« Écrire, c’est aussi agir »
Après le succès de Triste Tigre, Neige Sinno raconte dans un récit passionnant, La realidad, le Mexique, son altérité, sa rencontre avec les femmes en lutte... Et confirme son engagement dans la littérature.
Dix-huit mois ont passé depuis la parution, à la rentrée littéraire 2023, de Triste Tigre, l’admirable livre, entre le récit de soi et l’essai, dans lequel Neige Sinno a raconté, et pensé, les viols répétés subis dans son enfance, perpétrés par son beau-père alors qu’elle avait entre 7 et 14 ans. Un an et demi en dépit duquel Triste Tigre demeure le présent de l’écrivaine, en ce jour de février où on la rencontre, dans la petite ville du Pays basque où elle habite depuis l’automne, avec son compagnon et sa fille de 13an – ayant quitté, pour une durée encore indéterminée, au moins une année scolaire, peut-être davantage, le Mexique où elle vit depuis plus de vingt ans. Elle rentre à peine de Suède, où l’ouvrage vient d’être traduit. Stockholm après Rome, Berlin, Madrid... et avant New York, où elle ira, en avril, accompagner la parution de Sad Tiger chez Seven Stories Press. L’exceptionnel et durable retentissement de ce livre, phénomène littéraire et tout aussi sociétal, laisse Neige Sinno vaguement incrédule : « Je ne suis pas sûre de le percevoir. Je le conçois lorsqu’on m’en parle, je sais que c’est vrai, mais je n’en prends pas la mesure. Je le tiens à distance, je le détache de moi. D’abord parce qu’il me semble que je n’y suis pour rien, que cela m’échappe complètement. Mais aussi parce que c’est trop énorme pour que je sache qu’en faire... »
À l’onde de choc considérable provoquée par Triste Tigre (environ deux cent cinquante mille exemplaires vendus à ce jour), Neige Sinno oppose « la dissociation, un mode de fonctionnement naturel chez moi, qui peut s’avérer très positif ». Comme une protection. Une réserve. Toujours très sollicitée pour prendre la parole sur les violences sexuelles faites aux enfants, elle accepte encore souvent : « Je décide au cas par cas. Je sais que les militants ont besoin de visibilité, et je peux la leur apporter, puisqu’on me la donne. Par ailleurs, ces rencontres me nourrissent, m’enrichissent, et je suis reconnaissante d’y être invitée. Mais c’est aussi chronophage, et c’est sans doute pour cette raison que je n’ai jamais pu être militante – je n’ai pas le temps. Quand on écrit, on ne peut pas faire grand-chose d’autre. » Écrire, c’est ce à quoi l’a incitée son éditeur, Frédéric Boyer, le directeur des éditions P.O.L, très vite après la parution de son récit. « II a probablement senti que ça me protégerait des répercussions du livre, tout en me donnant confiance dans la suite. » Elle a donc écrit quelques textes brefs, au cours de ces derniers mois, et surtout mené à bien la traduction en français de l’ouvrage qu’elle avait rédigé en espagnol, juste avant Triste Tigre. II s’agit de La realidad, tout ensemble récit d’initiation et de voyages, et réflexion sur l’altérité, qui paraît dans quelques jours.
Neige Sinno y revient sur sa découverte et son apprentissage du monde mexicain. « L’expérience d’être une étrangère, habitée par l’envie profonde de trouver une place dans la langue et dans la culture mexicaines ; à la fois un très grand désir d’intégration et la conscience des limites de cette intégration. Le livre vient de là », explique-t-elle d’une voix douce et réfléchie. Cela passe, entre autres épisodes, par le récit de son premier voyage au Mexique, en 2003, une épique et acrobatique expédition au Chiapas sur les traces du sous-commandant Marcos et des mouvements zapatistes ; par une interrogation, aussi, sur l’origine de son attirance pour les peuples indiens, nourrie de la lecture ancienne des ouvrages de J.M.G. Le Clézio, l’écrivain dont elle avait déjà fait le sujet de son mémoire de maîtrise et qui est son « interlocuteur majeur dans ce livre » ; par une réflexion profonde, d’ordre éthique et es thétique, sur « le solipsisme occidental », le regard si volontiers surplombant qu’il induit, et la ferme résolution d’y échapper dans son propre texte ; par la description, enfin, de sa participation, au cours des années 2010, aux Rencontres internationales des femmes en lutte, des manifestations organisées au Chiapas par des féministes zapatistes, auxquelles elle a été invitée plusieurs fois.
