Si le Japon est connu comme un pays de fine gastronomie, sa littérature porte elle aussi très haut l’acte de manger et de boire. Qu’est-ce qu’on mange dans les romans japonais ! Parfois merveilleusement, parfois terriblement, et ainsi font leurs auteurs, Kôzaburô Arashiyama, Osamu Dazai, Rosanjin Kitaôji, Shiki Masaoka, Kenji Miyazawa, Kafû Nagai, Kanoko Okamoto, Jun’ichirô Tanizaki...
Du XIIe siècle à nos jours, dix gourmets littéraires vous racontent leur histoire de cuisine, joliment illustrée.
C’est un des aspects les plus fascinants de ce Japon mystérieux que nous présente la miraculeuse Ryoko Sekiguchi dans son anthologie Le Club des gourmets, consacrée à la cuisine dans la fiction japonaise. Une anthologie absolument délicieuse, surprenante, savante, appétissante, instructive, émoustillante, enivrante et douce à la fois, comme ce haïku de Shiki Masaoka : « Le goût du kaki en bouche/ j’entends la cloche/ du temple Hôryûjî », ou le numéro 43 des Cent curiosités au tofu : « Tôfu aux oursins : allongez de l’oursin avec du saké. Glacez le tôfu-danseur habituel avec la préparation. » Sobre et mystérieux. Le plat de roi de ce livre qui vous met l’eau à la bouche, c’est le court roman Le Club des gourmets, de Junichiro Tanizaki (1886-1965), où, je cite, « l’amour de la gastronomie ne le cède en rien à l’amour des femmes ». Immense synesthésie, dérèglement de tous les sens, ce texte est un sommet de perversion gustative, comme on lécherait les doigts d’une fée : « A partir d’où deviennent-ils chou chinois, et où sont-ils main de femme, la limite est impossible à déterminer. C’est pour ainsi dire une matière issue du croisement de doigts avec du chou chinois. » Miam.
Mathias Énard, Le Monde des livres, novembre 2019