— Paul Otchakovsky-Laurens

Le Revenant

René Belletto

Le destin met la main sur Marc à Barcelone, le tourne dans la direction des enfers et pousse un bon coup. Marc, docile, suit le mouvement jusqu’à Lyon, sa ville natale. 
Le piège (infernal) s’est mis en place.
La mort lui ravit des êtres chers. Et voilà qu’on veut à toute force lui arracher un secret dont il ne connaît pas un traître mot. Et il a beau se débarrasser des revolvers que le destin lui fourre entre les mains, d’autres les remplacent aussitôt. De sorte que malgré qu’il en ait les cadavres se mettent à fleurir le long de sa route. (Il arrive qu’il prenne le temps de les enterrer, à minuit, avec l’aide de son ami Miguel.) Lui-même...

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Traductions

Russie: Lutetia Rossica

La presse

Lisez vite Belletto !


Paul Otchakovski-Laurens, un de nos meilleurs animateurs d’édition, a transformé ses initiales en sigle - P.O.L. - qui signifie curiosité et qualité. Ce pourrait être aussi, paradoxalement, avec le Revenant, de Belletto, Pol comme « polar ». Car c’est bien d’un « vulgaire » roman noir qu’il s’agit, habillé d’une couverture accrocheuse et lancé selon les lois du marketing agressif. Petit étonnement qui se transforme, à la lecture, en belle surprise : le Revenant est un remarquable roman.


On le sait, aux yeux d’un certain nombre d’amateurs, le « polar » renouvelle le roman comme l’argot vivifie la langue traditionnelle. Belletto l’a compris et le démontre. Je n’avais pas ressenti un plaisir de lire de cette sorte depuis l’apparition des premières séries noires de J.-P. Manchette et la révélation « littéraire » de Sébastien Japrisot avec l’Eté meurtrier. On voit donc où situer Belletto : quelque part entre roman noir et roman « écrit », aventure et dérision, cinéma et littérature.


C’est drôlement fichu, à vrai dire, ce récit ! On lit d’abord 190 pages du roman d’un paumé : suicide de sa femme, mort de son petit garçon. On les dévore, parce que c’est très bien fait. Un personnage vraisemblable - guitariste sans emploi, prof de musique sans élèves -, un milieu admirablement décrit : les exilés espagnols qui vivent en France, et un décor - Lyon et sa banlieue - traité avec la précision efficace des conteurs américains. Et puis soudain, et pour deux cents autres pages, on entre dans la violence classique : meurtres en série, gangsters à la retraite, « milieu » lyonnais, maffia, et toujours au centre de tout, le paumé, Marc, sur qui le destin et les méchants cognent comme sur un punching-ball et qui ne comprend rien à rien. Le héros débordé par les circonstances : la recette est sûre. Belletto l’accommode à sa façon : un mélange de simplicité et d’humour tendre. Le « style » reflète ce choix : tour à tour rapide, « fonctionnel » et, de loin en loin, éclatant en drôleries, en trouvailles pince-sans-rire et dévastatrices. Il existe si évidemment un « ton Belletto » que je pardonne presque à l’auteur de téléphoner « depuis » Nice - style télé - et même d’écrire « débarcadaire » (p. 340...).


On n’aurait jamais écrit ni raconté ainsi, il y a douze ou quinze ans. Il y a là une vitesse et une nonchalance, la doublle affectation d’un naturel et d’une culture, le goput des lisières, des marges de l’à-côté de la vie, qui est un ton très « 1980 ». Il y a trente ans, les héros étaient héroïques, roulaient jaguar et culbutaient les filles. Aujourd’hui ils crèvent sous eux une cacochyme 403 diesel, fuient les coups et ne sont pas toujours prêts à honnorer des dames d’ailleurs revenues de tout. Ce n’est plus James Bond : c’est l’imper crasseux de l’inspecteur Colombo. (Belletto a pensé, j’en suis sûr, à sa vieille Peugeot...) Les augures, qui ont toujours une main sur Littré et l’oeil fixé sur la ligne verte des académies, devraient bien feuilleter ces drôles de romans où notre époque est peut-être en train de prendre le visage que lui attribuera l’avenir. Pour ne pas dire « la postérité ».


Par François Nourissier, 23 mai 1981.




Un vrai roman d’aventures


Le Revenant, c’est l’intrusion d’un homme très ordinaire dans l’univers de la B.D. et du polar.


Le héros, Marc, est rien moins qu’un héros. Ni surhomme, ni séducteur, ce petit prof de musique amoureux de sa guitare se trouve projeté malgré lui dans une cavalcade rocambolesque. Ayant perdu successivement sa femme et son fils dans des circonstances confuses, cet être déjà rêveur et distant voit se rompre les seuls liens de tendresse un peu solides qui l’attachaient encore au monde. Hébété, il commence de dériver dans une zone indécise entre la vie et la mort, et se laisse docilement ballotter au gré de péripéies dont il est le juet plutôt que l’acteur.


Résumons à grands traits. La cousine de Marc, une belle Espagnole, vit en concubinage avec un cave à la retraite. Cet ancien caïd sicilien, victime d’un attentat, meurt bientôt en laissant derrière lui une orpheline inconnue et un secret convoité... Marc s’était lié à cet homme vieillissant. Autant poussé par l’indifférence suicidaire de celui qui vient de perdre ce qu’il aimait, que par le désir de recoller tant bien que mal les morceaux d’une histoire brisée, il met le doigt dans l’engrenage de la mafia. Aussitôt, il est emporté dans une aventure digne des romans policiers les plus palpitants et des B.D. les plus goguenardes. Il y interprète, comme en rêve, un rôle qui n’est pas le sien. Il joue sa vie sur le mode d’une farce tragique.


Débraillé, mal rasé, buvant pour tenir le coup des hectolitres de café noir et fumant - son seul luxe - Benson sur Benson, écrasant le champignon d’une antique 403 délabrée, cet anti-héros fait des ravages sans s’en rendre compte. On le prend pour un autre. On le hait. On veut l’abattre. Tout se complique. Et quand des pistolets lui tombent dans les mains, il en use à contre-coeur avec une idéalé dextérité... En fait, dans la paume de sa main, est creusé le canyon qu’il faut de chance au Lucky Luke de banlieu pour tenir sur 420 pages. Belletto y veille.


Le Revenant est donc un vrai roman d’aventures. Dingue, déchirant et rigolard. Belletto y parodie les sagas policières et les films à succès en jouant leur jeu à fond. Il installe cependant au centre de cet univers stéréotypé une créature vraie dont l’héroïsme forcé nous touche et nous fait sourire. Mieux encore, cette sorte de Bardamu tracassé introduit - comme un ver dans le fruit - l’angoisse métaphysique dans les décors hollywoodiens du polar. La détresse de Marc est suffisamment contagieuse pour que nous y reconnaissions la marque de l’aléatoire qui gouverne notre condition. Le vrai héros est cet homme sans importance, qui n’effleure pas comme Fantomas ou Tarzan la surface du monde, mais qui s’englue jusqu’à la folie dans l’épaisseur indécise de son existence.


Reste qu’après avoir lui ce roman, on met du temps à en sortir. On s’est payé, dirait Flaubert, « une bosse d’imaginaire ». Voilà de quoi, cet été, ne pas bronzer idiot tout en voyageant loin.


Par J.-M. Maulpoix, La Quinzaine Littéraire, juin 1981.