« La realidad et Triste Tigre ont été écrits dans une continuité complète : quand j’ai eu fini le premier, j’ai commencé le second », poursuit-elle. Pointant, entre les deux opus, une différence majeure : «La realidad, je l’avais pensé, préparé. Lorsque j’ai commencé à l’écrire, j’en avais une idée très claire, qui me venait de sa fin, ces rencontres de femmes que je voulais raconter. Et ce qui m’enthousiasmait surtout, c’était sa forme : une non-fiction à la première personne, qui fait intervenir dans le récit de la réflexion, de la critique, des commentaires. Une première pour moi, qui n’avais écrit jusqu’alors que des essais critiques et des fictions. C’est aussi la forme hybride, impure, qu’a prise ensuite Triste Tigre, portée par une voix narrative très proche. Mais contrairement à La realidad, ce livre-là, je n’avais pas prévu de l’écrire. Quelque chose s’est produit... » Quelque chose comme un mouvement intérieur subreptice, survenu à l’issue d’une de ces rencontres féministes au Chiapas, où l’on parla des violences machistes et des trois mille féminicides annuels au Mexique. De ce moment, l’épilogue de La realidad porte la trace : l’écrivaine y évoque « un livre que je ne veux pas écrire, car je ne veux pas croire que ma seule réponse puisse être celle-là, cette réponse de rien du tout face à la violence du monde [...] C’est un livre qui commencera au milieu d’une phrase, au milieu d’une pensée, au milieu d’une colère... » - on reconnaît là l’incipit de Triste Tigre.
Pourquoi ce titre : La realidad ? Assurément parce que la question de la relation avec le réel irrigue de bien des façons ce livre passionnant et d’une évidente beauté. Par exemple, en racontant la métamorphose de sa narratrice, « une sorte de “Tintin au Mexique” au début du récit », la décrit Neige Sinno : une voyageuse candide et pétrie d’ignorance qui se dépouille peu à peu de ses peurs, ses illusions, ses préjugés, changeant de regard sur le monde qui l’entoure. En référence, aussi, à la forme même de la non-fiction, cette littérature du réel dans laquelle l’autrice a trouvé le lieu idéal où « mettre en tension [sa] tendance à l’abstraction, la nécessité d’une réflexion philosophique constante, et la conviction que la narration est [son] mode d’expression ». Et peut-être aussi, plus secrètement, pour signifier « la réconciliation » de son autrice avec cette sensation d’« être en dehors du monde, en dehors de la réalité » qui l’a longtemps habitée, comme un malaise : « J’ai fait des études de lettres et j’ai toujours écrit, alors même que je venais d’un monde où on ne lisait pas et où on considérait les études et les livres comme un monde séparé, de privilégiés. De ce fait, je me suis longtemps perçue comme vivant dans une bulle, en retrait, hors de l’action, avant de comprendre qu’écrire, c’est aussi agir, mais à un autre endroit, à un autre niveau. » Elle n’a pas de message à transmettre, insiste-t-elle, et souvent pas d’opinion tranchée sur les choses. Politique, La realidad l’est pourtant, incontestablement, entre les lignes duquel circulent et interagissent les notions d’ouverture à l’autre, de fraternité, de décolonisation du regard et de l’esprit...
En août 2023, Triste Tigre a constitué, pour l’immense majorité de ses lecteurs, la découverte d’une nouvelle autrice. Mais pour Neige Sinno, ce récit est venu ponctuer un parcours déjà long et « près de vingt ans de choix, éventuellement pas faciles, parfois déchirants, en faveur de l’écriture », résume-t-elle. L’offre d’un emploi fixe de chercheuse dans une université mexicaine déclinée il y a douze ans, un arrêt complet des cours en 2016... « Grâce au soutien de mon compagnon, je navigue ainsi, en sachant que c’est quand même très rare de pouvoir vivre de l’écriture et que je ne vais peut-être pas y arriver. On a organisé notre vie entière avec ça. Aujourd’hui, je continue à faire quelques traductions, pour ne pas tout lâcher, au cas où... Je sais qu’il est possible qu’après le succès de Triste Tigre, mon travail n’intéresse plus personne – d’autant que, même si je m’attache à être lisible, je tiens à sa dimension expérimentale, qui passe notamment par le travail sur la structure du texte. Et ce ne serait pas si grave. J’ai désormais un éditeur qui, lui, me suivra. Et plein d’idées pour les livres à venir. J’ai la chance de ne pas connaître, comme d’autres auteurs, l’angoisse de n’avoir rien à dire. C’est déjà tellement difficile d’écrire et de maintenir son ambition. »
La distance qu’elle entretient aujourd’hui avec le succès, Neige Sinno l’avait installée naguère vis-à-vis de l’indifférence ou l’échec. Par-delà les doutes, les manuscrits refusés, une profonde confiance l’a tenue droite, l’empêchant de vaciller : « Je ne saurais pas exactement le formuler. C’est peut-être quelque chose qui a trait à l’ego... Disons que je n’ai pas simplement “envie” d’écrire, mais la conviction, depuis très longtemps, que ce que j’écris est valable. On est obligé d’avoir cette assurance quand on s’attaque à quelque chose de plus grand que soi comme la littérature. J’ai appris à ne plus trop m’en vouloir quand je n’ai rien réussi à écrire de la journée, à ne pas avoir honte d’un truc raté. Et je n’ai pas peur de l’avenir, parce que j’ai une habitude de travail tellement ancienne. Une habitude de concentration, de solitude, de compagnonnage avec moi-même. »
Nathalie Crom, Télérama, février 2025
La Realidad
Jeune femme, la future autrice de Triste Tigre partait au Chiapas sur les traces du sous-commandant Marcos. Un superbe et profond récit d’apprentissage.
