— Paul Otchakovsky-Laurens

Le jour baisse

Journal X (2009-2012)

Charles Juliet

« Pourquoi écrire un journal ? Je pourrais répondre : parce que je ne sais rien faire d’autre. En réalité, je sais pourtant que ce journal a sa source en ce qui me ronge depuis l’adolescence : la sensation douloureuse de la fuite du temps, du fait que rien ne demeure de ce que nous vivons. D’où la nécessité de garder des traces, de rassembler dans des mots, ce que je me refuse à voir disparaître. Une piètre sauvegarde qui ne m’a jamais abusé ! À ce besoin est associé la recherche exigeante de la connaissance de soi, la connaissance du psychisme humain. Recherche qui va de pair avec une lutte pour repérer mes entraves, accéder à une...

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La presse

Le dixième tome d’une immense œuvre, où le diariste nous guide dans le labyrinthe de ses réminiscences.


Que de chemin parcouru entre le premier journal que Charles Juliet tint adolescent, où il ne consigna que des résultats sportifs ou le décompte des jours le séparant des vacances, par crainte d’une indiscrétion du chef de section de l’école militaire où il était pensionnaire, et ce dixième tome de son immense œuvre de diariste, puisée au plus profond de lui-même, avec une rare exigence d’honnêteté, de justesse et d’humilité… Le présent volume couvre les années 2009 à 2012, période d’accomplissement et de plénitude que l’auteur célèbre sans bruit, après une vie passée à élaguer sa personne de toute trace d’ego, à trouver les mots les plus simples pour recueillir l’essence de son être, au prix d’une quête de chaque instant, qui le fit parfois vaciller au bord d’abysses intimes terrifiantes.
Voyages, rencontres, lectures, tout est propice aux réminiscences du passé, le sien, mais aussi celui de son épouse, de témoins de l’histoire, ou d’anonymes qui se confient à lui, aimantés par sa capacité à recevoir. Car c’est cette faculté que Charles Juliet semble avoir fait pousser dans sa terre intérieure qui aurait pu rester irrémédiablement sèche, après son arrachement à sa mère dépressive, nourrisson, expérience qu’il qualifie ici d’« agonie primitive » en citant Winnicott, et sur laquelle il est revenu dans son plus beau livre, Lambeaux. Cette présence aux autres, cette écoute aux aguets donne une lumière particulière à chaque événement qu’il prend la peine de noter, parfois en style télégraphique, sur le fil d’une pudeur extrême, et parfois dans un élan de confiance volubile, sereine, portée par un noble objectif : « tendre vers le neutre — mais un neutre où vibre une discrète émotion — donc tenter de parvenir à une singularité anonyme. »


Marine Landrot, Télérama, novembre 2020



Les ombres portées de Charles Juliet


A 86 ans, l’écrivain lyonnais offre en cet automne deux ouvrages à ses lecteurs : le dixième tome de son journal et une anthologie personnelle de ses poèmes.


