— Paul Otchakovsky-Laurens

L’ Amateur de tennis

Serge Daney

L’Amateur de tennis reprend les chroniques écrites par Serge Daney pour Libération, de 1980 à 1990.

Décor : Roland-Garros, Wimbledon, la Coupe Davis, Bercy.

Acteurs : Björn Borg, Ivan Lendl, Chris Evert-Lloyd, John McEnroe, Gabriella Sabatini, Jimmy Connors, Martina Navratilova, Yannick Noah, Steffi Graf, Mats Wilander, Hana Mandlikova, Henri Leconte, Boris Becker…, les arbitres, le public, mais aussi le temps tel que les uns et les autres le maîtrisent ou le subissent.

Ce sont des portraits, ce sont des récits, des commentaires, des questions et des réflexions. C’est une manière de parler de tennis comme on devrait parler de littérature ou de...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage L’ Amateur de tennis

Feuilleter ce livre en ligne

 

Traductions

Argentine : Santiago Arcos Editor | Brésil : Bafici | Espagne : Shangrila

La presse

Sous sa plume, alerte et fréquemment joyeuse, le tennis devient tout à la fois dialogue et passion, morale et œuvre d’art. Non pas tant grâce à un passing-shot ou un smash réussi, mais en raison du caractère, de la psychologie ou de la force d’âme des joueurs, dont il se fait le grand « farfouilleur ». D’où ces chroniques douces amères qui oscillent entre sport et littérature, imagination et psychanalyse. Aucun ricanement, aucune méchanceté gratuite. Mais une humanité grouillante, microcosmique, où l’on côtoie McEnroe, Leconte, Connors, Navratilova et autres Steffi Graf. Chaleureux, brillant, Daney nous permet de pénétrer au cœur de l’invisible du tennis, loin de la frime et des paillettes.


Télérama, 20 juillet 1994



La dialectique du tennis


Le phénomène demeure assez mystérieux, mais c’est ainsi : les amateurs de cinéma sont souvent, également, des fans de tennis. Cannes, puis Roland-Garros, autant dire que pour eux la période est faste. En 1980, un soir de match Connors-Caujolle, Serge Daney, dont la cinéphilie était incontestable, essaya de comprendre.
Dans le rôle du mal-aimé, doué mais un peu lymphatique, le Français avait failli terrasser le roi Connors. 6-4, 6-2, 5-2, l’affaire était quasi pliée.


Une balle contestée, un public versatile soudainement tout acquis à la cause de l’Américain, et voilà le destin qui bascule. "C’est l’avantage de la terre battue, écrivait Daney dans L’Amateur de tennis, ce pourquoi j’aime tant cette surface plus que les autres (mais évidemment mon point de vue est celui d’un amateur de cinéma, qui préfère le plan fixe au zoom), c’est qu’elle crée de la fiction. Il y a les joueurs et ce qu’ils savent faire, il y a le public et ce qu’il sait qu’il peut faire aussi, il y a les arbitres et la dose d’abjection qu’ils prennent sur eux, mais il y a surtout le temps (...), et cinq sets, c’est long. Il y a le temps qui remet un peu de dialectique là-dedans." Lundi le match Gasquet-Murray fut de ce point de vue un vrai moment dialectique. Le retour de l’enfant prodigue, opposé à un Ecossais pur malt. Deux sets et un break d’avance, le Français voyait la vie en rose. Il a suffi d’une ola du public, une seule, une toute petite, pour que Murray réussisse à se remotiver et à l’emporter.


Mardi, ce fut une autre histoire. L’ogre Nadal a dévoré Gianni Mina, un Français prometteur de 18 ans, 3e mondial junior, mais 655e au classement ATP. L’éternel histoire de David contre Goliath (vous remarquerez que chaque sport à ses "petits" : au foot, on parle de Petit Poucet, ou encore de Cendrillon de la Coupe... Il faudra un jour se pencher sur cet autre phénomène, linguistique celui-là).


"Entre avoir le bac et battre Nadal, vous choisissez quoi?", avaient demandé les journalistes à Mina avant son match. Battre Nadal, pardi ! Vous en connaissez, vous, des joueurs de tennis qui auraient répondu le contraire ? Passe ton bac d’abord, c’est le titre d’un beau film de Maurice Pialat. Comme quoi, finalement, le tennis, ce n’est pas du cinéma... Cette année, Roland-Garros va nous amener tranquillement à la Coupe du monde de football. Peut-être l’avez-vous remarqué, mais beaucoup de cinéphiles aiment à la fois le tennis et le football. Pas Godard, cela dit. "Le foot m’ennuie un peu", a déclaré un jour le réalisateur d’A bout de souffle. En revanche, disait-il, "au tennis, il y a autant de plaisir à être passé qu’à ne pas l’être. J’ai rejoué au tennis parce que c’est un sport où l’on renvoie la balle. On ne cherche pas à la garder pour soi". La dialectique, encore et toujours...


Franck Nouchi, Le Monde, Mai 2010