« “Ustedes no entienden nada”, vous ne comprenez rien. » Que venait-elle faire au Mexique, la jeune femme française qui, en cette année 2003, s’était lancée dans ce voyage durant lequel elle se vit asséner à plusieurs reprises le constat de son ignorance : « Vous ne comprenez rien »? Ce verdict, Neige Sinno l’accepte, l’endosse même, comme un costume de candide, avec gravité et une pointe d’humour, au seuil de ce superbe et passionnant récit d’apprentissage. Elle va y remonter le cours du temps, s’efforçant de restituer les détails d’un vécu qui, deux décennies plus tard, lui échappe : « Maintenant tout cela est un peu confus, tout est un peu bousculé et réorganisé par la turbulente industrie de la mémoire, mais je sais qu’à l’époque aussi tout était déjà confus. » Un enchevêtrement opaque, chahuté, d’endroits, de rencontres, de pensées, de sensations, d’émotions... Toujours est-il qu’elle était bien là, au Chiapas, curieuse et maladroite, accompagnant une amie espagnole mue, elle, par un objectif précis autant qu’extravagant : se rendre à La Realidad, le village de montagne où, disait-on, se trouvait la communauté zapatiste du sous-commandant Marcos, le leader des peuples autochtones en lutte pour « un monde où tous les mondes auraient une place ».
La Realidad est donc d’abord un lieu - et ce n’est pas déflorer le récit que révéler qu’il demeurera introuvable pour les deux étrangères. Qu’importe. Quand on y regarde de plus près, « la realidad » (la réalité), c’est aussi, en ces pages saisissantes de profondeur et de beauté, une idée, un fil d’Ariane, une abstraction chatoyante. Un dessein et un mirage, un impossible et un élan, un déracinement et une promesse à tenir. « Aujourd’hui encore, tant d’années après les faits, je ne saurais dire exactement ce que j’ai vu. J’ai la sensation, une sensation étrange car je ne saurais l’expliquer totalement, qu’il s’agissait de quelque chose d’important [...], quelque chose qui pourrait éclairer non seulement mon existence mais aussi ma compréhension du monde... » Le voyage initiatique de 2003 était le prélude à d’autres séjours, et en 2006 à une installation définitive au Mexique. Il était aussi l’orée d’une quête, d’un itinéraire existentiel – « et ce chemin, s’il commence quelque part, il commence par le mot “Indien” ».
Tout ensemble déterminée et scrupuleuse, la narratrice de La Realidad ne cultive pas de nostalgie. Tournée vers le passé pour tenter de discerner l’avenir, elle cherche, au Mexique et en ce monde, « une place, même toute petite, et rester là un moment » - une place qui n’empiéterait pas sur celle de l’autre. Sur la longue et indécise route en direction de ce jardin rêvé, jalonnée de digressions qui agissent comme des modifications de perspective, elle croise notamment J.M.G. Le Clézio, l’auteur du Livre des fuites, qui, à l’image de son personnage, voulait « être un voyageur sans être un oppresseur ». Antonin Artaud, également, venu au Mexique en 1936 pour « entrer en contact avec les puissances telluriques qui avaient déserté le reste du monde ». Au Chiapas, Neige Sinno, elle, a fait l’expérience de « l’altérité radicale », mais aussi celle de la sororité. Sans doute l’autrice du futur Triste Tigre (publié en 2023 mais écrit après La Realidad) y a-t-elle trouvé la place qu’elle cherchait : « Moi mon rôle c’est plutôt de faire des textes et des commentaires de textes, de tisser avec patience et un peu d’imagination les fils de cette histoire. Avec eux, je confectionnerai un châle pour nous couvrir pendant les mois d’hiver, pour nous protéger du froid... »
Nathalie Crom, Télérama, mars 2025
« Cher J. M. G. Le Clézio. . . »
L’autrice du terrassant Triste Tigre publie son nouveau livre, La Realidad. Dans ce récit mexicain, elle cite abondamment le prix Nobel de littérature. Elle a confié au Nouvel Obs une lettre qu’elle lui a adressée
Certains livres, rares, nous changent en profondeur, déplacent notre regard sur le monde et sur nous-mêmes. Triste Tigre, déflagration littéraire de 2023, est de ceux-là. Dans ce récit couronné du prix Femina, Neige Sinno raconte l’inceste subi dans son enfance. L’autrice y multiplie les points de vue, s’adresse à son lecteur, directement et sans surplomb. Là réside la force sidérante de son texte, vendu à plus de 260 000 exemplaires. On la retrouve intacte dans son nouveau livre La Realidad, qui peut se lire comme la matrice de Triste Tigre. En prenant mille détours, Neige Sinno revient sur ses années au Mexique – elle y a vécu plus de vingt ans, avant de rentrer en France, il y a peu – , notamment ses voyages au Chiapas, auprès des zapatistes. La première fois, elle espérait rencontrer le sous commandant Marcos. On chemine avec elle dans la sierra et dans sa réflexion, intense, limpide, sur les rapports entre langage et réel. Outre Antonin Artaud auquel elle consacre des pages brillantes, Neige Sinno cite longuement J. M. G. Le Clézio (des textes méconnus comme Haï ou le Livre des fuites). Le dia logue virtuel qu’elle entreprend avec l’œuvre du prix Nobel de littérature sur la puissance – et l’impuissance – des mots face aux oppressions est si passionnant que nous aurions aimé le poursuivre dans « la réalité ». Cela ne s’est pas fait. Alors Neige Sinno nous a confié une lettre adressée à Le Clézio. Nul doute qu’après l’avoir lue il désirera lui répondre.