Avec ses contrastes et ses feux, ses reliques d’été et ses premiers frimas, l’automne a toujours produit un effet singulier sur l’ancien petit paysan qu’est Charles Juliet. Cette saison de vendanges et de semailles à contretemps, d’ombres qui s’allongent dans les jours raccourcis, est aussi celle des livres. En voici deux dont les titres, loin de se contredire, se font écho avec subtilité. Comme si, à l’acceptation de l’inéluctable, répondait toujours ce souffle venu de l’intérieur, cette promesse par laquelle un homme n’a cessé de vouloir éclairer sa propre existence.
Après Gratitude en 2017, Charles Juliet poursuit avec Le jour baisse la publication de son journal commencé il y a soixante-trois ans. Et même avant, puisque l’auteur nous livre dans ce dixième tome couvrant les années 2009 à 2012 quelques notes antérieures à 1957, retrouvées dans des cahiers oubliés.
Cet élan vers l’écriture n’a jamais répondu qu’à la nécessité vitale d’accéder à la conscience, de se dégager de la gangue de l’absence à soi, pour enfin résider dans l’essentiel et rejoindre l’autre. Au jeune homme habité d’idées suicidaires, il a fallu trouver la force de répondre à cette injonction venue des tréfonds, s’astreindre à une ascèse, chercher à tâtons, garder trace, toujours et encore, avant d’apercevoir un peu de lumière. D’un engagement absolu, la démarche exigeait une éthique implacable, le refus de toute complaisance, de tout apitoiement.
Est-ce si étonnant qu’un rebouteux ait un jour choisi Charles Juliet pour lui transmettre son secret ? L’écrivain n’a jamais cessé d’écouter celles et ceux qui venaient à lui, chargés de leur fardeau de souffrance. Et, bien qu’il se refuse la plupart du temps à l’admettre, il est souvent venu en aide aux existences cabossées qui ont rencontré son regard ou ses mots. Chemin faisant, ces existences ont pris une place toujours plus centrale dans son journal, réceptacle d’histoires souvent tragiques, pleines de ces déterminismes, répétitions, coïncidences qui dessinent au fil des pages une autre humaine condition.
Le Jour baisse ne fait pas exception. Entre souvenirs épars convoqués sans fausse pudeur, comme pour combler toujours un peu plus les trous de ce vécu non encore écrit, le retour perpétuel des années d’enfants de troupe (narrées dans L’Année de l’éveil) ou de la déchirure de la séparation (Lambeaux), notes sur les livres, la musique, les peintures, les choses vues, lues ou entendues, ces bouts de vie rassemblés par Charles Juliet forment une mémoire universelle de la douleur et de son dépassement. Mémoire d’autant plus pénétrante qu’on la saurait perdue si l’auteur n’y avait prêté attention.
La souffrance souvent disloque, mais elle peut aussi mettre sur la voie de l’unification. Tout est un, chez Charles Juliet. Tout procède de la même source, de ce commandement à s’élucider. « Si on lit mes poèmes sans avoir l’intuition, la connaissance de l’expérience intérieur dont ils sont nés, leur simplicité et leur dépouillement perdent toute signification » : nul hasard si ces mots ouvrent Pour plus de lumière, l’anthologie par laquelle l’auteur rejoint la liste des grands poètes accueillis par la prestigieuse collection Gallimard. Il n’était que temps, dans le sillage du prix Goncourt de la poésie qui lui a été décerné en 2013 et du grand prix de littérature reçu de l’Académie française en 2017.
« J’avance nu/sur une terre/que mon besoin/de l’immense/rend désertique/en proie/à la sécheresse/l’être se morfond/s’impatiente/supplie/des mots/me viennent/ils sont/les mots arides/de la soif. » Minéraux, les poèmes de Charles Juliet sont les trésors inattendus d’épuisantes excavations. Ils ont longtemps été considérés avec circonspection par les tenants de cette poésie savante qui domine le paysage français. Il est salutaire que Jean-Pierre Siméon, ancien directeur artistique du Printemps des poètes et successeur d’André Velter chez Gallimard, ait réparé l’oubli.
Jean-Pierre Siméon qui, dès 2013, avec La Conquête dans l’obscur, écrivit l’une des plus justes analyses qu’on puisse lire de la poésie de Charles Juliet. Le texte est repris en préface de cet ouvrage poétique, commencée par Affûts, publié par le fidèle Paul Otchakovsky-Laurens. Choisis par l’auteur lui-même, ces poèmes couvrent un demi-siècle de quête intérieure de création, témoignent des obstacles rencontrés, du courage et de l’abattement, Jusqu’à la découverte de l’oasis. On les referme sur une poignante Lettre à ML, qui les concentre tous et honore l’aimée à tout jamais. Lire Charles Juliet, approcher ces figures connues ou inconnus, c’est prendre le risque de descendre en soi et de se rencontrer.


Arnaud Schwartz, La Croix, 19 novembre 2020

Et aussi

Charles Juliet Grand Prix de Littérature de l'Académie Française 2017

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