— Paul Otchakovsky-Laurens

Sur le motif

Hubert Lucot

Dans Paris, la substance rurale nous touche d’autant plus aujourd’hui que le démantèlement de l’ancien, ou sa rénovation éblouissante, et le dénuement humain plaqué sur les trottoirs attaquent la profondeur historique de nos villes. Nés de la rue, des éléments romanesques impriment dans notre existence quotidienne une trame policière et de science-fiction. L’énigme se transforme à la façon des murs, des mœurs et des produits, déplaçant une folle énergie qu’il faut capter.
J’ai traversé les mille feuillets de mes notes, dont certaines datent du temps où l’Opéra-Bastille était un trou, pour...

Voir tout le résumé du livre ↓

Consulter les premières pages de l'ouvrage Sur le motif

Feuilleter ce livre en ligne

 

La presse

Ce texte total fait et défait la fiction et nous donne à savourer ses délectables enchevêtrements. Comment l’écrivain voit le même univers que nous, en l’occurrence principalement un quartier de Paris, mais nous restitue une vision plurielle, triple, quadruple, une intemporalité vertignieuse. Un homme se voit, croit se voir ; il est ce regard, et le film qu’il élaore raconte les souvenirs qu’il suppose être les siens, ceux des autres peut-être... Il se construit une fiction, se fait un roman, toute une histoire en somme, où s’intercalent des oeuvres lues, intégrées à l’espace, incorporées à la matière de l’oeil. Sur le motif est un livre ambitieux, jubilatoire mais exigeant : le lecteur a ses chances, sans recours ; il est au coeur de la machine à écrire, dans le mot à mot du délire.


Le Monde, avril 1995



Observations trouées


Un texte fragmentaire qui fouille l’esapce familier de Paris pour découvrir la fragilité du motif: Hubert Lucot voyage au pays du Réel


Sur le Motif est un livre rebelle, situé à la frontière des genres: Hubert Lucot nous donne en effet à découvrir des pages de journal, des bribes de carnets de voyages, des notes nées de la rue, qui cherchent "à détecter les signes (...) du changement", ou réfuter l’évidence du réel "en frôlant les murs"...
A l’instar de Guillaume Apollinaire et de Léon-Paul Fargue - avec respectivement Le Flâneur des deux rives et Le Piéton de Paris - Hubert Lucot profite des "spires aléatoires de (ses) promenades" pour photographier Paris. Son regard s’attarde sur un banc vide, dévoure les métamorphoses d’une ville, s’étonne de ce qu’une cour ait traversé un demi-siècle sans que s’imprimât la patine du temps, avoue son "innocente surprise" devant le démentèlement de la rénovation, s’afflige parfois de la destruction du monde actuel : "débarassés du vieux pittoresque, les mendiants, sobres, (...), exposent un peu de néant sur le trottoir propre"...
Poésie de la vue: Giacometti et Breton réincarnés en un seul être, Hubert Lucot se plaît à appréhender les "prestigieuses opérations routinières" des "existants" qui peuplent sa ville, comme à déchiffrer ou plus simplement: décrire - les énigmes que proposent le réel. Sur le Motif s’offre ainsi comme une manière d’album où chaque cliché porte témiognage d’un passage, où les instantanés saisissent la vie dans ce qu’elle garde de plus anondin, et peut-être d’essentiel.


Mais sur les décors qui charment ou effraient un regard accoutumé à l’errance, se greffent les souvenirs, et la flânerie propulse dans les territoires du passé. Dans ce recueil, le texte paraît ainsi se créer lui-même, n’obéir qu’à sa propre respiration, à mesure que le quotidien sollicite la mémoire : le passé émerge d’une rue, un paysage français se mue en réminiscence espagnole, comme le coprs d’une aimée lointaine et sans doute disparue s’imprime sur un drap que l’oeil se laissait à contempler... Peut-être parce qu’il s’agit avant tout de "FUIR dans les décombres d’une civilisation quis ont les derniers beaux jours", un monde évanoui supplante le réel ; "à tout instant en retard et en avance sur le temps réel" se contente de déplorer l’auteur, prisonnier de ce contretemps, asservi aux caprices d’une mémoire vélléitaire (Jac regrouper, Le Gato noir, Autobiographe d’ A.M. 75 étaient déjà assaillis par des bribes autobiographiques).


Sur le Motif vit donc de visions plurielles qui s’enchevêtrent et qui offrent un décor sans cesse à recomposer, à jamais figé dans son devenir. La démultiplication des regards et des lieux - Paris, l’Espagne, l’Italie, quelques régions françaises - conjugée au développement kaléidoscopique de la réalité, contribue à dérouter le lecteur, déjà malmené par une phrase syntaxique et qui évacue parfois le sens au profit de la poéticité du texte ! Alors que le passé iradie le présent, que les frontières géographiques s’effacent et que la phrase se disloque, la flânerie d’Hubert Lucot devient notre propre dérive, une errance qui ne s’achèvera qu’à la dernière page...


La lecture d’Hubert Lucot requiert attention et vigilence: le brouillage référentiel et lexical qu’il opère en ses textes nous contraint à une lecture patiente, ponctuée de nombreux détours, ou retours. Projetés au coeur d’un texte en mouvement, nous sommes invités, contre notre gré, à contempler les motifs de notre environnement quotidien, ainsi qu’à consigner les détails d’un monde qui nous échappe. Telle serait peut-être la grande réussite de ce livre: nous inciter à regarder...


Didier Garcia, Le Matricule des Anges, juin 1995


Et aussi

Hubert Lucot est mort.

voir plus →