— Paul Otchakovsky-Laurens

Antonia Bellivetti

Nathalie Quintane

Antonia va-t-elle réussir à diminuer ses triglys ? à terminer le poème débile demandé par Madame ? Jardine est-elle vraiment lesbienne ? Que se passe-t-il de pas mystérieux dans les caves ? Que signifie « C’est la gonflette/Tu mords, ça se dégonfle » ? Luc va-t-il préférer la fumette au Coca ? Combien de pavés jetés du haut du pont parviendront à défoncer le toit des voitures sachant que les voitures font des zigzags ? Isabelle et Antonia vont-elles trier des bouchons de bouteilles en plastique tout l’été ? Mais qui est Sviadapok-Mursky ?

Entre éruptions de l’Etna et...

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La presse

Nathalie Quintane a déjà frôlé le récit avec Jeanne Darc, elle a joué avec le narratif pour le théâtre (Les Quasi-Monténégrins) ou le cinéma (Mortinsteinck), il lui restait à écrire un roman mais pas n’importe quel roman, ainsi qu’elle l’écrit sur la quatrième, « un roman pour la jeunesse destiné aux adultes » ne voyons pas là un oxymoron : ce livre est en effet POUR la jeunesse (au sens où il peut être lu comme une défense de celle-ci) mais certainement inaccessible à elle ; réservé du moins à des lecteurs expérimentés. Il ne s’agit pourtant pas non plus d’un essai psycho-socio complaisant, larmoyant sur les zones de non-droit. Quintane scrute la banlieue comme St Tropez, exotisme et lieux communs, pour les possibilités que cet espace offre à sa pensée, à sa cruauté, à sa jubilation, à son questionnement de type carrollien (on peut s’ennuyer plus mais peut-on s’ennuyer mieux ?!), à son écriture. Il y a d’abord (au sens où ça saute aux yeux du lecteur plus que le reste, on est bien dans le roman) des noms, vrais ou empruntés et aucun de ceux qu’on attendrait.
La cité où vit (?), où (plus exactement) habite Antonia Bellivetti s’appelle Michel Foucault, sa meilleur copine Ité et son petit caïd de frère Luc, son jeu électronique préféré Buffalo Budget, sa sœur Boulimi, leur chat Cafard ; il y a aussi le MAC (Mères Actives de la Cité !) et les marques des chaussures dont rêvent les adolescentes ; elles partent en vacances chez leur grand-mère à la Souterraine (ça existe vraiment) dans la Creuse (où pour piscine on peut dire « pistoche » !) qui a un essentiel « point commun » avec la banlieue… ce sentiment qu’on ne pouvait pas en sortir (= on ne sort pas d’ici). Comment s’échapper quand la vacuité s’est emparé des esprits et de toutes choses et de tout SUJET ? Même l’intrigue vient se fracasser sur ces creux ; caillasser des voitures n’est pas tellement plus excitant ni répréhensible qu’un jeu vidéo. On pense à Elephant le film de Gus Van Sant, même objectivisme du constat, même retrait de l’auteur face à l’énigme d’êtres vides ; sauf que le livre de Quintane n’est pas simplement juste et éprouvant, il est drôle.
Et cette drôlerie, forcément coupable, poursuit longtemps le lecteur qui se demande longtemps quel livre il a eu entre les mains… peut-être le premier roman de non-apprentissage.


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Allons enfants de l’apathie


Avoir 13 ans dans les cités, par Nathalie Quintane


Comme il n’y avait plus de forêts, on décida de lui faire traverser la banlieue. Ce n’était pas tout à fait la banlieue des sociologues ni des politiques, plutôt celle du bannissement et de l’imaginaire, Antonia Bellivetti errait dans sa tête en Petit Poucet, Blanche-Neige ou Chaperon rouge. « Roman pour la jeunesse destiné aux adultes », ce récit fait tituber une fille de treize ans sur un parcours hétérogène et multicouches, lui fait penser des choses qui ne sont pas de son âge ni de son milieu (non, ce n’est pas un roman réaliste) et lui fait entendre des paroles qu’elle ne peut comprendre. Globalement, Antonia aime suivre les grands frères à la cave ou accompagner sa demi-sœur à La Souterraine (23300, 5 850 habitants), mais dans l’une comme dans l’autre, aujourd’hui comme il y a trente ans, elle ne trouve pas grand chose, les méchants loups sont fatigués. A la fin, on ignore si, en héroïne de Bildungsroman qui se respecte, elle a vieilli, mais elle en a peut-être la promesse, à travers la figure de sa copine Isabelle qui a pris, elle, une bizarre graine.

Antonia Bellivetti va plutôt bien, c’est le lecteur qui va jaune en riant aux plaisanteries de Quintane sur l’état du monde, en riant de l’apathie d’Antonia, de son adaptation amorphe et adipeuse aux conditions de vie postindustrielle : « Toutes les couleurs s’étaient réunies sur ce tas : le bleu des Bounty, le rouge du Coca, le jaune des Corona, le vert des Kro, le brun des brunes et les pastillas multicolores des M&M’s. Elle se demanda de quelle couleur avait bien pu être le monde avant ». Avant, comme en témoigne « Une pile de Bonne soiréedatés de 62-63 », c’était pas bien fameux non plus, et, si l’on errait moins, c’est que l’horoscope enjoignait aux femmes de s’« occuper davantage de [leur] intérieur ».

Maintenant, les syndicalistes ont des discours inaudibles, la mémoire familiale finit en « nouilles molles » (corollairement à la création de « nouveaux traditionnels du 8 mai ») et les jeux vidéos ont remplacé la liberté par le choix d’un avatar, la Loi par quelques slogans creux. Heureusement, il reste quelques valeurs sûres, comme cette chanson de Queen qu’on peut jouer lors des enterrements et qui commence « en gros, en anglais, par ces mots : – Que dois-je faire ? – Que m’est-il permis d’espérer ? »


Éric Loret, Libération, 26 août 2004


Grâce à ses jeux typographiques, son regard étonné et détaché sur le quotidien, Nathalie Quintane dresse un remarquable portrait de l’âge ingrat, qui restitue formellement l’incertitude de la construction de soi.


Lire , octobre 2004