Elisabeth Philippe
Cher Jean-Marie Gustave Le Clézio, Le Nouvel Obs nous avait proposé un entretien croisé. Je vous cite longuement dans mon dernier livre et cela aurait été intéressant de pouvoir aborder certains thèmes avec vous. Cette rencontre n’a finalement pas été possible. J’avais très envie de vous connaître mais j’avais peur aussi, et une partie de moi préfère que cela se passe comme ça. J’avais peur parce que j’ai un immense respect envers votre œuvre et envers votre personne, et je craignais de dire des bêtises en votre présence, de ne pas réussir à parler ou d’être trop bavarde, mais aussi parce qu’il est toujours étrange de rencontrer quelqu’un qu’on a inventé.
Je sais bien sûr que vous existez. On me l’a dit. Je vous ai vu même, une fois, en 1997 ou 1998, vous faisiez la queue à quelques mètres de moi dans une boulangerie du Vieux-Port de Nice. Mais celui que j’appelle Le Clézio depuis si longtemps dans le secret de mon esprit est une invention. Je l’ai construit, à partir de vos livres principalement. Derrière cette voix qui change avec le temps, depuis la révolte blessée du Procès-verbal à la mélancolie des nouvelles que vous avez publiées ces dernières années, on imagine quelqu’un qui a quelque chose de vous mais qui n’est pas vous. J’y ai ajouté des photos qui circulent par-ci par-là (mais que dit une photo sur ce qui se passe dans une tête ?), des lieux, des idées, des anecdotes vraies ou fausses, des bribes de plus en plus éloignées de leur référent, et des conversations sans nombre que j’ai eues avec cet hologramme qui porte votre nom. Je lui parlais quand j’écrivais un mémoire universitaire au titre un peu prétentieux sur trois de ses livres qui abordent chacun à sa manière le désir de sortir de soi, de fuir le monde qui nous a faits. Je me souviens de l’illumination ressentie au contact de certaines phrases, que j’ai gardées en moi au fil des ans comme des trésors, des devises ou des talismans. « Il ya un indicible bonheur à savoir tout ce qui en l’homme est exact », dit le jeune homme de l’Extase matérielle, premier essai lyrique que j’ai lu et qui m’a ouvert un champ de possibles dans l’expérimentation formelle, un champ d’émerveillement et de terreur devant l’infinité de ce qui existe. Je l’admirais d’avoir été si loin dans la description des corps, des choses, du dehors, d’exposer ainsi l’absurde du réel, et sa beauté. Je comprenais son égarement, sa colère, son désir de fuir. « Comment échapper ? Comment échapper au roman ? Comment échapper au langage ? Comment échapper, ne fût-ce qu’une fois, ne fût-ce qu’au mot COUTEAU ? »Et quand j’ai essayé de fuir à mon tour, les phrases me précédaient, l’épopée de cette conscience appelée JMGLC me précédait. Cette « forêt des paradoxes » qu’il nomme dans son discours de remise du prix Nobel est la forêt où je vis moi aussi depuis longtemps, tout en croyant être au Michoacân.
Vous aussi vous m’avez inventée. Vous ne le savez sans doute pas. Je suis un personnage de vos livres qui aurait lu vos livres. Je suis la jeune fille qui vient de la périphérie, de la marge, de la violence, et qui se fraie malgré tout un chemin dans la vie. Je suis l’auto-stoppeuse. L’équilibriste. La vieille plongeuse qui cherche des perles. L’éternelle mère qui fait le pain. Et je ne serais pas moi si je n’avais pas lu les livres que j’ai lus, si je n’avais pas repris certaines de vos questions à mon compte, pour n’y point répondre, à ma propre façon. C’est ce que font les enfants, les héritiers, les disciples. Ils vous pillent, vous utilisent, vous aiment et vous trahissent. J’ai fait ce que j’avais à faire et je sais bien qu’il y a dans les citations que j’utilise dans la Realidad un ton irrévérencieux qui témoigne du long chemin parcouru aux côtés de cette œuvre qui m’a rendue plus libre. II fallait bien tracer cette route, tuer le père ou je ne sais quoi, afin qu’il revienne sous forme de spectre et qu’il soit, d’une autre manière, toujours là. II était dans mon sac à dos quand je suis allée au Chiapas avec ma copine, puis dix ans plus tard à nouveau avec ma fille, il était là et il me renvoyait les questions que je lui avais faites : qu’est-ce que tu fais ici, sur ces terres où tu ne seras jamais chez toi ? Qu’est-ce que tu cherches ? Que crois-tu donc pouvoir trouver ?
