Ni de lait ni de laine
Emmanuelle Salasc
« La famille, tout le monde en a une, même ceux qui n’en ont pas, même ceux qui en ont plusieurs. La famille, c’est l’endroit au monde où on est le plus aimé, le plus haï, le plus protégé, le plus violenté, le plus soutenu, le plus abandonné, le plus nié, le plus encouragé, le plus cajolé, le plus admiré, le plus dénigré, le plus compris, le plus incompris. La famille est un superlatif. On y est seul, on y est nombreux. »
Emmanuelle Salasc propose une cinquantaine de nouvelles, parfois très brèves, parfois plus longues comme de véritables petits romans. Chacune saisit la tension secrète du lien familial qui unit...
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« La famille, tout le monde en a une, même ceux qui n’en ont pas, même ceux qui en ont plusieurs. La famille, c’est l’endroit au monde où on est le plus aimé, le plus haï, le plus protégé, le plus violenté, le plus soutenu, le plus abandonné, le plus nié, le plus encouragé, le plus cajolé, le plus admiré, le plus dénigré, le plus compris, le plus incompris. La famille est un superlatif. On y est seul, on y est nombreux. »
Emmanuelle Salasc propose une cinquantaine de nouvelles, parfois très brèves, parfois plus longues comme de véritables petits romans. Chacune saisit la tension secrète du lien familial qui unit et qui déchire, celle d’un amour immense et impossible. Une mère folle et aimante. Un père silencieux. Des familles boiteuses. Des enfants secrets, douloureux, et qui nous échappent : « Ma fille je sais si peu de choses d’elle. Je connais mal le son de sa voix. La réverbération de son rire. Je ne sais même pas s’il existe encore, son rire. » On découvre ce qu’il y a d’amour, dans une famille, et pourquoi certaines familles peuvent haïr au point de livrer une guerre, de se brouiller et se séparer. Comment la violence prend possession de cet amour-là, entre parents et enfants, frères et soeurs. Certains textes atteignent la vérité d’un conte (Le lait de ma mère). D’autres ont la puissance d’une saga dont les héroïnes sont « les femmes de la famille », qui ont travaillé la laine, le lait, la terre. « Même si j’écrivais un roman entier sur le lait et la laine, je serais encore trop loin des moutons et de la terre. Les mots on n’en comprend pas l’utilité, autrement dit je brode. Et je ne brode pas du fil, je brode des histoires, des rêves, de la mémoire : du petit vent. »
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La presse
Ni de lait ni de laine d’Emmanuelle Salasc
Toutes les facettes des liens familiaux, des non-dits et de la violence dans un recueil de nouvelles. Une réussite.
Certains textes sont inédits, d’autres ont été publiés dans des revues ou lus en public, "parfois dans des versions très différentes". Tous sont le reflet de cet art du minimalisme développé depuis une vingtaine d’années par l’une des autrices les plus mystérieuses du paysage littéraire français, Emmanuelle Pagano, qui a récemment décidé de signer de son vrai nom.
Une jeune femme raconte qu’on lui a enlevé son enfant à la naissance, une ado grandit auprès d’une mère alcoolique, un père attend le retour de sa fille, un fils se souvient de se la violence du père. Quelques histoires se développent sur plusieurs pages, d’autres, les plus marquantes sans doute, tiennent en quelques lignes. Elles permettent de repérer en la récurrence de certaines thématiques : les grossesses précoces, la violence familiale, les secrets. Ces textes toujours rédigés à la première personne donnent une voix à ces anonymes pétri·es de doutes, de malheurs enfouis. L’autrice excelle dans l’art d’incarner sans caricaturer ces existences dans les marges et de leur donner une dignité, nous laissant deviner ce que ses personnages ont caché parfois toute leur vie.
Surtout, on mesure d’un texte à l’autre l’étonnante maîtrise de l’écrivaine, son art de la suggestion, de l’ellipse. Tout au bout de chacun de ces textes courts, les dernières lignes semblent comme suspendues, confessions inattendues venant soudain éclairer ce qui précède, et ouvrir un gouffre.
Sylvie Tanette, Les Inrockuptibles, Avril 2024