— Paul Otchakovsky-Laurens

Rue du Regard

Jean Frémon

Des contes, des fables, des apologues, des anecdotes, inventées ou recopiées, qui ont en commun le regard porté sur les choses et les êtres par ceux que les images fascinent et qui en font profession. Des portraits imaginaires de peintres qui ne sont pas sans rapports avec leurs doubles réels. Pêle-mêle, Mondrian coupable d’aimer les fleurs, Pontormo le reclus, David Hockney touriste hors pair, Gilles Aillaud et les éléphants, le coup de pinceau de Roy Lichtenstein et ses avatars, Picasso visité par le diable, Beckett entre un poisson rouge et un perroquet, Raphaël donnant une leçon de dessin, le vieux canasson modèle de Géricault, le singe de la Grande jatte, Saenredam et la...

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Traductions

Espagne : Elba Editorial | Royaume-Uni : Les Fugitives

La presse

Rue du Regard rassemble quarante-huit études, réflexions, contes, anecdotes autour de la peinture et des peintres, de Giotto ou du moyen-âge chinois à Yannis Kounellis. Le motif le plus récurrent est celui de l’absence, qui prend la forme de la « fascination de l’illusion » pour Mondrian ou du « personnage manquant » dans les tableaux de Pontormo, soit le spectateur que regardent les figures peintes :

« Peindre la présence est une tâche complexe. / Peindre l’absence ne l’est pas moins. »

Frémon multiplie les exemples, passant de l’infigurable dans « L’Objet invisible » de Giacometti au vieux cheval dont avait besoin Géricault pour peindre : il lui permettait de « se mettre du cheval » dans la tête. La peinture serait donc affaire d’esprit ? C’est le sens explicite de l’anecdote du dessin réalisé dans l’atelier de Raphaël, que le peintre envoya à Dürer comme sien, disant à son élève Jules Romain :
« Ma main est dans ma tête autant qu’au bout de mon bras (...). L’esprit qui guide l’esprit qui guide la main, c’est encore ma main ».
C’est aussi le sens du geste de Giotto : concourant pour un marché de la papauté, il ne présente pas un projet de fresque mais un rond parfait, tracé « d’un seul geste du poignet » - et il est appelé à Rome. L’histoire elle-même offre un exemple troublant du motif de l’absence avec la multiplication des sosies de Sadam Hussein, si ressemblants qu’on ignore peut-être qui fut pendu, le tyran ou l’un de ses doubles. Ce motif de l’absence en peinture, Frémon le relève en particulier dans « les mythes de l’Incarnation, de la Passion et de la Transfiguration », parce que ce sont eux qui « sous-tendent toute l’histoire de notre rapport à l’image et (qu’ils) continuent de la nourrir secrètement aujourd’hui. » Rue du Regard : des leçons pour regarder autrement la peinture et les choses du monde.



Tristan Hordé, Cahier critique de la poésie, 25 novembre 2013




« Il y a au Louvre un tableau de Deshayes qui s’intitule Le singe portraitiste. (...) comme le peintre des Ménines, le singe regarde son modèle, il nous regarde, il est peint nous peignant. Allez savoir qui singe qui. » Jean Frémon note cela dans L’île des morts (1994), son troisième livre chez P.O.L, auquel il met un point final en écrivant « roman » sur la couverture. Mais le livre ne se referme pas. Vingt ans après, le singe est toujours là, derrière cette image et toutes celles qui sont vraies. Par exemple aujourd’hui, au Musée du Capidomonte, dans un portrait en pied, une oeuvre du Parmigianino : « Le portrait ne nous a pas quittés. (...) Il était debout, sur la toile, dans son cadre, sous son verre, sur son mur, au musée, au sommet de la colline, mais il était aussi avec nous dans ce restaurant, derrière nous, devant nous, à côté de nous (...) » L’air n’en finit pas de circuler, de relier la lumière et l’ombre, mais dans l’air quelque chose a été lâché, qui nous fait vivant au monde, dans ce présent et dans d’autres : c’est le regard. Certes, entre-temps Jean Frémon a bien réuni ses « essais de circonstance » en un gros volume, intitulé Gloire des formes (2005 : ce mot « gloire » dans le titre, le nom de « la légèreté même ») mais il travaille dans un autre atelier, à réinventer l’alliage de la fiction et de l’essai, la simplicité même, l’écriture du regard. Alors il écrit d’abord La vraie nature des ombres (2000), et aujourd’hui Rue du regard qui approfondit le chemin du milieu. Les mots sont donnés, force et innocence, comme s’ils avaient été visés par le singe. On entend le bruit d’une fontaine, une main tremble, et partout, rue Hypollite-Maindron, rue Laffitte, rue de la Michodière, à Madras, à Goa, en Alsace, en Flandre, en Bohême, le commencement recommence. « Ce n’est pas l’histoire ni l’archéologie qui retrouve les tableaux oubliés, c’est le regard. »
La lumière a sa célérité pour traverser l’espace, le regard a d’autres secrets, il réenchante le temps.


Jean-Luc Bayard, ibid.




Vidéolecture


Jean Frémon, Rue du Regard, à propos de Kiki Smith - novembre 2012

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Son

Jean Frémon, Rue du Regard , Entretien avec Alain Veinstein-France Culture -''Du jour au lendemain'' -25 mai 2012