Je suis contente qu’on m’ait finalement donné l’opportunité de lui dire merci, même comme ça, avec tous ces filtres interposés. La communication directe n’existe d’ailleurs sans doute pas, puisqu’on ne cesse de s’inventer les uns les autres et de mettre entre nous ces fantômes qui nous remplacent.
Rien de tout cela n’est réel. Même cette lettre n’est pas vraiment une lettre. Vous ne serez pas le premier, ni le seul, à la lire. Elle est comme un fragment d’un roman épistolaire anglais que personne n’écrira, comme une autre conversation sans interlocuteur qui se perdra parmi les voix innombrables de mon monologue intérieur. Rien n’y est réel, et pourtant, tout y est vrai.
Votre,
Neige Sinno, Le Nouvel Obs, mars 2025
Neige Sinno en quête d’une terre accueillante
L’écrivaine découvre le Mexique sur les routes du Chiapas, en 2002. La Realidad, début d’une histoire d’amour
Des brumeuses montagnes et forêts chiapanèques descendent, ce 1er janvier 1994, des groupes d’indigènes, encagoulés et armés. Ils font partie de l’Armée zapatiste de libération nationale et réclament des droits pour leurs communautés. Revêtu d’un uniforme vert olive et pipe à la bouche, le mystérieux et charismatique sous-commandant Marcos porte leur parole. De lui, Neige Sinno dit, dans son nouveau livre, La Realidad (« la réalité »), qu’il faudrait peut-être arrêter de sous-estimer [son] potentiel érotique » ; et son potentiel littéraire, peut-on ajouter. Un an et demi après la publication de son bouleversant Triste tigre (P.O.L, prix littéraire Le Monde 2023), où elle évoquait les viols qu’elle a subis de ses 7 ans à ses 14 ans, l’autrice revient avec un texte autobiographique qui, entrelaçant récit intime et ana lyse, nous raconte sa rencontre avec le Mexique.
Nous sommes en 2002, Neige a 25 ans. Avec Maga, bouillonnante et fougueuse Andalouse qui, comme elle, enseigne dans une université américaine, elle entre prend un voyage au Chiapas (Etat du sud-est du Mexique). Maga veut rencontrer le sous-commandant Marcos pour lui remettre des livres de théorie marxiste. Neige suit. Commence alors un périple au cours duquel elles croisent les « punkis », deux jeunes nomades, « un peu artisans un peu mendiants », et Barbara, splendide comédienne installée dans une maison délabrée à San Cristobal de las Casas. Les deux jeunes femmes finissent par apprendre que Marcos séjournerait dans une commune nommée La Realidad. Elles se mettent en route, mais l’aventure s’arrête dans un village sinistre où le véhicule censé les conduire à bon port n’apparaît jamais, et où les rues désertes ne voient passer qu’un âne solitaire, rôdant sans but apparent.
Cet âne entêté et un peu perdu pourrait faire figure de métaphore pour ces deux jeunes femmes, égarées mais allantes, animées d’une envie folle d’explorer le monde, d’en comprendre quelque chose, quitte à tourner en rond. Maga court après un rêve politique, quand Neige semble chercher une place concrète dans le monde. C’est-à-dire une place à la fois dans l’espace et dans la langue. Car La Realidad est peut-être ça : une tentative d’explorer la manière dont chaque individu essaie de trouver un lieu et un idiome qui l’accueillent. « Nous sommes si nombreux, (...) une armée innombrable de soldats en déroute, qui errent sur la superficie de la croûte terrestre, et qui ne se trouvent pas, et qui ne sont de nulle part et qui ne vont nulle part. » Revenir à ce « premier voyage » serait une façon d’interroger cet état d’exil permanent.
Petit rire intérieur
« Ustedes no entienden nada » (« vous ne comprenez rien »), ne cesse de répéter Barbara à Neige et Maga. Pourtant, Neige Sinno semble toujours prise d’une soif de comprendre.
