, ce qui intéresse Robert Bober dans ce second volet, ce sont les concordances et les palimpsestes, une manière de relier et de mettre au jour : un dessin de Saul Steinberg et sa propre carte d’identité mentionnant une nationalité « indéterminée », une phrase d’Aharon Appelfeld, une photographie de Diane Arbus, un patron de veste offert à son éditeur, Paul Otchakovsky Laurens. S’il fallait tirer un seul fil au milieu de l’apparent désordre, ce serait celui de l’enfance. Ému par deux pages de Nulle part de Yasmina Reza, dans lesquelles une rnère regarde son enfant partir à l’école, il pense d’abord à son petit-fils puis plonge dans ses propres souvenirs d’enfant caché dans une pension de Clamart. À la Butte-aux-Cailles, où il inaugure une plaque à la mémoire d’Henri Beck, il découvre sur les murs de l’ancienne cordonnerie de son père les peintures de Seth, un artiste urbain qui a travaillé en Ukraine avec des enfants dont les dessins sont reproduits dans le livre.
« Et maintenant ? Maintenant, comme dans ma lettre précédente, des souvenirs, ravivés par l’écriture, sont là qui donnent de la voix. Et je me trouve, là encore, face à des interrogations, des notes, des noms, des curiosités, des faits, qui ne sont pas retrouvés dans les chemins que j’ai empruntés, où l’herbe, depuis, n’a pas cessé de pousser, et où les pavés sont de plus en plus disjoints », écrit Robert Bober en arrivant au terme de cette seconde adresse à Pierre Dumayet, probablement la dernière. L’autre absente, c’est Elen, sa femme, morte dans la nuit du 22 au 23 décembre 2021. C’est à elle qu’il pense en se projetant par-delà la mort, imaginant qu’une femme et un homme se rencontrent le jour de son enterrement et écrivent la première page d’un roman. Pour que la vie continue.


Sophie Joubert, L’Humanité, 16 novembre 2023



« Il y a quand même dans la rue des gens qui passent de Robert Bober : jouissances de la relecture et pouvoirs de l’écriture », un article de Caroline Fridman-Bardet, à retrouver sur la page de : Mémoire en jeu.



« Dis, quand te souviendras-tu ? », un article de Mario Kaplan, à retrouver sur la page de : En attendant Nadeau

Agenda

2 juin 13h30
Robert Bober au festival Mot pour mots à la Villette (Paris)

Halle de La Villette - Jardins de la Villette -Paris

Métro Porte de Pantin

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