— Paul Otchakovsky-Laurens

M’introduire dans ton histoire

Jacques Dupin

Baudelaire disait que la poésie mène à la critique. Ce livre en est une vérification, une de plus. Jacques Dupin y réunit des textes qu’il a écrits sur d’autres écrivains, des poètes principalement. L’originalité de l’ensemble est qu’il fonctionne aussi comme un recueil de poèmes et, de fait, ces textes qui sont indéniablement des textes critiques sont aussi des poèmes. Comme si seule la poésie pouvait parler de la poésie, rendre présent son mystère sans pour autant essayer, vainement, de l’épuiser, sans l’enfouir sous une rhétorique universitaire inopérante.
Une autre caractéristique de ce livre est que...

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La presse

Naturellement, fatalement critique


Recueil. Quand Jacques Dupin s’expose en lecteur des poètes.


Jacques Dupin critique ? Oui, et Valéry Hugotte qui signe ici un beau texte d’éclaireur, juste et retenu, a raison de rappeler l’affirmation de Baudelaire dans son Richard Wagner : « Tous les grands poètes deviennent naturellement, fatalement, critiques. Je plains les poètes que guide le seul instinct, je les crois incomplets. » Critique parce que poète et poète avant tout parce qu’il sait entendre dans cette « insurrection de la langue contre la langue » marcher la poésie ; parce qu’il sait la voir, ici ou là, disparaître, irréconciliée et fiévreuse, au tournant du poème « dans sa traversée aveugle de la langue et du monde ».


Cependant, qu’on ne s’y méprenne pas ! On ne trouvera dans ce livre ni le panthéon poétique de Jacques Dupin ni toutes ses lectures aimées ! Les lectures de ces « venins bénéfiques et envahissants », il arrive qu’elles trouvent leur place directement au détour du mot d’un poème - ainsi d’Artaud, Leiris, Michaux... - ou qu’elles demeurent, les ravissantes, aux cachots de son histoire, à lui. Ici, nous ne connaîtrons que celles « demandées » pour une préface, un hommage, un recueil critique... Et certes les deux peuvent aller l’amble, comme on le verra à propos du poème de Nicolas Pesquès, la Face nord du Juliau. Mais quoi, il y a lire et lire en vue d’écrire : deux actes, deux lumières !


Ce livre nous donne à parcourir les textes que Jacques Dupin écrivit pour, sur, ses amis poètes entre 1953 et 2006. Ainsi va-t-on de Pierre Reverdy à René Char en passant par Francis Ponge et le encore trop peu connu Jean Tortel, sans oublier Philippe Jaccotet et, proche d’entre les proches, « compagnon dans le jardin », André du Bouchet. Mais aussi Paul Celan, Maurice Blanchot, Georges Schéhadé, Guy Levis Mano, Charles Racine, Octavio Paz, Edmond Jabès, Jacques Prévert, Paul Auster, Claude Royet-Journoud, Adonis, Vadim Kozovoï, Faraj Bayrakdar, Pierre Chappuis et des plus jeunes tels que Nicolas Pesquès, Philippe Rhamy et Jean-Michel Reynouard, auteur de cette Eau des fleurs, inclassable.


« M’introduire dans ton histoire », ce premier vers d’un sonnet sans titre de Mallarmé de 1886, vise moins à introduire le moi que l’autre qu’il porte et qui souvent le déporte ! Lire, c’est s’appauvrir notamment de ce moi imaginaire qui nous sert à croire que nous existons. Si Jacques Dupin sait qu’avec lui ils sont peu nombreux ceux qui s’effacent pour écrire, dans ce livre, il nous montre combien il sait aussi s’effacer pour lire. Et selon les mots mêmes de Mallarmé, c’est en « héros effarouché » d’avoir « du talon nu touché quelque gazon de territoire » qu’il s’introduit dans ces « histoires ». Jacques Dupin sait rendre les armes. Il sait qu’écrire sur la poésie exige de faire taire en nous cet orgueil qui croit comprendre ce qui lui échappe et écouter au contraire cet insaisissable, aimer le voir s’accroître, s’élancer haut dans le jour et passer toujours plus impénétrable dans le coup de vent qui polit nos yeux avant de les fermer. Définitivement. Car saccager et passer est sa vérité.


Ces intrusions sont l’occasion d’un dialogue de l’amitié qui se confond avec la poésie même quand elle est la Dérangeante, celle qui s’entremet et bouscule tout ce qu’il y a de figé dans les différentes strates de la réalité du monde et du langage.


Alain Freixe, L’Humanité, 26 juillet 2007