Comprendre par exemple comment elle s’est finalement installée au Mexique en2006, pour y vivre dix-huit ans, alors qu’elle n’avait qu’une vague connaissance livresque du pays (tout un chapitre est consacré à Antonin Artaud et à son voyage au Mexique en 1936). Comprendre aussi quelle position elle peut tenir, elle, la Blanche venue du « Premier Monde », sur cette terre dont les peuples souffrent de la domination occidentale. Comprendre également son propre cheminement politique, du petit rire intérieur que suscitait en elle l’attirance de son amie Maga pour le subcomandante, à sa participation à la Escuelita – « cours » proposée par les zapatistes, destinée à exposer leur système politique – et aux rencontres internationales des femmes en lutte, organisées au Chiapas. Si la phrase de Barbara ne la quitte pas – elle sait qu’« on ne comprend et qu’on n’explique jamais rien » – elle ne renonce pas pour autant à parcourir « [s]a petite route qui mène à [s]a petite vérité ». Ainsi avance-t-on avec elle sur les chemins, sautant de souvenirs en analyses, faisant des détours qui prennent la forme de longues digressions entre parenthèses dans le texte. Certains passages explicatifs ne présentent pas d’idées très nouvelles. II est vrai que, pour Neige Sinno, il s’agit plutôt d’indiquer tous les canaux par lesquels est passée sa pensée. Elle le fait sans surplomb, avec une langue simple, humble, posée.
« Nous n’irons peut-être jamais à La Realidad. » II se peut qu’on ne touche jamais vraiment la réalité. Mais le sentier qu’on emprunte pour essayer de la rejoindre est riche, beau, tortueux, irrigué d’amour. Car, oui, La Realidad est aussi un livre d’amour. Amour pour une terre, le Mexique, et pour des êtres – amis, amoureux et femmes en lutte.
Lanwenn Huon, Le Monde des livres, mars 2025
Neige Sinno, une soif d’ailleurs pour se sentir chez soi
L’autrice du retentissant Triste Tigre a longtemps vécu au Mexique. Cette expérience de l’exil et de la double identité nourrit La Realidad, faux récit de voyage et vraie quête intérieure
Les œuvres littéraires sont comme les archipels : des îles qu’une surface plus ou moins étendue sépare autant qu’elle les relie. Dix-huit mois après Triste Tigre, Neige Sinno publie son deuxième livre aux Editions P.O.L, La Realidad. Le premier, tissage bouleversant et habile d’essai et d’autobiographie, avait brisé d’un coup de hache le tabou gelé de l’inceste. Vendu à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, traduit dans le monde entier, il posait la question des rapports d’emprise et de domination à partir du petit village des Hautes-Alpes où l’autrice a grandi et subi les abus sexuels de son beau-père.
Jeu de miroirs
De l’autre côté de l’océan Atlantique, La Realidad est un village que Neige Sinno tente de rejoindre avec une camarade de voyage pour rencontrer le sous-commandant Marcos, alors porte-parole de l’armée zapatiste de libération nationale, dont la rumeur dit qu’il s’apprête à donner une réunion importante. A bord d’autobus bondés, dans des chambres d’hôtel miteuses ou hébergées par d’autres nomades « un peu artisans et un peu mendiants » partis, comme elles, « découvrir le pays et le monde », les deux amies poursuivent un objectif dont elles ne savent pas très bien définir les contours. Est-ce un rêve toponymique, une utopie politique ou leur propre destin, encore muré dans cette jeunesse pleine de possibles ?
A l’époque, Neige Sinno vit aux Etats-Unis où elle prépare une thèse sur la littérature contemporaine américaine. Elle parle à peine espagnol. Elle ignore encore qu’elle finira par s’installer au Mexique pour y vivre durablement, et même, qu’elle écrira La Realidad dans la langue de ce pays, avant de le traduire elle-même en français : « Ce je qui parle ici c’est un je qui n’existerait pas s’il n’avait d’abord été conçu dans une langue étrangère. J’essaie aujourd’hui de le ramener au pays natal, et il résiste, car il n’est plus le même et c’est la terre d’origine qui lui est aujourd’hui devenue un peu inconnue. »
Cette question de la dualité traverse La Realidad sous plusieurs formes, faisant ondoyer le texte dans un jeu de miroirs, d’illusions, de fantômes et de dialogues. Récit de voyage malgré lui – bien qu’elle sillonne le Mexique, Neige Sinno cherche à s’établir, géographiquement et existentiellement : « Je voulais me trouver une place, même toute petite, et rester là un moment. Je voulais marcher sur mon propre sentier. »
« Le passeur de torrent »
Quand elle commente longuement Les Tarahumaras d’Antonin Artaud, ce n’est pas tant par intérêt pour les rites chamaniques des « peuples solaires » que pour questionner le rapport de la réalité aux représentations et aux images qui nous habitent. A San Cristobal, où elle fait halte à plusieurs reprises, Neige Sinno réveille le mythe de saint Christophe, « le passeur de torrent » qui aide les voyageurs à traverser une rivière dangereuse : l’occasion pour elle d’interroger les contours et les dessous de la double identité.
II y a enfin ces épisodes narratifs où se joue quelque chose de l’ordre d’une altérité radicale : l’autrice est adolescente quand un groupe d’Indiens Lakota fait halte dans son village alpin. Le jeune homme hébergé chez elle passe ses journées affalé dans le canapé à boire du coca et à écouter son walkman, bien loin des représentations de guerriers sioux qu’elle a connues dans les livres. Quand elle sera à son tour, bien des années plus tard, accueillie dans un village zapatiste pour découvrir le mode des vies des familles de l’armée insurgée, c’est elle qu’on dévisagera comme une étrangère exotique.
Abus de pouvoir
Cousu de « digressions », de « divagations » et de « métaphores personnelles », La Realidad fait route vers son propos en citant les vers du poète Antonio Machado : « Le chemin en marchant se fait/et lorsqu’on se retourne on voit/le sentier/qu’on n’empruntera qu’une seule fois. »
Moins directement percutant que son prédécesseur, ce livre fait pourtant écho au rugissement de Triste Tigre. D’abord parce qu’il aborde, encore une fois mais par des voies moins évidentes, les rapports de domination et « la pulsion fondamentale de l’abus de pouvoir ». Ensuite parce qu’on y retrouve cette écriture hybride qui mélange le commentaire de textes, longues citations à l’appui; des parenthèses plus narratives – avec cette distance non dénuée d’humour et qui regarde dans les yeux les grandes tragédies de ce monde – et l’honnêteté désarmante avec laquelle Neige Sinno expose au lecteur des questions qu’elle-même n’a pas tout à fait résolues, faisant de la littérature un outil de métamorphose intérieure davantage qu’un discours d’assignation.
Salomé Kiner, Le Temps, mars 2025
La Realidad ou l’invention de Neige Sinno
Derrière un récit de voyage de jeunesse au Mexique, l’auteure retrace le parcours intérieur qui l’a menée à l’écriture de Triste tigre, livre phénomène de 2023.
Au cinéma, un préquel éclaire une œuvre originale en en racontant a posteriori les prémices. Neige Sinno n’aimerait peut-être pas que l’on qualifie ainsi La Realidad, son nouvel ouvrage qui paraît chez P.O.L. Mais le terme reste le plus adapté pour parler de ce texte publié un an et demi après l’immense succès de Triste tigre. La Realidad raconte, en effet, le cheminement géographique, intellectuel, sensoriel parcouru par Neige Sinno vingt ans durant. Un parcours lui ayant permis de raconter, dans Triste tigre, avec une justesse inédite, les viols dont elle a été victime, enfant, de la part de son beau-père. Un parcours qui risque de dérouter nombre de ses lecteurs originels, que certains trouveront ennuyeux, d’autres complexe, mais qui a la vertu d’éclairer la difficulté à parler de soi mais aussi l’ambition de l’écrivaine : réfléchir autant que raconter, déconstruire autant qu’affirmer.
Lorsque Triste tigre sort à la fin de l’été 2023, Neige Sinno n’a encore quasiment rien publié, à l’exception d’un recueil de nouvelles dans une maison d’édition confidentielle. Elle est enseignante en littérature, habite au Mexique depuis 2006, son livre a été refusé par plusieurs maisons. Dès sa parution, il devient le phénomène de la rentrée littéraire. La presse s’enthousiasme pour ce texte qui, ni roman, ni récit autobiographique, ni essai, rompt avec les précédents ouvrages sur l’inceste. Les prix s’accumulent, Femina et Goncourt des lycéens en France, Strega Europe en Italie... Les ventes atteignent250 000 exemplaires. Un succès dont se réjouit Neige Sinno, consciente qu’il est un peu plus que littéraire : « J’avais sur mes épaules cet enjeu d’être un porte-parole sans l’avoir choisi, je savais que tout ce que j’allais dire ne me concernait pas uniquement. Si je me trompais, j’allais le regretter encore plus parce que j’avais la chance d’avoir un micro pour parler de ce qui arrive aux victimes », résume-t-elle, lors d’un échange avec L’Express.
RÉVOLUTION ZAPATISTE
Très sollicitée, elle n’a guère le temps d’écrire autre chose que des textes brefs, quelques critiques littéraires, la préface de L’Hospitalité au démon de Constantin Alexandrakis qui vient de paraître chez Verticales/Gallimard et des poèmes qui, dit-elle, « ne seront jamais publiés nulle part, c’est une manière pour moi de prendre des notes ». En revanche, en 2020, avant Triste tigre, elle a écrit en espagnol La Realidad. Dès son retour au Mexique en 2024, elle se lance dans sa traduction en français. Elle le reprend à la marge, ici pour changer un prénom, là pour mieux expliquer comment ce livre a rendu évident l’écriture du suivant. Décision est prise de le publier au printemps 2025. À quelques jours de la sortie, Neige Sinno s’interroge – s’inquiète, oserions-nous – de la réception qui sera faite à ce texte, qu’elle présente comme le « récit de sa métamorphose ».L’épigraphe du livre en donne le ton : « ... Et moi sans poser de questions je monte sur la moto et nous partons » (Roberto Bolaño).
La Realidad commence comme un récit de voyage, celui de deux jeunes femmes, l’une française, l’autre andalouse, étudiantes à l’université du Michigan, qui partent au Mexique en quête d’un mythe, le sous-commandant Marcos. Elles échouent, reviennent, repartent, on s’amuse de leurs déconvenues, de leur naïveté, de leurs idées toutes faites et des réactions qu’elles suscitent. Le texte se poursuit par un long détour dans le Voyage au pays des Tarahumaras d’Antonin Artaud, s’autorise des réflexions sur ce qu’est l’altérité, les mots « indiens » et « indigènes », bien différents selon que l’on est d’ici ou là-bas, fait un nouveau détour par un souvenir d’enfance, revient à la révolution zapatiste et se clôt par le récit de deux rencontres de « femmes qui luttent » organisées au Chiapas. « Je voulais un texte hybride, qui soit un récit de voyage raté, parce que c’est un genre littéraire qui m’intéresse, mais avec quelque chose d’assez réflexif, qui se rapproche de l’essai, sans en être vraiment un, puisque c’est écrit à la première personne », revendique-t-elle.
ZIGZAGS ET PARENTHÈSES
En optant pour une construction décousue, parsemée de passages entre parenthèses, parfois plus longs que le récit principal lui-même, Neige Sinno prend le risque de désarçonner. Car si elle procédait déjà ainsi dans Triste tigre, passant du récit à l’essai, le sujet est, cette fois, Moins familier au lecteur français, qui n’a souvent qu’une connaissance très superficielle de la révolution zapatiste et/ou d’Antonin Artaud. Une difficulté que l’auteure assume : « Je me suis posé la question : est-ce que j’écris des notes de bas de page ? J’ai essayé, mais cela ne correspondait pas au rythme du livre. Alors, j’ai décidé de faire confiance au lecteur, dans sa capacité à comprendre sans que tout soit dit. » Quant aux zigzags et parenthèses, elle les voit comme une nécessité et un jeu avec le lecteur, une manière de le perdre, puis de le rattraper : « Tout au long du texte, je ra pelle que je sais où je vais, que toutes ces digressions ne sont pas gratuites. Et les parenthèses sont adaptées, elles me rappellent l’image des peaux d’oignons que l’on enlève l’une après l’autre. »
II faut un peu de patience, dépasser la moitié du livre, voire atteindre ses dernières pages, pour comprendre en quoi ce texte est le chemin ayant mené Neige Sinno à l’écriture de ce récit si intime qu’est Triste tigre. II y a le plus évident, cette sensation vécue lors de ces rencontres de femmes au Chiapas. « Je savais qu’en sortant de ces moments, il y avait quelque chose en moi qui s’était réconcilié avec le réel. Que j’allais écrire des choses que j’avais vues, écrire des choses que j’avais vécues, c’est ce qui m’a donné un élan pour écrire sur ma propre expérience », poursuit-elle. Dans ce moment, l’utilisation d’un « nous » collectif pour parler des violences subies par chacune de ses compagnes donne une dimension supérieure, une justification différente à ce qui ne serait, à l’épreuve du « je », qu’un simple récit personnel.
De même, l’entrelacement de deux narratrices, l’une dans l’aventure et le vécu, l’autre dans le commentaire littéraire et la réflexion, qui ne forment pourtant qu’une même personne, préfigure le dispositif à l’œuvre dans Triste tigre : « L’autobiographie pour moi, c’est insupportable, il y a quelque chose d’un peu honteux à raconter sa propre vie. Pour y parvenir, il faut que ça soit rendu nécessaire par d’autres raisons, que ça soit vraiment valable au niveau littéraire. Je pense que le livre raconte ce cheminement. »
II y a, dans ce voyage, dans cette « métamorphose », d’autres déclics, moins visibles. Ainsi le fait d’avoir écrit La Realidad en espagnol a levé les réticences de l’auteure à parler d’elle-même à la première personne. Et l’idée que, même si la littérature ne l’a pas consolée des violences subies enfant, la lecture et l’écriture sont incontestablement son espace de liberté, d’expérimentation, d’erreur dans un « monde violent et hostile ». À la toute fin de La Realidad, « Netcha » en prend conscience dans le bus qui la ramène de la dernière rencontre de femmes, alors que la tâche contre les violences paraît immense, presque impossible : « J’entends en moi bouillonner toutes ces phrases que je n’ai pas dites au micro des dénonciations, [...] j’entends le bourdonnement insistant de cette voix qui s’impose à vous quand il faut commencer un livre, cette voix qui vous convainc qu’il n’y a rien d’autre à faire, qu’il faut s’asseoir à sa table et se mettre à l’ouvrage. »
Agnès Laurent, L’Express, mars 2025
« À dos d’âme », un article de Florence Olivier à propos de La Realidad, à retrouver sur la page de En attendant Nadeau